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L’UE prend acte du renversement des forces au Liban

Dans les montagnes druzes du Chouf ou ici à Corniche al Mazra à Beyrouth, l'armée reprend le contrôle des lieux dès que les affrontements cessent. swissinfo.ch

Les combats ont nettement baissé d'intensité lundi et l'armée semble en passe de reprendre le contrôle de la situation au Liban. Mais le rapport de force a changé en faveur de l'opposition. Analyse.

«Walid Joumblatt a tenté un coup et il a perdu. (…) Nous ne sommes pas du genre a envoyer l’USS Cole mais allons insister auprès de l’opposition pour qu’elle ne cherche plus à progresser sur le plan militaire et ramène son action dans le champ politique.»

De sources concordantes, ce sont les mots utilisés par un haut responsable européen lors d’un briefing lundi à Beyrouth pour résumer l’analyse que fait l’Union des événements après une semaine de combats qui ont fait entre 60 et 80 morts au Liban.

Au niveau européen, on a intégré un renversement des forces au Pays du Cèdre depuis que les miliciens chiites du Hezbollah et de Aamal, principales composantes de l’opposition avec le Courant Patriotique Libre du général chrétien Michel Aoun, ont mis en déroute les paramilitaires du chef du Courant du Futur Saad Hariri, et forcé le chef druze Walid Joumblatt, autre ténor de la majorité gouvernementale, à livrer une grande partie de son arsenal à l’armée.

«La donne a changé»

Prudent, l’ambassadeur suisse en poste à Beyrouth, François Barras, préfère ne pas commenter l’analyse européenne mais convient «qu’effectivement la donne a changé».

«Walid Joumblatt a tenté un coup et il a perdu.» La sentence mérite analyse. D’abord, elle confirme que c’est à l’instigation du chef druze que le Gouvernement pro-américain de Fouad Siniora a annoncé, mardi 6 mai dernier à la veille d’une grande manifestation de protestation organisée par les syndicats libanais, ses décisions de muter le chef de la sécurité de l’aéroport en l’accusant d’espionnage au profit du Hezbollah et, surtout, de déclarer illégal le réseau de télécommunication du parti chiite.

Cette dernière décision avait mis le feu aux poudres étant entendu que le leader chiite Hassan Nasrallah avait clairement fait savoir que ce réseau était partie intégrante de ses moyens de défense contre l’Etat hébreu et qu’y toucher revenait à franchir une ligne rouge.

L’ombre de Washington

Les Européens ont donc estimé que ce faisant, Walid Joumblatt a «tenté un coup». Difficile de ne pas en déduire qu’il s’agissait là de pousser le Hezbollah à la faute pour débloquer dans l’épreuve de force une situation figée depuis des mois maintenant.

Un «coup» tenté sous l’aiguillon américain? Probable tant il est vrai que le Liban est (re)devenu l’entonnoir d’une série de crises régionales qui opposent Washington, et ses alliés Saoudiens et Israéliens, aux Iraniens et aux Syriens.

Les Etats-Unis ont ainsi immédiatement tenté de «capitaliser» la situation en annonçant par la voix de George Bush que «la communauté internationale ne permettra pas aux régimes iranien et syrien, à travers leurs acolytes (ndlr: le Hezbollah donc), de ramener le Liban à une domination et à un contrôle de l’étranger».

Reste que la réaction «ciblée» du Hezbollah rend difficile la mobilisation internationale souhaitée par Washington contre le parti chiite. Car loin de conduire le «coup d’Etat» précipitamment dénoncé, le Hezbollah s’est bien gardé de toucher aux institutions libanaises.

Il n’a pas envahi le Sérail, et s’est contenté, si l’on peut dire, de désarmer les partisans de Saad Hariri sans occuper le terrain ni à Beyrouth ni à Tripoli, livrant armes, prisonniers et permanences à l’armée libanaise une fois la reddition des combattants sunnites obtenue.

Unité druze mise à mal

L’offensive vers les montagnes druzes du Chouf, au sud-est de Beyrouth, a obéi au même scénario. Dès dimanche, Walid Joumblatt demandait ainsi à ses hommes de déposer les armes, à la fois pour épargner ce qui pouvait l’être de son arsenal et, peut-être, surtout, pour préserver l’unité druze au moment où son leadership est de plus en plus contesté dans sa région.

Dimanche à Choueiffat, ce sont bien des combats entre les druzes de l’opposition de Talal Arslane, et ceux acquis à la majorité de Walid Joumblatt qui ont éclaté. Talal Arslane a d’ailleurs sommé Walid Joumblatt de remettre «ses armes lourdes et moyennes à l’armée».

Est-ce à dire que le Hezbollah ressort victorieux sur tous les fronts «du coup» tenté par Joumblatt et/ou les Etats-Unis? Certainement pas. Prendre les armes contre des Libanais, fussent-ils des paramilitaires, est toujours dangereux dans un pays ravagé par 15 ans de guerre civile.

Le capital de sympathie dont jouissait le Hezbollah après avoir chassé l’armée israélienne du Liban-Sud en 2000 et avoir résisté à la guerre de juillet 2006, a été écorné dans l’opinion arabe sunnite et celle des chrétiens libanais, chez qui le fracas des armes a réveillé de terribles souvenirs.

Mais le rapport de force a incontestablement changé en faveur de l’opposition. Et le gouvernement Siniora ressort affaibli de cette confrontation. Reste à espérer que la médiation arabe qui arrive demain à Beyrouth trouvera le moyen de ramener les uns et les autres à la table des négociations, sans installer le pays dans un nouveau blocage qui conduirait fatalement à de nouvelles confrontations armées.

swissinfo, Pierre Vaudan à Beyrouth

«En plus des 800 Suisses qui vivent au Liban, nous avons localisé 95 touristes helvétiques en ce moment au Liban», indique l’ambassadeur de Suisse à Beyrouth.

François Barras précise que «les rumeurs d’évacuation qui circulent à Beyrouth sont fausses. Toutefois, nous nous préparons à toutes les éventualités et nous conseillons à ces voyageurs de quitter le pays dès que l’aéroport ouvrira.»

Depuis la guerre survenue en 2006 entre Israël et le Hezbollah, le Département fédéral des affaires étrangères déconseille d’entreprendre des voyages non urgents au Liban.

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