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L’immigration des tsiganes de l’Est

Bertil Galland. Collection personnelle

Bertil Galland évoque le sort des tsiganes de l'Est. L'Europe de la libre circulation voit arriver les «gens du voyage» qui, rarement acceptés, toujours rétifs et souvent miséreux, représentaient 5 % de la population derrière le rideau de fer.

Les tsiganes roumains qui campent entre le Bugey et Lyon ont envoyé leurs enfants jusqu’en Suisse, le long de l’autoroute lémanique, pour écumer les villas.

Dans leurs voitures volées, ces gamins ont défié la police en de véritables rodéos. S’ils sont pris, leurs condamnations seront légères. Ce sont des mineurs habilement manipulés. Comme une pointe d’iceberg, ces faits-divers révèlent à nos pays solidement organisés une vague d’immigration subreptice.

Elle suscite l’inquiétude. Certains déplorent l’entrée récente dans l’Union européenne d’une Roumanie qui nous envoie son «lumpenproletariat». En fait, ses premières incursions ont commencé il y a quinze ans.

Les parcomètres suisses

Cette criminalité témoigne d’une obscure obstination. Elle préoccupe les Gitans, Manouches, Gypsies ou Roms qui vivent depuis longtemps en Occident et qui ont trouvé, avec quelques incidents sporadiques, des arrangements avec les autorités et la population : ils ne sont pas ravis de voir surgir ces cousins lointains qui ne sentent pas jusqu’où l’on peut aller trop loin. Ces nouveaux-venus ont commencé par crocheter systématiquement les parcomètres suisses.

Ils ont passé ensuite, en France, à l’organisation de réseaux de prostituées bas de gamme et de filles-mères prêtes à vendre leurs bébés. Ils se mêlent maintenant du trafic international des métaux.

Certains ont dépassé le stade des expéditions prédatrices pour une organisation maffieuse. Des bornes ont été franchies qui ne permettent plus de parler d’«incidents» sur le compte de pauvres gens fuyant l’extrême pauvreté des Carpathes. Les immigrants de cette sorte réveillent les préjugés qui, depuis le 14 ème siècle, poursuivent ici les tsiganes.

Mais comment oublier que le racisme, devenu une doctrine abominable avec Hitler, les a conduits à une Shoah beaucoup moins connue et documentée que l’autre ?

Une politique européenne pour les Roms

En vérité, c’est la chute du mur de Berlin qui a mis fin à une période où les Européens de l’Ouest se donnèrent le beau rôle. Les barbelés du communisme furent dénoncés comme une atteinte au droit fondamental de la libre circulation. Mais quand on passa de l’esprit des accords d’Helsinki à l’écroulement de l’empire soviétique, on découvrit des misères que le rideau de fer avait cachées.

Sans génocide, les minorités de l’Europe de l’Est furent très longtemps malmenées. Elles sont soudain devenues nos problèmes. Et voici que certains Occidentaux s’indignent que la liberté enfin rétablie puisse nous valoir des voyageurs indésirables.

Or, depuis 1995, Bruxelles et le Conseil de l’Europe tentent précisément, pour la première fois dans l’histoire du continent, d’appréhender globalement la question «des Roms et Gens du voyage».

Les deux instances élaborent des lignes directrices à communiquer aux Etats-membres, en fonction de la Charte sociale et de la Convention-cadre pour la protection des minorités.

Par des stages, par un «forum» ( le FERV) qui esquisse une sorte de conseil central des 8 ou 10 millions de tsiganes européens, par un coordonnateur désigné pour ce dossier, l’Europe officielle tente de susciter, face aux experts, aux autorités nationales et aux fonctionnaires de tous niveaux, une représentation «qualifiée» de la vieille ethnie errante. Mais quoi ! Celle-ci, depuis qu’elle a quitté l’Inde, il y a dix siècles, reste viscéralement réfractaire aux mœurs des autres.

Elle est aujourd’hui dispersée du cercle polaire à la Méditerranée et du Dniepr à l’Ecosse en une multiplicité de groupes parlant ses langues particulières, romani, sinto-manouche, kalé de Finlande, calo d’Espagne ou autres vlax ou valaque aux Balkans.

