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L’Italie intensifie sa guerre fiscale contre la Suisse

wikipedia/Adrian Pingstone

L'opération coup de poing mardi des autorités italiennes auprès de 76 instituts financiers helvétiques a provoqué la stupeur en Suisse. Au lendemain de cette razzia, qui représente un double affront pour le Tessin, Berne a exprimé ses critiques à l'ambassadeur d'Italie.

Jusqu’où iront les assauts de l’Italie contre la place financière helvétique? Telle est la question qui se pose en Suisse, et au Tessin en particulier, au lendemain de la spectaculaire razzia de la police financière et du fisc italiens qui ont lancé des centaines d’agents contre des filiales ou des représentations de banques suisses dans la Botte.

But de l’opération: «Vérifier si ces instituts respectent le devoir de communication», autrement dit, l’obligation d’annoncer toute opération financière ordonnée par leurs clients.

Le même jour, le ministre suisse des Finances Hans-Rudolf Merz affirmait encore dans le quotidien financier italien Il Sole 24 Ore vouloir maintenir le dialogue avec le gouvernement de Silvio Berlusconi.

Berne hausse le ton

Au lendemain de cette spectaculaire opération, le ton a cependant quelque peu changé côté helvétique. La Suisse a ainsi convoqué l’ambassadeur d’Italie à Berne Giuseppe Deodato afin de manifester son «étonnement» et d’exprimer ses critiques suite aux contrôles effectués par le fisc italien.

Dans une prise de position publiée mercredi en fin de journée, le ministère suisse des affaires étrangères (DFAE) s’étonne que ces visites inopinées aient visé en tout premier lieu des établissements suisses. «La Suisse a tenu à faire valoir à quel point et dans quel cadre elle coopère avec la communauté internationale, les Etats membres de l’UE et en particulier l’Italie dans les affaires fiscales», indique le DFAE.

Pour sa part, l’ambassadeur d’Italie a dit considérer qu’il s’agissait d’un «problème interne à l’Italie». «Les autorités font les contrôles nécessaires», a-t-il expliqué sur les ondes de la Radio suisse romande.

S’exprimant sur la question à la télévision alémanique SF, Hans-Rudolf Merz a déclaré que Berne réfléchissait à des mesures pour défendre la place financière au Tessin. «Nous devons prendre des mesures ciblées qui concernent à la fois la place financière et le fisc», a-t-il précisé. Mais il n’envisage pas «de sanctions d’ordre politique».

Soif de vengeance

Il y a un peu plus d’une semaine, plusieurs partis politiques du Sud des Alpes et des représentants de la place financière luganaise avaient déjà demandé au président de la Confédération de «réexaminer les accords bilatéraux conclus avec la Péninsule». Il avait notamment été question de ne «plus verser la redevance fiscale prélevée sur les salaires des travailleurs frontaliers» et même d’«entraver le trafic des poids lourds sur l’axe nord-sud».

Une manière pour le Tessin d’exprimer son ras-le-bol face aux «agressions italiennes», comme ces inspecteurs en civil dépêchés à Lugano pour épier la clientèle des banques, ou les prises de vue des va-et-vient à la frontière italo-suisse destinées à l’Agenzia delle Entrate, le fisc italien.

«Une opération discriminatoire», a déclaré mardi Thomas Suter, chef de la communication auprès de swissbanking. «On dirait que la Suisse figure sur une liste noire italienne».

De fait, une circulaire (règlement d’application) découlant du décret sur la sécurité promulgué en septembre dernier, qui édicte les conditions de l’amnistie fiscale italienne en vigueur jusqu’au 15 décembre prochain, dit noir sur blanc que «la Suisse fait partie des pays non-coopératifs en matière fiscale». Or l’OCDE a récemment retiré la Confédération de sa liste grise.

Contraire à la libre-circulation des capitaux

Au sud des Alpes, de nombreux politiciens commencent à douter de la légalité des opérations orchestrées par Giulio Tremonti, le ministre italien des finances.

«Entraver les mouvements de capitaux entre les deux pays par des filatures, des images et des perquisitions dans des banques suisses sont autant d’actes qui violent la sphère privée et qui contreviennent sans doute au principe de libre-circulation des capitaux», relève Giovanni Merlini, président du parti libéral radical tessinois.

Un avis que partage le président du PLR suisse, Fulvio Pelli, qui n’hésite pas à qualifier l’attitude du ministre italien de «belliqueuse». Même la gauche tessinoise, qui s’est pourtant toujours refusée à impliquer le Conseil fédéral dans cette affaire, admet que l’Italie viole probablement le droit bilatéral.

