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L’avenir et la réputation des CFF en jeu

Des temps difficiles attendent les CFF ces prochaines années. The Swiss Federal Railways looks set to make losses for the next few years (SBB)

Pour la première fois depuis leur mutation en une société anonyme en 1999, les Chemins de fer fédéraux (CFF) sont dans les chiffres rouges.

Benedikt Weibel, le patron des CFF, expose à Hansjoerg Bolliger les défis du rail au moment où l’économie vacille.

L’ex-régie fédérale devra faire des provisions de 2 milliards de francs sur quatorze ans pour assainir sa caisse de pensions. Après 12 millions de francs de pertes en 2002, les CFF abordent des temps difficiles. L’analyse de Benedikt Weibel sur l’avenir des CFF.

swissinfo: en raison de la sous-couverture de leur caisse de pension, les CFF doivent constituer des provisions sur plusieurs années. Quelles en sont les conséquences?

Benedikt Weibel: Nos comptes seront déficitaires pour plusieurs années encore. Nous devrons provisionner 145 millions de francs par année durant les 14 prochaines années.

Cela aura des répercussions sur notre capital propre. Raison pour laquelle la Confédération, en tant que propriétaire, doit régler cette situation. Si l’on ne règle pas ce problème, nous n’avons que peu de chances de retrouver les chiffres noirs.

swissinfo: Comment voulez-vous le régler?

BW: Nous avons un très grand nombre d’employés ayant pris leur retraite et auxquels la loi nous impose de verser des primes identiques à celles des employés de la Confédération. Au vu de notre statut actuel, et du nombre d’employés encore actifs, cela nous pose des problèmes.

Il est important que nous soyons libérés de cette obligation et que la Confédération assume cette responsabilité pour ses anciens employés.

Mais les CFF ne sont pas les seuls. La situation est identique pour La Poste, Swisscom, Ruag et les anciens fonctionnaires de la Confédération.

swissinfo: La réforme de 1999 a instauré la libéralisation du trafic ferroviaire. Quelles seront les prochaines étapes du processus? Le trafic voyageurs sera-t-il également libéralisé?

BW: Le trafic marchandises est aujourd’hui complètement libéralisé. Une entreprise agréée peut, si elle s’acquitte de la taxe prévue, faire transiter un train de marchandises sur le réseau ferroviaire suisse.

Mais ce n’est pas le cas pour le trafic des voyageurs. Il est impensable qu’une entreprise puisse exploiter la ligne Berne-Zurich, par exemple.

Les discussions de libéralisation pour le trafic voyageurs viennent à peine de commencer au sein de l’Union européenne. Mais il est impératif de faire des distinctions en fonction de la nature des réseaux ferroviaires considérés.

En France, je pourrais très bien imaginer que l’on propose à des compagnies privées d’exploiter le réseau Sud-Ouest ou Atlantique, qui ne sont pas reliés à Paris.

Ce qui est impensable en Suisse, en raison de la densité du réseau voyageurs.

swissinfo: Quels enseignements tirez-vous de la libéralisation du trafic marchandises?

B.W.: La concurrence déploie ses effets. Les CFF restent une petite entité sur un plan international et n’ont pas les mêmes moyens financiers que Deutsche Bahn (DB), par exemple.

DB collabore aujourd’hui avec BLS et nous devons nous efforcer d’être compétitifs pour pouvoir contrer leur puissance financière

swissinfo: Pour les CFF, le transport des marchandises à travers les Alpes est déterminant. Quelle est l’évolution actuelle du trafic?

Nous sommes bien positionnés. Mais il est nécessaire de remédier aux problèmes que nous connaissons à la frontière sud. Tout le trafic en provenance du nord de l’Europe converge vers l’entonnoir qui permet de passer sous les Alpes.

La qualité du service est insuffisante. Les trains attendent trop, ce qui pose d’évidents problèmes de ponctualité sur ces connexions internationales. Si nous ne parvenons pas à y remédier, nous n’aurons aucune chance de succès.

Raison pour laquelle nous avons décidé de constituer une firme indépendante en Italie du Nord, de façon à conserver la mainmise sur l’ensemble de la chaîne de transports. Les activités de Swiss Rail Cargo Italy commenceront le 15 décembre 2003.

L’expérience que nous avons accumulée depuis le mois de juin 2002 sur la frontière nord avec Swiss Rail Cargo Köln me permet d’être confiant.

swissinfo: Sur le plan ferroviaire, la Suisse ne souffre-t-elle pas de ne pas appartenir à l’Union européenne?

B.W.:Non, bien au contraire. Sur le plan ferroviaire, nous sommes plutôt écoutés à Bruxelles. Les CFF jouissent d’une réputation extrêmement pointue et sont considérés comme de véritables professionnels de l’exploitation du rail.

swissinfo: Au fil des ans, la croissance du trafic voyageurs est constante. Le réseau est-il en voie d’être saturé?

B.W.: Non. Et cette croissance va s’accentuer, c’est certain. Sans doute parce que nous sommes de plus en plus rapides par rapport au réseau routier. Le 12 décembre 2004, Rail 2000 effectuera un pas d’importance: les horaires de tout le trafic seront revus de fond en comble.

La durée des trajets sera diminuée et les correspondances optimisées. Notre seul problème sera de fournir suffisamment de places assises aux heures de pointe.

swissinfo: Dans le cadre de Rail 2000, le nouveau système européen unifié de commande du trafic (ERTMS), également pour les lignes à haute vitesse, entre progressivement en vigueur. La Suisse joue-t-elle un rôle clé dans ce processus?

B.W.: Oui. Mais malheureusement nous sommes des cobayes. Car, nous sommes les premiers à expérimenter ce nouveau système. Un projet pilote est déjà en place sur la ligne Olten-Lucerne. La patience de nos clients a été mise à rude épreuve. Ce qui nous a causé beaucoup de tort.

Il n’est jamais souhaitable d’être un «first mover». C’est pour cette raison que la Commission européenne et toute l’Europe ont les yeux rivés sur la Suisse.

swissinfo: 2004 ne sera pas seulement l’aboutissement du programme Rail 2000 mais également le moment de l’élargissement européen à l’Est. Qu’est-ce qui va changer dans les réseaux de transport européens et en Suisse?

B.W.: Cela n’aura pas de répercussions directes pour les CFF. Chez les nouveaux membres de l’Union, en revanche, cela va poser d’importants problèmes. Il n’y a en effet pas suffisamment de capital disponible pour l’infrastructure. Dans beaucoup de pays, le futur des compagnies ferroviaires nationales reste donc ouvert.

swissinfo: La tendance ne sera-t-elle pas de satisfaire les importants besoins d’investissements pour renforcer les liaisons ferroviaires?

B.W.: Avec l’ouverture à l’Est, on a raté l’opportunité d’instituer quelques corridors uniquement dédiés au trafic marchandises. En ce qui concerne le trafic nord-sud, en revanche, le transit est impossible sans un réseau ferroviaire digne de ce nom.

swissinfo: A quoi ressemblera le réseau ferroviaire européen d’ici 30 ans? Les compagnies nationales auront-elles survécu?

B.W.: Les infrastructures resteront à coup sûr nationales. J’espère que les CFF auront réussi à fondre les trafics marchandises et voyageurs sur les axes principaux et à établir un système d’exploitation unifié. Un objectif qui reste très difficile à réaliser.

swissinfo, Hansjoerg Bolliger
(traduction: Jean-Didier Revoin)

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