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L’usage du schwyzertütch en question

Frileux? Alors vous serez des "Gfrörli" en dialecte et des "kälteempfindliche Personen" en allemand standard. swissinfo.ch

En Suisse alémanique, le dialecte prend de plus en plus le pas sur l'allemand standard. Forum Helveticum estime que cela menace la cohésion du pays.

Les minorités linguistiques déplorent la disparition du bon allemand et les responsables de l’éducation celle des compétences linguistiques. Mais faut-il dramatiser ou dédramatiser?

Forum Helveticum – une association qui se veut un lieu de rencontre et de dialogue sur les questions d’actualité de la vie publique en Suisse – vient de relancer la «question des langues».

Il ne s’agit pas cette fois de savoir si la première langue étrangère que les élèves du primaire doivent apprendre doit être l’anglais ou une autre langue nationale. Dans son nouveau fascicule, l’association se penche sur le rôle des dialectes, et en particulier du suisse alémanique (schwyzertütch).

Isolement au niveau suisse et européen

Il n’existe en fait pas un dialecte alémanique, mais plusieurs dialectes plus ou moins apparentés entre eux. Pratiquement chaque canton germanophone connaît son propre dialecte. Mais on trouve également des dialectes alémaniques dans le sud de l’Allemagne (Souabe) et en France (Alsace).

La publication de Forum Helveticum met en lumière l’aspect négatif du dialecte en Suisse alémanique où son usage est beaucoup plus important que dans le reste du pays.

Le schwyzertütch est certes un instrument qui renforce l’identité, mais il conduit les jeunes Alémaniques à une perte de la maîtrise de l’allemand standard et, par conséquent, à un isolement au niveau suisse et européen.

Difficile de se comprendre

Il n’est pas facile d’apprendre le schwyzertütch sans vivre au quotidien en Suisse alémanique. Il est en effet très varié et n’ouvre pas de portes vers un patrimoine culturel écrit très important. Par ailleurs, les manuels scolaires enseignent uniquement l’allemand standard.

C’est peut-être de là que provient le sentiment de frustration des minorités – en particulier des francophones et des italophones. Ceux-ci se sentent en effet exclus lorsqu’ils se retrouvent parmi des Suisses alémaniques parlant dialecte.

«Il ne faut pas exagérer, affirme toutefois le linguiste Beat Siebenhaar qui a consacré une bonne partie de ses recherches aux dialectes de la Suisse alémanique. Ceux qui viennent chez nous doivent se confronter à la langue du lieu et cette langue est le schwyzertütch. Mais les gens connaissent et utilisent aussi l’allemand standard. Certes pas avec la même facilité, mais ils le font.»

Il s’agirait en somme de demander l’usage du bon allemand, de communiquer et de ne pas toujours attendre que l’«autre» fasse le premier pas.

Un problème surtout pour les Latins

La gêne des minorités et la fatigue des Suisses alémaniques face aux reproches explique en partie pourquoi la publication de Forum Helveticum a trouvé un large écho dans les journaux de la Suisse francophone et italophone, mais qu’elle a été pratiquement ignorée par ceux de la Suisse alémanique.

«Je crois que c’est en Suisse romande que l’on souffre le plus de cette communication difficile», déclare Anne-Claude Berthoud, linguiste et présidente de l’Académie suisse des sciences humaines et sociales.

Le problème est plus politique que linguistique. «Il ne s’agit pas de dévaluer le dialecte, mais de contribuer à lui donner son juste espace qui ne doit pas représenter tout l’espace linguistique. Il faut insérer le schwyzertütch dans un système plus vaste», affirme Anne-Claude Berthoud.

Un système plus vaste, c’est-à-dire un système européen où, grâce à de bonnes compétences dans une langue standard, les Suisses alémaniques pourraient se sentir davantage chez eux et voir les contacts avec leurs voisins facilités.

Mais pour Beat Siebenhaar, «le problème n’est pas tant dans la communication entre des personnes qui ne parlent pas la même langue, mais plutôt dans une perte des compétences dans la langue standard».

Une culture à conserver

Ce problème lié à des compétences linguistiques insuffisantes a également été soulevé par l’étude internationale PISA. Celle-ci avait en effet montré comment les jeunes Alémaniques avaient de la peine à comprendre un texte écrit en bon allemand.

«Je crois qu’il est important d’intervenir, conclut Anne-Claude Berthoud. Il faut donner aux petits Alémaniques les moyens de bien apprendre l’allemand standard qui fait partie de leur culture. Un détachement du patrimoine culturel historique qui est lié à l’allemand signifie aujourd’hui aller vers une culture globale, une culture de personne. Cela signifie enlever de la substance à la langue.»

En somme, les Suisses alémaniques perdraient un parent et ne pourraient plus dire comme l’écrivain Friedrich Dürrenmatt: «le suisse alémanique est ma langue maternelle, l’allemand ma langue paternelle».

swissinfo, Doris Lucini
(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

Selon le recensement de l’an 2000:
63,7% de la population indique l’allemand comme langue principale (dialectes alémaniques à l’oral et allemand standard à l’écrit)
20,4% le français
6,5% l’italien
0,5% le romanche
9% d’autres langues

– Forum Helveticum – association présidée par l’ancien ministre Arnold Koller – a publié un fascicule intitulé «Dialecte en Suisse (alémanique) – Entre identité locale et cohésion nationale».

– Les auteurs citent les problèmes liés à l’usage toujours plus répandu du dialecte en Suisse alémanique: diminution des compétences en allemand standard, problème dans le cadre professionnel, isolement international, difficultés pour communiquer avec les minorités linguistiques du pays.

– La publication – en allemand et en français – peut être obtenue gratuitement auprès de Forum Helveticum.

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