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Henry Leutwyler: «Il m’arrive de me dire que j’exerce un métier extraordinaire»

Michael Jackson
Peter Pan en son royaume. 2009 Henry Leutwyler Photography

Biennale des arts visuels, le Festival ImagesLien externe se tient à Vevey jusqu’au 30 septembre. Soixante et un projets d’artistes, venus de dix-neuf pays, sont à découvrir dans l’espace urbain, en plein air comme en intérieur. Parmi les œuvres exposées, celles du Suisse Henry Leutwyler, photographe et portraitiste de grandes stars, établi à New-York. Entretien.


Michael Jackson et Frank Sinatra. Deux figures iconiques de la musique américaine. Photographiés par le Suisse Henry Leutwyler, leurs objets s’exposent à Vevey dans le cadre du Festival Images, placé cette année sous le signe de l’extravagance.

Chaussure de Michael Jackson
Vue ainsi, les chaussures de Michael font moins glamour que dans les clips. 2009 Henry Leutwyler Photography

Ce qui sort de l’ordinaire attire l’objectif de Leutwyler, 57 ans, né à Aarau (Argovie) et expatrié depuis 1985. En Suisse il est méconnu alors qu’il mène une belle carrière outre-Atlantique, travaillant pour son compte et pour celui de la grande presse américaine.

Aventurier curieux et professionnel hardi, il s’était rendu en 2009, en Californie, pour prendre en photos les effets personnels de Michael Jackson suite à leur mise en vente aux enchères publiques. Des reliques, en somme, comme ce carnet d’adresses de Frank Sinatra que Leutwyler a déniché chez un collectionneur suisse et qu’il a photographié page par page.

swissinfo.ch: Q’est-ce qui est extravagant dans vos œuvres photographiques présentées à Vevey ?

Henry Leutwyler: Pour ce qui est de Michael Jackson, je dirais que c’est sa vie qui est extravagante, et non mes photos. Cette vie, j’ai voulu la capter à travers les objets personnels du chanteur: gants blancs brillants, chaussures et chaussettes avec diamants, chemise, nœud papillon, etc…

Mais c’est la panoplie d’un clown, non?

Je pense que c’est plutôt celle de Peter Pan, jeune garçon qui vivait dans un petit royaume et n’avait pas le droit de grandir. C’est un peu l’histoire de Michael Jackson qui a dû se produire sur scène vers l’âge de 6 ou 7 ans et qui, depuis, a toujours voulu récupérer cette enfance qu’on lui a volée.   

Et pour ce qui est de Frank Sinatra?

Son extravagance vient de sa figure iconique de chanteur, mais pas seulement; elle est également liée à son travail d’acteur: ses relations présumées avec la mafia et l’influence que celle-ci aurait eue sur sa distribution dans certains films. Avec toutes les adresses qu’il renferme, le calepin de Sinatra constitue un document historique important. Ceci dit, je ne pense pas être moi-même extravagant. En revanche, mes voyages le sont.

Carnet d adresses Frank Sinatra
Gene Kelly et Henri Kissinger sur la même page. C’est le carnet d’adresses de Frank Sinatra. Hasselblad H6D


En quoi le sont-ils?

Leur quantité est presque effrayante. L’année dernière, j’ai dû faire entre 240’000 et 280’000 miles en avion, sans compter les trajets en train ou en voiture. Je parcours la planète en tant que professionnel, et quand j’ai une heure pour moi, je repars comme aventurier. Je n’ai alors aucun hôtel de réservé, aucun plan, mais juste une envie: me laisser surprendre.

Vous avez réalisé des portraits de danseurs, écrivains et acteurs mondialement connus, entre autres Denzel Washington et Julia Roberts, mais jamais un autoportrait. Pourquoi?

Bof! parce que des portraits de moi, bon nombre de mes confrères s’en sont chargé, je n’allais donc pas recommencer. Et puis, je ne suis pas si beau que ça! 

Il y a néanmoins une part de votre identité illustrée dans votre livre d’images « Document », c’est la photo d’une lettre que vous aviez reçue, en 1981, de l’Ecole d’arts appliqués de Vevey qui vous refusait l’entrée en son sein comme étudiant. Votre succès marque-t-il une revanche aujourd’hui?

Il faut dire qu’il y avait à l’époque un système d’élimination des élèves-candidats plutôt absurde. Je ne sais pas ce qu’il en est actuellement. Je sais par contre qu’entre 1985 et 1995, soit les dix années passées à Paris où je travaillais, je n’ai jamais reçu un coup de fil de la part des médias suisses pour une commande. Il y a 8 ans seulement, le magazine zurichois Annabelle m’a contacté pour me demander de faire la couverture de l’une de ses éditions, avec des stars féminines suisses.

J’ai dû attendre 2017 pour que mon œuvre fasse l’objet d’une grande exposition en Suisse. C’était au Musée des Beaux-Arts du Locle qui, soit dit en passant, s’est vu refuser à cet effet l’aide d’autres institutions culturelles helvétiques, sous le prétexte que je ne suis pas assez connu ici. Mais que voulez-vous, nul n’est prophète dans son pays!

Vous vivez à New-York depuis plus de 20 ans. Que vous a apporté l’Amérique?

La liberté… que l’Europe ne m’a pas donnée. A Paris, j’ai vite compris que si vous n’êtes pas le fils d’Untel, si vous n’avez pas une jolie copine ou des relations haut placées, on vous estime inintéressant. A New-York, en revanche, on ne m’a jamais jugé sur ma bagnole ou ma montre, mais sur mon travail de photographe. Il est clair que les rues ne sont pas pavées d’or aux Etats-Unis, il faut se montrer obstiné, mais au moins on ne vous demande pas d’où vous venez.

Henry Leutwyler
Henry Leutwyler: “Nul n’est prophète en son pays”. © Sharon Suh

Vous avez travaillé pour le New-York Times Magazine, entre autres. Qu’est-ce qui vous distingue du grand photographe américain Philippe Halsman, portraitiste de stars comme vous, qui en son temps avait fait les beaux jours de Life?

J’adore Philippe Halsman, mais je ne pense pas que l’on puisse établir la moindre comparaison entre nous deux. Halsman est beaucoup plus caricatural et intriguant que moi. Moi, je manipule très peu. Autrement dit, je reste fidèle aux traits du personnage que je saisis avec ma caméra. C’est plutôt Irving Penn qui m’inspire. J’ai utilisé tout ce que j’aimais dans son art, tant au niveau des portraits de mode que des natures mortes. Mon travail consiste à documenter une réalité: je suis cet archéologue qui «exhume» des choses non encore découvertes.

Quelles choses, par exemple?

Le pistolet qui a tué John Lennon et que personne n’avait encore vu (hormis la police new-yorkaise) avant que je n’en prenne une photo. Je m’étais rendu chez la police dans le Queens, qui m’avait autorisé à réaliser la photo. Aujourd’hui, elle fait la couverture de mon livre « Document ». Il m’arrive de me dire que j’exerce un métier extraordinaire. 

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