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La Fée est libérée

Emmenée par les gendarmes, la Fée verte a ensuite été libérée de sa cage. Keystone

Ce 1er mars, jour anniversaire de l’indépendance neuchâteloise, l’interdit qui frappait la fabrication et la détention d’absinthe depuis 1908 est levé.

Au Val-de-Travers (NE), berceau de la Fée verte, on fête officiellement et symboliquement l’événement, même si la légalisation ne réjouit pas tout le monde.

La fée Ludivines, vêtue de vert, a quitté la gendarmerie de Môtiers mardi matin, emmenée dans une cage par les policiers. Un cortège l’a accompagnée jusqu’aux Six-Communes au cœur du village neuchâtelois. C’est là qu’elle a été libérée de sa geôle.

Un acte symbolique pour célébrer la libération de la vraie Fée verte. Ce 1er mars, les Neuchâtelois ont pu fêter l’anniversaire de leur indépendance, jour férié dans le canton, en consommant de l’absinthe en toute légalité.

Légale, sous conditions

La nouvelle législation fédérale sur l’alcool et les denrées alimentaires est en effet entrée en vigueur mardi. Le texte lève l’interdiction qui frappait l’absinthe, mais fixe dans le même temps les conditions de sa légalisation.

Ainsi, «la légale», comme on l’appelle dans le Val-de-Travers, ne doit pas dépasser 35 mg de thuyone (substance toxique présente dans la plante) par kilo d’absinthe sèche.

«Ce sera comme boire du décaféiné, lance Pierre-André Delachaux. Pour ma part, je vais essayer de déguster de l’absinthe clandestine – la vraie – le plus longtemps possible. Et quand elle aura disparu… je me mettrai au whisky!»

Ce professeur d’histoire et auteur de plusieurs ouvrages sur l’absinthe a longtemps milité contre la légalisation de la Fée verte pour préserver la magie de l’interdit et l’authenticité du produit (voir encadré).

Une AOC pour le Val-de-Travers

Aujourd’hui, Pierre-André Delachaux renonce à poursuivre «un combat qui n’aurait plus de sens. L’interdiction est levée. Maintenant, il faut se battre pour obtenir une AOC, afin que le Val-de-Travers récupère au moins quelque chose».

Accueillant dès le début la libéralisation avec enthousiasme, l’Association Région Val-de-Travers (ARVT) est immédiatement partie sur cette voie-là.

«La demande d’Appellation d’Origine Contrôlée ne pouvait pas être déposée officiellement avant la levée de l’interdiction, précise Julien Spacio, secrétaire régional de l’ARVT. Mais nous avons entamé les discussions depuis longtemps déjà.»

Berceau de la Fée

Reste encore à fixer certains critères. Il s’agit notamment de prouver que, pour la population suisse, le mot absinthe est étroitement lié au Val-de-Travers. Historiquement, ce ne sera pas difficile d’établir ce lien.

Mais les Neuchâtelois devront sans doute faire face à plusieurs oppositions, car d’autres régions s’intéressent à ce marché. Le Valais, par exemple, produit déjà une sorte d’absinthe.

«C’est essentiel pour le Val-de-Travers de conserver cette maîtrise de la fabrication au niveau suisse, souligne Julien Spacio. Au-delà de nos frontières, ce n’est pas envisageable. On ne peut pas interdire à la Tchéquie d’en produire, même si à nos yeux leur boisson n’a rien à voir avec l’absinthe.»

Avenir des clandestins

Au final, c’est surtout l’avenir des petits distillateurs clandestins qui est remis en question. Actuellement, ils seraient entre 60 et 80 au Val-de-Travers. Avec la levée de l’interdiction, certains d’entre eux pourront continuer leur activité dans la légalité.

Mais, pour l’instant, les producteurs ne se battent pas pour obtenir une concession. Quatre ou cinq demandes ont été déposées jusqu’à présent, selon l’ARVT. Et il semble que des coopératives (comme celles mises en place pour le vin) sont en train de se constituer.

«Plusieurs producteurs peuvent s’associer et déposer une demande de concession commune. Ce serait l’occasion pour les ‘distillateurs du dimanche’ de continuer leur activité sans avoir une trop forte pression au niveau de la productivité», observe Julien Spacio.

Quant aux rebelles, ils continueront à fabriquer, sans autorisation, de l’absinthe illégale, contenant un plus fort taux de thuyone. Tant que le mythe de la ‘vraie absinthe’ survivra, ils devraient trouver des clients.

swissinfo, Alexandra Richard

Le gouvernement a fixé au 1er mars 2005 l’entrée en vigueur de la nouvelle législation sur l’alcool et les denrées alimentaires.
La loi lève l’interdit qui frappait la fabrication et la détention d’absinthe à des fins commerciales depuis 1908.
Elle fixe aussi les conditions de sa légalisation. L’absinthe ‘légale’ ne doit pas contenir plus de 35 mg de thuyone (substance nocive présente dans la plante) par kilo d’absinthe sèche.

– La première recette d’absinthe serait celle de Henri-Louis Pernod, à Couvet, en 1798. Mais elle pourrait lui avoir été transmise par Henriette Henriod.

– Boisson des artistes, puis symbole de la déchéance, la Fée verte est interdite dès 1908 en Suisse et dès 1915 en France.

– Malgré la prohibition, l’absinthe survit au Val-de-Travers. Pendant près d’un siècle, cette petite région va braver les interdits et produire de la Fée verte clandestinement.

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