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L’initiative sur la peine de mort a été retirée

Le débat émotionnel sur la peine de mort est revenu avec fracas sur le devant de la scène en Suisse. Keystone

Un jour après l’aval formel donné par la Chancellerie fédérale permettant le démarrage de la récolte des signatures, les initiants ont fait savoir qu'ils retiraient leur initiative en faveur de la peine de mort. Ce texte avait suscité un tollé dans la classe politique suisse.

L’initiative populaire dite «peine de mort en cas d’assassinat avec abus sexuel» réclamait la peine capitale pour toute personne commettant un meurtre ou un assassinat en concours avec un acte d’ordre sexuel sur un enfant, une contrainte sexuelle ou un viol.

Sur leur site, les initiants estiment que cette initiative était la seule manière pour eux de se faire entendre face à un système juridique qui, selon eux, favorise les criminels au détriment des victimes. L’initiant principal, Marcel Graf, a indiqué mercredi à l’ATS avoir voulu sensibiliser la population aux dysfonctionnements de la justice dans les cas d’assassinats à caractère sexuel.

«L’Etat de droit actuel est entièrement du côté du criminel», déplorent les initiants sur leur site Internet. «Les proches des victimes n’ont aucune possibilité de se défendre et sont réduits à un rôle de spectateurs aux procès», ajoutent-ils.

De plus, l’initiative sur l’imprescriptibilité des crimes à caractère sexuel sur des enfants est qualifiée de grossière supercherie par les initiants, du fait de sa non-application. Aux yeux du comité d’initiative, ces questions sont maintenant du ressort du monde politique.

Indignation unanime

Les initiants ont-ils également été contraints de faire volte-face face au tollé qu’a suscitée leur initiative? Toujours est-il que le texte et le principe même d’un retour à la peine de mort abolie en 1942 en Suisse ont soulevé l’indignation dans la classe politique et les médias. Politiciens, membres d’ONG et experts interrogés ont condamné unanimement l’initiative.

Sur un sujet aussi passionnel, arguments et contre-arguments, parfois violents, se sont également opposés sur les forums et discussions en ligne. Selon plusieurs médias, les initiants auraient été animés par une volonté de vengeance personnelle. La sœur de l’épouse de Marcel Graf, l’initiant principal, a été assassinée en avril 2009 par son ami. L’homme, toujours en prison, n’a pas encore été jugé.

Les initiants, qui voulaient attirer l’attention sur leurs griefs, ont réussi leur objectif au-delà des espérances. Le sujet a non seulement été largement traité par la presse suisse, mais a également occupé la presse internationale, des Etats-Unis aux Emirats arabes unis en passant par l’Angola.

Le quotidien autrichien Wiener Zeitung écrit ainsi mercredi: «Si l’initiative était jugée valable, la Suisse se trouverait encore davantage clouée au pilori que lors du débat sur les minarets».

Pas de soutien politique

Mais contrairement à l’initiative anti-minarets, le texte demandant le réintroduction de la peine de mort n’a pas trouvé de soutien dans la classe politique. De la gauche à la droite, le monde politique a largement manifesté son rejet. Seule l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) a montré une certaine sympathie pour l’idée de laisser le peuple se pencher sur la question de la réintroduction de la peine de mort.

Mais le député Oskar Freysinger, l’une des voix fortes de l’UDC, qui a pourtant soutenu l’initiative sur l’internement à vie des délinquants sexuels, a déclaré à plusieurs journaux sa ferme opposition: «Le droit à la vie n’est pas négociable. Rendre le mal par le mal ne fait pas partie de mes principes, ni des valeurs d’un Etat démocratique.»

Christine Bussat, présidente de la Marche blanche (à l’origine de l’initiative sur l’internement à vie), s’est dite quant à elle «profondément choquée. J’ai beau retourner cela dans tous les sens, je ne trouve aucun argument qui irait dans leur sens. Pire, cela peut même favoriser le pédophile qui rajoutera une pression sur sa victime: ‘si tu parles, on va me tuer’».

Un examen préalable

Ce texte sur la peine de mort a également relancé le débat sur l’opportunité de durcir les critères de validation d’une initiative populaire avant la récolte des signatures. Le député radical (droite) tessinois Dick Marty estime mercredi dans Le Temps que la chancellerie fédérale ne devrait pas se limiter à quelques critères formels pour déterminer si une initiative peut être lancée: «Cette initiative exprime un retour à la barbarie. Tout dans ce texte est aberrant et milite pour un examen préalable plus approfondi, avant la récolte des signatures».

