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L’eau ne suffit pas pour sortir de l’atome

Les turbines d'une centrale hydraulique au bord de l'Aar, à Beznau. Keystone

La catastrophe de Fukushima a relancé le débat sur l’exploitation des énergies alternatives. Le développement de la principale source renouvelable de la Suisse, l’énergie hydroélectrique, semble avoir atteint ses limites. Aussi pour des raisons liées à l’environnement.

La nouvelle est déconcertante, mais pas vraiment inattendue: l’accident de la centrale de Fukushima est aussi grave que celui de Tchernobyl. Le niveau des radiations pourrait même y être plus élevé.

Face à la pire catastrophe nucléaire de l’histoire, la Suisse, qui compte cinq centrales, s’interroge sur un abandon de l’atome. Ce qui est nouveau, c’est que les partis politiques traditionnellement favorables à l’atome, par exemple les libéraux-radicaux (PLR / droite), se disent prêts à examiner des alternatives.

Aujourd’hui, plus de la moitié de l’électricité produite dans le pays (56%) provient du secteur renouvelable. La part du lion est fournie par les centrales hydroélectriques, avec 95% de l’énergie «verte».

Les 5% restants proviennent des «nouveaux» vecteurs, comme la biomasse, le solaire, l’éolien et les pompes à chaleur. Pour des raisons surtout économiques (coûts des investissements) et politiques, il n’est pas question pour l’instant d’exploiter à fond les possibilités du photovoltaïque ou de la géothermie.

Pour ce qui est de la promotion de l’énergie solaire, qui fournit moins de 0,1% de la production totale d’électricité, l’association Swissolar demande par exemple au gouvernement et au Parlement d’y consacrer plus de moyens, comme c’est le cas en Allemagne.

Potentiel limité

Dans l’hypothèse d’un abandon du nucléaire, qui fournit en Suisse pratiquement 40% du courant électrique, l’augmentation de l’exploitation des forces hydrauliques apparaît comme la solution la plus appropriée, sinon la plus innovante.

Grâce à sa topographie et à ses nombreux cours d’eau, la Suisse offre en effet des conditions idéales pour l’exploitation hydrique.

Avec la construction de nouvelles centrales hydroélectriques, il serait possible de produire jusqu’à 40% du courant nécessaire pour remplacer le nucléaire, estime Robert Boes, du Laboratoire d’hydraulique, d’hydrologie et de glaciologie de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ).

Mais selon d’autres experts, la voie hydroélectrique semble avoir atteint ses limites. Le potentiel technique, surtout en ce qui concerne les grandes centrales, est pratiquement atteint, écrit l’Office fédéral de l’énergie (OFEN).

En outre, ajoute l’OFEN, l’effet des changements climatiques et l’introduction en 2011 de normes plus sévères en matière de protection des eaux auront des conséquences négatives sur la production d’énergie hydroélectrique.

Ecologistes sous pression

Par contre. les mini-centrales hydroélectriques d’une puissance de moins de 10 MW présentent un «potentiel non négligeable», relève l’OFEN.

Ces quelque mille installations réparties sur tout le territoire (dont certaines ont plus de 100 ans) pourraient augmenter leur production de 50 à 100%, estime Nicolas Crettenand, ingénieur de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Avec un peu de bonne volonté, ajoute Gerhard Danioth, de la société Alpiq, dans les colonnes de L’Hebdo, «on pourrait atteindre 10% de la production d’électricité en Suisse».

Mais pour ce faire, les organisations de défense de l’environnement et la gauche doivent se montrer «plus constructives» dans les discussions sur l’énergie éolienne et hydroélectrique, soutient Christophe Darbellay, président du Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit). Selon lui, tous les projets de développement et de modernisation sont bloqués par les recours des écologistes.

Les dirigeants du WWF Suisse se défendent de vouloir mettre les bâtons dans les roues. Sur quelque 800 projets hydroélectriques lancés ces dernières années, le WWF et Pro Natura ont opposé 43 recours. «Et non pas 500 comme l’ont affirmé certains médias», précise Dani Heusser, expert de l’eau au WWF.

En outre, argumente l’organisation, les trois quarts des nouveaux sites présentés dans le cadre du programme national de promotion des énergies renouvelables ont été jugés «adéquats» pour la réalisation de nouvelles microcentrales.

L’objectif des écologistes consiste avant tout à faire respecter les lois en vigueur, souligne Dani Heusser. «Nous ne pouvons pas continuer à produire toujours plus d’énergie au détriment de la biodiversité», confirme Rudy Bächtold, porte-parole du WWF.

Demi-accord sur le Grimsel

Au centre d’un long débat, le complexe hydroélectrique du Grimsel, dans l’Oberland bernois, est probablement le lieu le plus symbolique du conflit entre écologistes et entrepreneurs. Les projets de développement sont bloqués depuis des années par les recours des organisations de protection de l’environnement (et du Parti socialiste du canton de Berne).

Depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima, les positions se sont cependant assouplies et la possibilité de trouver un accord n’est plus aussi éloignée. Dans un communiqué daté du 8 avril, les principales associations écologistes, dont le WWF, Pro Natura et Greenpeace, renoncent à s’opposer aux deux projets de développement hydroélectrique, qualifiés de «compromis acceptables».

Par contre, l’opposition à l’élévation du barrage du Grimsel est maintenue. Selon les écologistes, l’augmentation du niveau du bassin d’accumulation implique la submersion d’une zone marécageuse d’importance nationale. En violation des lois sur la protection du territoire.

«La voie à suivre, conclut Rudy Bächtold, est celle de l’efficience énergétique, par exemple en assainissant les centrales actuelles avec des technologies plus modernes. Sans oublier le potentiel d’exploitation des énergies solaire et éolienne ainsi que de la biomasse.»

La Suisse, «château d’eau de l’Europe», produit la plus grande partie de son électricité (35,83 milliards de kilowatt/heure par an) avec ses centrales hydroélectriques.

Dans le monde, seules la Norvège, l’Islande et l’Autriche présentent un taux plus élevé.

La Suisse dispose d’environ 1600 centrales hydroélectriques et 190 barrages (le plus haut, de 285 mètres, étant la Grande Dixence en Valais).

Les deux tiers de l’énergie hydroélectrique proviennent des cantons de montagne d’Uri, des Grisons, du Tessin et du Valais.

L’exploitation de la force hydraulique génère un chiffre d’affaires d’environ2 milliards de francs.

 

La Confédération entend promouvoir le renouvellement et le développement des centrales existantes. L’objectif est d’augmenter la production moyenne d’au moins 5% d’ici 2030.

(Source: Office fédéral de l’énergie)

En 2010, la consommation d’électricité suisse a augmenté de 4% par rapport à 2009, atteignant 59,8 milliards de kilowatt/heure (kWh), selon l’Office fédéral de l’énergie.

Les centrales hydroélectriques ont produit 66,3 kWh (-0,4%).

Malgré le nouveau record enregistré par la centrale de Mühleberg (Berne), la production d’électricité des centrales nucléaires suisses est descendue de 3,5% à 25,2 milliards de kWh.

L’énergie électrique totale produite en Suisse en 2009 provenait à 56,5% des centrales hydroélectriques, 38,1% des centrales nucléaires et 5,4% d’installations thermiques conventionnelles et d’autres installations.

Globalement, en 2010, les importations ont atteint 66,8 milliards de kWh et les exportations 66,3 milliards.

Traduction de l’italien: Isabelle Eichenberger

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