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L’OMC ne menace pas les intérêts de la Suisse

Luzius Wasescha: «Ces critiques sous-estiment notre intelligence, notre expérience et notre capacité à négocier.» Keystone

Que ce soit dans le domaine agricole ou dans celui des services, la Suisse ne va pas brader les intérêts de son économie, selon Luzius Wasescha.

Le chef des négociateurs suisses à l’OMC balaie les critiques exprimées la semaine dernière par les ONG et certaines communes. Interview.

Les négociations liées à l’Accord général sur le commerce des services (AGCS/GATS) lèvent un nouveau front en Suisse. La Communauté de travail des œuvres d’entraide – soit les principales ONG caritatives suisses – mène en effet une campagne de sensibilisation auprès des communes helvétiques.

Soutenue par le mouvement ATTAC, par des villes comme Genève et par certains parlementaires, la coalition affirme craindre que ces négociations finissent par toucher certains services publics en Suisse. Par exemple la distribution d’eau, la gestion des déchets, voire l’éducation.

Par ailleurs, l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) vient, de son coté, de critiquer la politique agricole helvétique. Ce qui laisse envisager de nouvelles pressions sur les paysans suisses. Et ce dans le cadre du cycle de négociations commerciales entamé à Doha en 2001.

swissinfo: Les pressions sur les soutiens à l’agriculture ne faiblissent pas. Pour sauver le cycle de Doha, la Suisse ne va-t-elle pas être amenée à faire de nouvelles concessions dans ce domaine?

Luzius Wasescha: Je ne le pense pas. Nous sommes dans un processus de réforme de notre agriculture, et son rythme est suffisant pour faire face au cycle actuellement négocié à l’OMC.

Pour réussir ce cycle, il faut que les grands exportateurs agricoles fassent, eux-mêmes, des concessions à la fois dans l’agriculture et dans les autres domaines.

swissinfo: L’OMC vient de juger discriminatoires les règles de l’Union européenne en matière d’appellation d’origine contrôlée (AOC). N’est-ce pas une très mauvaise nouvelle pour les paysans suisse?

L.W.: Non, car il ne s’agit pas d’une décision qui touche au principe même des indications géographiques. Elle concerne sa mise en œuvre. Avec notre jeune régime d’appellation géographique, nous sommes à même d’y apporter les adaptations nécessaires pour éviter ce reproche de l’OMC.

swissinfo: De nouvelles oppositions se dessinent en Suisse contre ce qui se négocie à l’OMC dans le domaine des services (GATS). Leurs craintes sont-elles fondées?

L.W.: Je rappelle en premier lieu que la négociation sur les services a commencé en même temps que celle sur l’agriculture, en 2000. Elle porte sur les services qui sont commercialisables. Et aussi longtemps que nous sommes dans des domaines couverts par un monopole de droit public, nous sommes, par définition, en dehors des services commercialisables.

Je suis toujours étonné d’entendre les critiques sur l’accord GATS. Ces critiques sous-estiment notre intelligence, notre expérience et notre capacité à négocier.

De plus, ils croient que la Suisse va brader des domaines qui ne sont même pas en discussion. Nous ne sommes pas des artistes qui travaillent sans filet. Nous avons un mandat du Conseil fédéral. Et contrairement à ce que certains nous reprochent, ce mandat est négocié avec tous les intéressés au niveau de la Confédération et des cantons.

L’accord sur les services (GATS) permet l’expression de toute une série de frustrations et de craintes, parce qu’il est rédigé en des termes tellement flexibles que même l’interprétation la plus idiote est théoriquement possible.

Or, le droit international connaît un principe d’interprétation: le bon sens. C’est sur cette base et avec les instructions du Conseil fédéral que la délégation suisse travaille.

Il n’y a donc aucun risque que nous mettions sur l’autel de l’OMC des domaines qui n’ont rien à faire, pour la Suisse, dans la négociation internationale, comme l’approvisionnement en eau ou d’autres services publics gérés par les communes et les cantons.

swissinfo: Depuis la conférence de Seattle en 1999, l’OMC peine à lancer un nouveau cycle de négociations commerciales. La montée en puissance de nouveaux acteurs en Asie, en Amérique latine, voire en Afrique, leurs capacités plus grandes à défendre leurs intérêts, ne complique-t-elle pas de plus en plus les négociations à l’OMC?

L.W.: Ce n’est qu’une complication passagère. Mais il faut évidemment changer un certain nombre d’habitudes. Il est d’ailleurs intéressant de noter que des nouvelles puissances comme l’Inde, le Brésil ou la Chine sont des membres très constructifs et très attachés au système multilatéral. Et ce pour autant qu’ils arrivent à le modifier et en tirer plus d’avantages que dans le passé.

swissinfo: L’idée qui sous-tend l’activité de l’OMC est une division internationale du travail où chaque région du monde ferait ce qu’elle sait le mieux faire. L’appétit – apparemment sans limite – de l’Asie et d’autres régions émergentes ne rend-elle pas cette idée caduque?

L.W.: Je crois que cette idée reste valable. Et cela aussi longtemps que nous avons 700 millions de jeunes en quête de travail dans les pays du Sud. Soit ces jeunes trouvent du travail chez eux, soit ils le chercheront ailleurs.

Certes, la situation devient de plus en plus complexe. Mais il ne faut pas oublier que, si un certain nombre d’activités partent dans ces pays, ce transfert leur permet de créer des richesses. Ainsi, leurs populations pourront acheter des produits fabriqués par exemple en Suisse.

Interview swissinfo, Frédéric Burnand à Genève

En novembre 2001, l’OMC a lancé un nouveau cycle de négociations commerciales à Doha au Qatar.
En septembre 2003, la conférence ministérielle de Cancun au Mexique a consacré l’entrée en force de pays comme le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud dans l’arène des négociations.
Fin 2005, l’OMC se retrouve à Hong Kong pour un nouveau sommet sur le cycle de Doha.

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