Une initiative parlementaire allant dans ce sens et déposée par la députée radicale (droite) Isabelle Moret devrait être traitée durant la session d’automne du parlement. Le texte demande qu’en «cas de doute sur la nullité du texte d’une initiative populaire, cette question soit tranchée sur requête par une instance judiciaire (par ex. Cour constitutionnelle ou Cour plénière du Tribunal fédéral) avant la récolte des signatures.»

Les 24 co-signataires de cette initiative parlementaire estiment en effet que la question de l’éventuelle nullité d’une initiative populaire doit être tranchée uniquement sur la base d’éléments juridiques. La vérification doit également se faire avant la récolte des signatures, le processus démocratique étant déjà engagé lorsque 100’000 personnes ont signé une initiative populaire.

Fâcheux dilemme

Par le passé, le Parlement a accepté à plusieurs reprises de soumettre au peuple des initiatives – l’internement à vie, l’interdiction des minarets et le renvoi des criminels étrangers – qui ont mis la Suisse face au dilemme du respect parallèle des droits populaires, des droits fondamentaux et de ses engagements internationaux.

Dans la presse, Alexandre Flückiger, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Genève, rappelle que «selon la Constitution fédérale, on ne peut pas soumettre un texte qui va à l’encontre du droit international impératif.»

Mais la peine de mort, encore en vigueur aux Etats-Unis ou en Chine, ne figure pas dans ce noyau dur. «Cette notion de droit impératif reste très floue, explique Andreas Auer, constitutionnaliste zurichois et directeur du Centre de recherche sur la démocratie directe à Aarau. Le parlement peut donc difficilement invalider l’initiative sur cette base».

En cas de validation d’une telle initiative, puis d’une éventuelle acceptation en votation populaire, peut alors se produire une situation similaire à celle de l’initative anti-minarets. «Elle est inscrite dans la Constitution, mais elle ne pourra probablement pas être appliquée, parce qu’elle viole des droits humains garantis internationalement, et dont la Suisse ne peut pas se départir», explique Andreas Auer.

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Initiative populaire

Ce contenu a été publié sur L’initiative populaire permet à des citoyens de proposer une modification de la Constitution. Pour être valable, elle doit être signée par 100’000 citoyens dans un délai de 18 mois. Le Parlement peut directement accepter l’initiative. Il peut aussi la refuser ou lui opposer un contre-projet. Dans tous les cas, un vote populaire a lieu. L’adoption…

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Le comité «peine de mort en cas d’assassinat avec abus sexuel» proposait d’introduire dans la Constitution fédérale les dispositions suivantes

Chaque être humain a le droit à la vie. Quiconque commet un meurtre ou un assassinat en concours avec un acte d’ordre sexuel sur un enfant, une contrainte sexuelle ou un viol perd le droit à la vie et est condamné à mort. Dans tous les autres cas, la peine de mort est interdite.
[…]
L’exécution a lieu indépendamment de toute expertise ou des connaissances scientifiques.
[…]
L’exécution a lieu dans les trois mois qui suivent l’entrée en force de la condamnation. Le tribunal fixe les modalités et la date de l’exécution capitale.


Après le feu vert de la Chancellerie fédérale lundi, le comité d’initiative a fait savoir mardi qu’il renonçait à la récolte des signatures.

La première abolition de la peine capitale date de 1874. Mais cinq ans plus tard, une initiative populaire visant à la réintroduire dans la constitution fédérale était approuvée par le peuple. Les initiants justifiaient ce retour en arrière par la hausse de la criminalité. Dans la foulée, dix cantons inscrivaient la peine de mort dans leur code pénal.

C’est le code pénal suisse de 1937, entré en vigueur en 1942, qui a définitivement aboli la peine de mort. La dernière exécution a eu lieu le 18 octobre 1940 à Sarnen, dans le canton d’Obwald. Un Zurichois y a été décapité pour triple meurtre, dont celui d’un policier.

Le code pénal militaire a en revanche conservé jusqu’en 1992 la possibilité d’appliquer la peine de mort en temps de guerre pour des crimes comme la trahison, l’engagement en faveur de l’ennemi, le meurtre ou le pillage. Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, sur les 33 condamnations à mort prononcées, 17 ont été appliquées, la dernière en 1944.

En 1985, une initiative visant à réintroduire la peine de mort pour les dealers de drogue a été lancée. Elle n’a pas récolté assez de signatures pour aboutir.

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