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L’homme d’affaires Jürg Stäubli devant ses juges

La justice aura besoin d'au moins deux mois pour traiter du cas de Jürg Stäubli. Keystone

A Nyon, près de Genève, s’est ouvert lundi l'un des plus gros procès économiques qu'ait connu la Suisse.

Après plus de six ans d’enquête, Jürg Stäubli doit répondre d’escroquerie et de gestion déloyale. L’homme d’affaires aurait laissé une ardoise de quelque 250 millions de francs.

C’est un procès hors normes qui a démarré lundi à Nyon. L’homme d’affaires Jürg Stäubli (47 ans) répondra devant ses juges d’escroquerie et gestion déloyale qualifiées, ainsi que de banqueroute frauduleuse et de faux dans les titres.

Il s’agit de l’un des plus gros procès économiques qu’aura connu la Suisse. En termes de longueur d’abord, car l’audience durera deux mois. Par sa complexité aussi: l’instruction a rempli une centaine de mètres de classeurs et accouché d’un acte d’accusation de 76 pages.

«C’est la somme de 20 ou 30 procès ordinaires», explique Jean-Marc Schwenter, procureur général du canton de Vaud, qui soutiendra l’accusation avec l’un de ses substituts, Daniel Stoll.

Cette double présence, dictée par l’ampleur du dossier, constitue une première dans l’histoire du parquet vaudois.

Une centaine de témoins

Le tribunal, formé d’un président et de deux juges, examinera une quarantaine de cas, qu’il instruira séparément. Une centaine de témoins défileront à la barre. Certains, comme les réviseurs d’Arthur Andersen notamment, y viendront une dizaine de fois.

Parmi ces témoins figurent des personnalités comme Pierre Arnold, ancien patron de la Migros et ex-administrateur de plusieurs sociétés du groupe Stäubli, et Marc Fues, ancien directeur général de la Banque cantonale de Genève (BCGe).

Les relations entre l’ex-golden boy et la banque genevoise sont au coeur de ce procès. «La BCGe est de loin la principale victime de Jürg Stäubli, avec une créance de 150 millions de francs», explique l’avocat Charles Poncet, qui représentera l’établissement avec son confrère Yves Burnand.

80 millions pour des “canards boîteux”

Tout a commencé à la fin des années 80. En 1989, la banque, qui s’appelle encore Caisse d’Epargne, accorde à Jürg Stäubli un prêt personnel d’environ 40 millions pour une augmentation de capital de sa holding. D’autres prêts suivront.

Quand le marché immobilier se renverse, début 1991, Jürg Stäubli commence à devenir un débiteur à problème pour la BCGe. Fin 1996, la justice vaudoise l’inculpe dans le cadre des faillites des sociétés Bühlmann et Hämmerli: il passe 80 jours en préventive.

Après sa sortie de prison, un arrangement est conclu avec la BCGe: Jürg Stäubli lui cède une série de sociétés et la banque annule une créance de 80 millions. Mais les participations cédées s’avèrent être «des canards boîteux», note Charles Poncet. Se sentant trompée, la banque porte plainte.

La banque sera la seule partie civile active au procès. Des arrangements ont été trouvés avec la plupart des autres lésés, notamment avec la Banque cantonale vaudoise (BCV) où les montants en cause étaient «largement inférieurs» à ceux de la BCGe.

Selon les rapports de police, l’homme d’affaires aurait creusé un trou de l’ordre de 250 millions de francs, par le biais de manipulations comptables et de factures fictives entre les sociétés du groupe.

Le montant est difficile à chiffrer, car «Jürg Stäubli faisait un trou en en bouchant un autre», relève le procureur.

L’accusé nie en bloc

De son côté, l’accusé conteste toute manipulation comptable. «Aucune opération n’a été faite sans avoir reçu l’aval des conseils d’administration et des réviseurs», souligne l’avocat Jean-Christophe Diserens, qui assurera sa défense avec son confrère Eric Stoudmann.

Jürg Stäubli s’étonne d’être le seul à comparaître alors qu’il ne gérait pas seul ses sociétés. «Dans les conseils d’administration, il y avait des gens qui n’étaient pas des potiches. Pierre Arnold par exemple était un administrateur confirmé», rappelle la défense.

Pour le procureur, ce point constituera effectivement l’enjeu du procès: «il faudra déterminer quel était le pouvoir réel de Jürg Stäubli par rapport à un tas de gens qui nous disent: “il nous a bien eus”», explique Jean-Marc Schwenter.

Un train de vie princier

Aujourd’hui, Jürg Stäubli se dit «confiant» et compte sur ce procès «pour pouvoir enfin s’expliquer». L’homme d’affaires a gardé pignon sur rue et dirige un bureau de conseils à Genève.

C’est à Genève précisément que ce simple titulaire d’un diplôme d’employé de commerce, d’origine bernoise, avait entamé son ascension en tant que jeune promoteur immobilier.

Une ascension fulgurante, qui l’a amené, à l’époque de sa gloire, à mener un train de vie que l’acte d’accusation qualifie de «princier».

Selon le document, cité par le quotidien Le Temps, Jürg Stäubli, alors que la situation de son groupe était déjà désespérée, n’hésitait pas à dépenser 20’000 francs pour une simple montre, qu’il faisait passer sur le compte «dons, cadeaux, clients» de sa holding.

Ni même à amadouer un mari trompé, qui l’avait surpris en plein adultère, en lui rachetant son appartement.

swissinfo et les agences

Six ans d’enquête.
Une centaine de mètres de dossiers.
Un acte d’accusation de 76 pages.
Deux procureurs.
Une centaine de témoins.
Deux mois d’audiences…
Pour des découverts de 250 millions de francs.

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