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L’Université de St-Gall s’ouvre aux enfants

Le professeur Franz Jaeger devant un auditoire universitaire particulier. Keystone

«D’où vient l’argent?»: 650 bambins ont suivi cette semaine à St-Gall le premier cours qui leur était destiné.

L’offensive de charme envers les plus jeunes est plus large encore: le premier journal du dimanche pour enfants va faire son apparition.

Après 45 minutes de cours intitulé «d’où vient l’argent», le professeur d’économie st-gallois Franz Jaeger a pu respirer mercredi passé. Salué par un impressionnant tonnere d’applaudissements de 650 gamins, il avait réussi son pari.

Pourtant, il n’en dormait plus depuis des semaines, a-t-il expliqué, ajoutant même: «En trente ans de métier, je n’ai jamais été aussi nerveux!»

«Les enfants apprennent très rarement à l’école comment fonctionne notre économie, a noté le recteur Peter Gomez. On a tendance à laisser ces thèmes de côté, de peur de faire peur.»

Pour commencer et expliquer que rien n’est gratuit, Franz Jaeger a choisi un conte des Frères Grimm où un âne digère des pièces d’or. «L’âne aux pièces d’or n’existe pas», a-t-il dit alors qu’une illustration d’un âne déféquant de l’or a fait hurler l’auditoire de rire.

Avec plus de 800 inscriptions, l’idée de l’Université à bel et bien fait mouche.

Pionnière en Suisse



L’Université de St-Gall (HSG, Ecole des Hautes études économiques, juridiques et sociales) est ainsi devenue la première à mettre sur pied en Suisse une «Université des enfants» sur le modèle développé pour la première fois en 2002 à Tübingen en Allemagne.

Depuis, des cours ont vu le jour à Bonn, Vienne et Innsbruck, tandis que Rome invite des professeurs de Tübingen et que Stuttgart va s’y mettre, tout comme Zurich et Bâle. En Suisse romande en revanche, pour l’instant, aucun projet n’a été lancé.

«Qu’est-ce que la publicité?» au semestre d’été
A St-Gall, les cours pour enfants deviendront partie intégrante du programme pour auditeurs libres. La HSG veut se concentrer sur ses thèmes de prédilection (économie, droit et social). Au prochain semestre, les trois cours traiteront de publicité.

Dès le mois d’avril, avec le début du semestre d’été, Bâle et Zurich lanceront également leurs premiers cours destinés aux enfants, avec une palette élargie de thèmes, plus proches de ce qu’on trouve dans les programmes allemands (12 ou 13 cours à Zurich, 5 à Bâle).

«Pourquoi les statues grecques sont-elles nues?»
«Pourquoi les plantes poussent-elles?», «Pourquoi les étoiles ne tombent-elles pas du ciel?», «Pourquoi suis-je moi?»: tels étaient quelques uns des sujets traités l’an dernier à Tübingen, grâce aux «bonnes questions que posent les enfants», comme le répètent les promoteurs des différents projets.

Toujours gratuits, les cours ne sont pas destinés aux surdoués et l’âge des jeunes auditeurs varie entre 8 et 12 ans. Les programmes comprennent aussi des excursions, des expériences en laboratoires, des visites, etc.

Pas de mission pédagogique

Les cours doivent être une «expérience», «une manière de se familiariser avec l’université», estime Daniel Süss. Ce professeur à la Haute Ecole de psychologie appliquée de Zurich participera au projet zurichois avec un cours intitulé «la télévision rend-elle vraiment bête et agressif?».

Le contenu ne doit pas, selon lui, être une obsession. «Le but n’est pas d’enseigner au sens strict, même si les plus âgés, à 12 ans, retiennent peut-être quand même quelque chose», poursuit-il.

Le projet de l’Université de Zurich sera du reste accompagné par une étude pédagogique qui doit évaluer si les enfants retirent véritablement des bénéfices de l’expérience.

Comme à Tübingen, Bâlois et Zurichois ont signé un partenariat avec un journal local, la «BaslerZeitung» et le «Tages-Anzeiger».

Les Bâlois ne cachent pas que cette initiative est aussi un instrument de relations publiques: «Les parents accompagnent leurs enfants et, eux aussi, auront peut-être moins peur de l’uni», explique Christoph Dieffenbacher, membre du groupe de travail mis en place pour le projet.

Daniel Süss évoque d’ailleurs le «besoin de légitimation» des universités, «qui doivent montrer leur rôle dans la société.»

Et le bien des enfants?

A St-Gall, certaines mamans ont admis que leurs enfants n’avaient aucune envie de venir et qu’elles avaient dû les pousser. Se pose dès lors la question de savoir si pareille entreprise permet aux têtes blondes d’en tirer quelques bénéfices réels.

Ruedi Helfer, responsable de la communication de l’Université de Fribourg, rédacteur en chef du magazine alémanique «Spick» destiné aux écoliers pendant quatre ans, émet quelques doutes.

«Je suis convaincu qu’il faut montrer aux enfants ce qu’est l’université, ce qu’est la recherche, sortir de sa tour d’ivoire. Mais je crois aussi qu’il faut trouver d’autres voies. Dans les pays nordiques et en Suisse alémanique, il y a assurément un phénomène de mode.»

«Manifestement, les universités ont besoin de dire, surtout en ces périodes de coupes budgétaires, regardez, l’uni, c’est sympa, on fait quelque chose pour les enfants!» Des auditoriums remplis de bambins, cela donne une photo charmante», conclut le spécialiste.

Le grand auditoire de St-Gall sera-t-il à nouveau plein mercredi prochain, pour la deuxième des trois leçons? Si l’on en croit les expériences faites en Allemagne, les responsables n’ont pas de souci à se faire.

swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich

– C’est l’Université allemande de Tübingen qui a lancé une première Université des enfants en 2002. 5000 écoliers l’ont suivie la première année. Suite à des chahuts, il est aussi arrivé que des cours soient interrompus.

– Le modèle a ensuite essaimé à Bonn, Vienne et Innsbruck. Rome invite des professeurs de Tübingen et Stuttgart va s’y mettre.

– En Suisse, l’Université de St-Gall s’est lancée la première dans l’aventure, avec trois cours consacrés à l’argent, trois mercredis de suite en janvier.

– St-Gall veut se concentrer sur ses thèmes de prédilection (économie, droit et social) et tiendra au prochain semestre trois cours sur la publicité.

– Bâle et Zurich, qui suivront dès avril, entendent offrir une large palette de thèmes (12 ou 13 cours à Zurich, 5 à Bâle).

– Certains responsables ne cachent pas que l’Université des enfants, 20 ans après l’instauration de cours pour les seniors, est autant un élargissement de l’offre qu’un instrument de relations publques pour légitimer la place de l’institution dans la société.

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