Un autre monde

On doit saluer l’élaboration, timide encore, d’une politique européenne contre la discrimination des tsiganes et pour leur promotion sociale. Quelques Etats occidentaux, perturbés par les immigrants illégaux, ont pris par ailleurs l’initiative d’une aide bilatérale, soutenant financièrement leur retour, en Roumanie par exemple. Mais on peut deviner et même souhaiter que les Roms garderont leurs secrets. Les meilleurs connaisseurs récusent à leur égard les généralisations et les solutions schématiques.

On ne peut que sourire lorsque des reporters débarquent chez les gens du voyage sans réaliser que la question la plus banale peut les braquer. Savent-ils que, chez certains Roms, demander à un homme s’il a des enfants est considéré comme une atteinte à son intimité sexuelle ? S’appuyer contre une table, dans la caravane, peut contraindre la famille à jeter le meuble. Certains contacts, qui nous paraissent bénins sont tabous. Les monceaux d’immondices qui entourent le camp peuvent cacher la propreté quasi maniaque régnant à la cuisine.

Contre les «gayé» ou «gadjos»

Plus fins que ces enquêteurs, certains photographes suisses ont su se faire accepter, rapportant sur telle ou telle communauté Rom des témoignages extraordinaires, comme Yves Leresche en Roumanie ou Marcel Imsand en Finlande. Mais ce dernier savait-il que la triple jupe blanche prodigieuse de sa gitane du Nord était une manière de caparaçonner son impureté de femme ?

En permanence, les Roms se protègent contre le monde extérieur, contre nous, les «gayé» ou «gadjos», de même que nous sommes les «goy» des juifs. Ils se vouent aux chevaux, au rétamage, à la musique, à la brocante, à la chiromancie. Mais avec ces activités pas toujours définissables et par des habiletés, parfois des rapines et volontiers par des subventions, dans les pays généreux, ils tiennent à vivre strictement à leur manière.

Toute règle qu’on veut leur imposer, pour les intégrer, croit-on, s’achoppe non pas à leur mauvaise volonté, résistance qui serait superficielle, mais au cœur de leurs croyances, à leurs hiérarchies rarement avouées, à des préventions absolues liées à l’honneur et à la mort.

L’anti-tsiganisme

L’originalité insoluble des Roms a provoqué en Europe de l’Est les réactions diverses et souvent cette hostilité qui les a conduits, au temps du nazisme, à Auschwitz. Par la suite les régimes communistes sont allés de l’exploitation de leur tradition musicale inouïe, dans les restaurants et les manifestations du régime, en Hongrie et ailleurs, au confinement forcé, en Slovaquie par exemple (où ils sont près d’un demi-million, comme en Bulgarie).

Les autorités les logeaient dans le centre historique dilapidé des petites villes. A des campagnes de scolarisation ont succédé des vagues de harcèlement, puis d’abandon méprisant, dans des zones rurales miséreuses. Le nombre considérable des Roms de Roumanie, (deux millions selon certaines statistiques) a souvent ajouté au mépris que leur voue la population, une crainte viscérale tournant vite à la haine. Toute aide que peut leur apporter l’Etat leur vaut d’être traités de profiteurs. Le problème des Roms de l’ex-Yougoslavie (près d’un million) n’est pas moins épineux.

L’anti-tsiganisme est devenu une préoccupation étendue à l’Europe entière. Bruxelles et Strasbourg en cartographient les zones critiques et conseillent l’Etat et les autorités locales jusqu’aux confins de la Macédoine, de la Bulgarie et de la Grèce, ou, sur les marges de l’Union, dans la malheureuse Moldavie, derrière la barrière déjà bien gardée que fait naître à ses frontières la Roumanie communautaire.

swissinfo, Bertil Galland


Les opinions exprimées dans cette rubrique ne reflètent par nécessairement les vues de swissinfo.

Bertil Galland est né en 1931 à Leysin (Vaud) d’un père vaudois et d’une mère suédoise.

Après des études de lettres et de sciences politiques, il se forme comme journaliste.

Il est également actif dans l’édition. Il dirige d’abord les «Cahiers de la renaissance vaudoise» de 1953 à 1971, puis crée sa propre maison d’édition en 1971.

Entre autres activités, il traduit en français des œuvres scandinaves et crée la collection CH pour faire connaître les auteurs alémaniques et tessinois au public francophone.

Au plan journalistique, il participe à la création du «Nouveau Quotidien» en 1999.

Bertil Galland vit actuellement entre Lausanne et Richmont (Bourgogne).

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