«Maintenant, il est trop tard», regrette Giovanni Merlini, «il aurait fallu réagir plus tôt, tant au Tessin qu’à Berne. Désormais il ne nous reste plus qu’à attendre la fin du scudo III, et resserrer nos contacts avec la Berne fédérale pour mieux nous faire entendre à l’avenir».

Subir et attendre le 15 décembre en peaufinant encore davantage le panorama des services de gestion de fortune que la troisième place financière peut offrir à sa clientèle italienne, reflète également l’avis général des banquiers tessinois. Certains vont même jusqu’à prédire «un retour en masse des capitaux à partir de la seconde moitié de décembre».

Négociation ardue

Cette «guerre fiscale» qui gangrène les rapports entre la Suisse et l’Italie se déroule en pleines négociations sur la double imposition, actuellement en cours, entre Berne et Rome. «Des négociations ardues et difficiles», relevait une source anonyme proche de la délégation helvétique, dans les colonnes de la dernière édition de la NZZ am Sonntag.

Une attitude non coopérative de Rome qui irait, toujours selon l’hebdomadaire dominical, jusqu’à entraver la révision de l’imposition des sociétés, voulue par Hans-Rudolf Merz et qui risque de placer la Suisse en mauvaise posture face à Bruxelles.

En Suisse, plusieurs cantons prévoient un régime de faveur pour certaines personnes morales et l’UE a hâte de voire les trusts, holdings et autres sociétés boîtes aux lettres enfin assujetties à l’impôt, au même titre que les personnes physiques.

Gouffre financier

Pour Claudio Generali, président de l’Association bancaire tessinoise et ancien ministre cantonal des finances, les démarches italiennes, que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier d’opération de phishing, tant redoutées par les banques suisses, sont «le miroir de la désolation économique dans laquelle se trouve la Péninsule, qui tente désespérément de renflouer ses caisses».

Même réflexion pour Fulvio Pelli, qui se «demande si l’Italie est bien gérée». La dernière édition du journal dominical de la Ligue des Tessinois (mouvement populiste au Tessin), Il Mattino della Domenica titrait en première page: «L’Italie comme l’Argentine».

En attendant, la question de savoir jusqu’où le Gouvernement Berlusconi est prêt à aller reste ouverte. Du moins jusqu’au 15 décembre prochain.

Nicole della Pietra, swissinfo.ch

Près de 86 milliards d’euros placés sur des comptes à l’étranger pourraient être rapatriés avec cette troisième amnistie fiscale depuis 2001.

Quelque 60% de ce pactole serait placé en Suisse et en particulier sur la place financière de Lugano, au Tessin. Ces chiffres sont le fruit d’une évaluation de PriceWaterHouseCoopers Advisory, présentée le 19 octobre dernier devant l’Association des banquiers privés italiens.

Mais selon le ministère italien des finances ce sont près de 400 milliards d’euros qui dormiraient sur des comptes de pays tiers.

Le scudo III est entré en vigueur le 15 septembre. Les fraudeurs ont jusqu’au 15 décembre pour déclarer leurs capitaux et autres biens mobiliers à l’étranger.

Cette fois, les repentis doivent s’acquitter d’un impôt de 5%, contre 2,5% pour les deux précédentes amnisties décrétées en 2001 et 2003. Des conditions réputées particulièrement avantageuses, en comparaison d’amnisties mises en place par d’autres Etats membres de l’UE.

La loi d’application italienne, prévoit la possibilité du rapatriement virtuel, soit de maintenir les capitaux physiquement sur leur compte à l’étranger mais en déclarant les avoirs par le biais d’une fiduciaire dans la Péninsule.

Dans l’ensemble, la presse italienne soutient la démarche du gouvernement Berlusconi. Dans le grand quotidien milanais Corriere della Sera, l’éditorialiste et ancien diplomate Sergio Romano posait ouvertement la question en ces termes: «Peut-on critiquer la Suisse? La réponse est oui».

Les partis politiques suisses sont irrités par l’opération menée sur sol italien.

Le président du PDC (centre droit) Christophe Darbellay préconise une «attitude ferme» et estime qu’«une visite diplomatique à Rome ne serait pas inutile».

Pour le PLR (droite), Fulvio Pelli, qui avait qualifié les démarches italiennes «intolérables et d’incompréhensibles», juge que l’Italie a eu une attitude largement discriminatoire.

A droite encore, l’UDC (droite conservatrice) trouve que la réaction du Conseil fédéral est tardive et minimaliste. Face à cette attitude «outrageante», le parti préconise des mesures de rétorsion.

Enfin le parti socialiste estime que «l’action de l’Etat italien est justifiée s’il dispose d’indices concrets d’actes illégaux. Elle est difficilement acceptable s’il s’agit d’une pure manoeuvre d’intimidation».

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