Des perspectives suisses en 10 langues

La «Panne» de Dürrenmatt, entre bouffe et ennui

La Panne... en panne d'humour? Mario Del Curto

Parodie cinglante de la Justice, la célèbre pièce de Friedrich Dürrenmatt est présentée à Genève, avant Monthey, Neuchâtel et Fribourg. Un spectacle en panne d’humour, signé Jean-Yves Ruf.

Il ne retenait pas sa langue, Friedrich Dürrenmatt. Elle lui a valu sa notoriété et son embonpoint, deux caractéristiques mises en valeur dans le foyer du théâtre, avant même que le public n’entre dans la petite salle de Carouge où se joue «La Panne».

«La Panne» dans toutes les langues, y compris l’arabe, annonce donc, sous forme de petites affiches accrochées au mur, l’humour perfide et noir de Dürennmatt, reconnu dans le monde entier. En face, de l’autre côté, des photos de l’écrivain, un homme bien en chair, qui semble adorer la bonne chère au point de lui accorder la part du lion dans ses pièces ou romans.

Était-il gourmet Friedrich Dürrenmatt? A en juger par sa «Panne», on dirait plutôt que c’était un bouffeur. Un bouffeur d’hommes aussi. Ce qu’a très bien compris Ettore Scola qui, en 1972, adapta au cinéma «La Panne», sous le titre «La piu bella serata della mia vita». Une bouffonnerie.

Pantalonnade italienne

Au menu de cette pantalonnade italienne, dont de larges extraits sont donnés dans le foyer du théâtre également, il y a des spaghettis enterrés sous une bolognaise saignante, et cinq hurluberlus dont un qui s’appelle Rossi.

Rossi, joué par l’ineffable Alberto Sordi, est prêt à être avalé en une soirée copieusement arrosée de champagne. Il est très riche et débarque en Suisse pour y déposer son argent. En pleine montagne (délicieuses courbes alpines), sa voiture tombe en panne. On lui recommande le château d’un notable du coin, qui se trouve être un ancien juge. Rossi y est logé et découvre un cercle de vieux copains, resserré autour d’un procureur, d’un avocat et d’un bourreau qui passent leurs soirées à reconstituer des procès.

Cette bande de fous à la retraite propose donc à Rossi de jouer le personnage de l’accusé. Le pauvre homme accepte et se trouve pris au piège d’un rôle qui le dépasse.

On connaît le goût prononcé de Dürrenmatt pour la parodie, accentuée par Ettore Scola qui propulse «La Panne» dans l’univers de la Commedia dell’arte. Le juge et ses amis, affublés d’une queue-de-pie rouge (couleur de l’ordre judiciaire et du drapeau suisse accessoirement), ont tout de la marionnette qui s’agite dans un castelet, ici succédané d’un tribunal.

La Justice, que Dürrenmatt ne portait pas dans son cœur, en prend pour son grade. Conditions rocambolesques d’un procès qui s’achève comme il a commencé dans une bonne humeur troublante.

Menu gastronomique

Entrons maintenant dans la petite salle de Carouge où Jean-Yves Ruf met en scène la version radiophonique de «La Panne» (Dürrenmatt en avait écrit trois versions: une romanesque, choisie par Ettore Scola, une pour la scène et une pour les ondes). Rossi n’y est plus Rossi, mais Alfredo Traps (Jean-Yves Ruf), représentant en textile qui lui aussi tombe en panne, se fait héberger par le juge, accepte son rôle d’accusé et se laisse juger comme un criminel.

A quelque chose près, la trame est la même. Ce qui change, c’est l’atmosphère et la légèreté qui va avec. Du film d’Ettore Scola (auquel le metteur en scène envoie un clin d’œil), il ne reste que la queue-de-pie, réplique d’une Justice de parade qui abandonne ici le rouge pour la couleur noire.

Tout est noir dans ce spectacle en panne d’humour, bercé par le tic-tac obsédant d’un coucou (suisse?!) qui égrène les minutes et fait suinter l’ennui. La force du simulacre se dilue dans un jeu trop sérieux, trop triste pour faire surgir la farce. Ce qui demeure, c’est un goût amer, édulcoré néanmoins par le fumet d’un dîner, un vrai, que partagent le juge et ses acolytes.

Au menu: une soupe à la tortue, des huitres, des champignons à la crème, des rognons… Le tout accompagné de divins breuvages. De quoi exciter les papilles du public et garder une connivence avec Dürrenmatt. Le reste n’est que dissonance.

«La Panne» de Friedrich Dürrennmatt, mise en scène Jean-Yves Ruf.

Avec Maurice Aufair, Michel Casssagne, Bruno Dani, Jean-Yves Ruf (en alternance avec Roland Vouilloz) et Roland Sassi.

Genève, Théâtre de Carouge, jusqu’au 19 décembre. Reprise du 8 au 13 février.

Monthey, Théâtre du Crochetan, 21 décembre

Neuchâtel, Théâtre du Passage, du 21 au 23 janvier 2011

Fribourg, Nuithonie, 26 et 27 janvier 2011

Né en 1921 dans le canton de Berne.

Dramaturge, metteur en scène, romancier et peintre, il produit une œuvre d’une grande profondeur humaine.

Il s’impose dans le paysage littéraire grâce à ses romans policiers et ses pièces de théâtre.

«La Visite de la vieille dame» lui vaut la célébrité, en 1956, et fait le tour du monde.

Son esthétique de la distance utilise le grotesque comme moyen d’expression.

Son œuvre est traduite dans plus de 40 langues.
Il meurt à Neuchâtel, en 1990.

Metteur en scène, comédien et pédagogue franco-suisse.

Après une formation littéraire et musicale, il entre à l’Ecole d’art dramatique du Théâtre national de Strasbourg (1993-1996).

En 2000, il se forme à la mise en scène.

Depuis janvier 2007, il dirige la Haute Ecole de Théâtre de Suisse romande (HETSR).

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision