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La fin du squat emblématique de Genève

Canons à eau et gaz lacrymogènes ont marqué la fin du squat Rhino. Keystone

Le squat Rhino est tombé lundi après presque 20 ans d'occupation lors d'une intervention policière musclée qui a donné lieu à quelques débordements dans la soirée.

Cette évacuation marque la fin d’une époque. Après des années de tolérance, la justice et les autorités genevoises ont opté pour la manière forte. La droite est ravie mais des critiques fusent à gauche.

La nuit a été relativement calme à Genève après l’évacuation du squat Rhino lundi après-midi. Des bouteilles incendiaires ont été lancées sur des locaux de police mais sans faire de dégâts importants. Deux personnes ont été interpellées pour violence et émeute. Un policier a été blessé.

Les 22 squatters interpellés lundi étaient libres mardi matin. La police leur a indiqué que leurs affaires «seront collectées par l’entreprise mandatée par le propriétaire et pourront être récupérées plus tard», selon son porte-parole.

500 manifestants

L’évacuation a été ordonnée par le procureur général Daniel Zappelli et le chef du Département des constructions Mark Muller (libéral, droite).

Quelque 500 sympathisants se sont alors massés devant les deux immeubles à la célèbre corne rouge. Présente en nombre, la police a peu à peu évacué les 22 squatters durant l’après-midi. Alors que la tension montait, les forces de l’ordre ont fait usage de canons à eau pour tenter de disperser la foule.

Dans l’ensemble, l’opération s’est déroulée plutôt calmement compte tenu de l’hostilité de la foule. Le face à face s’est poursuivi toute la soirée et une personne a été interpellée de manière musclée.

Les camions de déménagement et les ouvriers sont arrivés sur place peu après. Emblème du squat, la corne rouge qui pointait sur la façade a été démontée.

Evacuation attendue

Cela faisait deux semaine que gauche et droite s’affrontaient sur cette évacuation, attendue depuis celle du squat voisin de la Tour, le 10 juillet.

«Il y a un moment où l’ordre doit être rétabli», a déclaré à la presse le procureur général Daniel Zappelli, entouré des conseillers d’Etat Mark Muller et Laurent Moutinot (socialiste).

Ce dernier, chef du Département des institutions, a justifié l’évacuation par deux décisions, l’une pénale et l’autre administrative. «Le Ministère public a donné l’ordre d’évacuer les occupants illicites sur la base d’une plainte pour violation de domicile déposée par le propriétaire», a souligné M. Zappelli.

La décision administrative relève de Mark Muller, qui a ordonné au propriétaire de rénover ses immeubles pour cause de «salubrité, sécurité et habitabilité». Le propriétaire ne pouvant effectuer ces travaux en raison de l’occupation des lieux, Mark Muller a fait appliquer cette décision.

Imbroglio juridique

Pierre Bayenet, avocat du collectif Rhino, a dénoncé une opération «illégale et scandaleuse». Tant qu’il n’y a pas de jugement d’évacuation, une opération de police est illégale, a répété Me Bayenet.

Sur le plan civil, la procédure est effectivement encore en cours. Le Tribunal des Baux et loyers doit se prononcer sur l’existence d’un bail tacite. Ensuite, le tribunal de première instance devrait théoriquement rendre une décision sur une évacuation.

Le procureur général et les conseillers d’Etat se sont défendus d’avoir utilisé un tour de passe-passe pour contourner cette procédure. Dès lors qu’il existe une plainte pénale et un projet pour des logements, il faut intervenir.

La fin des squats genevois?

«La justice interviendra chaque fois que c’est nécessaire», a lâché M. Zappelli, laissant présager d’un avenir sombre pour les 26 autres squats genevois.

Le monde politique est en ébullition et les réactions indignées de la gauche ne se sont pas faites attendre. Sur place, les membres de la municipalité Sandrine Salerno (socialiste) et Rémy Pagani (extrême gauche) ont fustigé la «méthode Zappelli».

Le Parti socialiste et les Verts, qui comptent 4 élus sur les 7 membres du gouvernement cantonal, n’ont pas publié de communiqué.

Dans la gauche dure, solidaritéS, le Parti du travail et les communistes ont aussi critiqué l’opération.

La droite affiche par contre un large sourire. «Il est temps de tourner la page», selon les libéraux. La Chambre genevoise immobilière estime que l’évacuation des squats de la Tour et de Rhino consacre le respect de la protection de la propriété.

Mardi, la presse genevoise est revenue sur les graves problèmes causés par la pénurie de logements et la spéculation immobilière, estimant que l’évacuation de lundi ne favorise pas la paix du logement, signé en décembre sous la houlette de Mark Muller.

Contre-attaque

Mardi, les ex-squatters ont déposé un recours auprès de la commission de recours LCI. Les artistes, créateurs de la corne, pourraient également porter plainte pour destruction de propriété.

Alors que les ouvriers démolissent déjà les sanitaires, des mesures urgentes ont été demandées à la commission LCI (loi sur les constructions et installations diverses), a indiqué Carole Anne Kast, vice-présidente du PS. Cette instance tranche les recours en matière d’autorisation de construire.

swissinfo et les agences

Le mouvement squat s’est développé à Genève dans les années 1980, sur fond de grave pénurie de logements et d’une spéculation immobilière galopante.

Dans les années 1990, jusqu’à 160 immeubles étaient occupés par environ 2000 personnes. Actuellement, il reste 26 squats genevois.

Avril 1988: création de l’association Rhino.

Novembre 1988: occupation des immeubles vides depuis des années des 12-14 boulevard de la Tour et du 24 boulevard des Philosophes.

1990-1994: deux projets de rénovation sont refusés.

1997: la Ville puis le canton refusent de racheter les immeubles.

Décembre 1997: échec des négociations entre les propriétaires et Rhino pour racheter les immeubles.

1998: les immeubles changent de mains.

2003: la municipalité rose-verte tente d’acquérir les immeubles, mais les propriétaires refusent.

2005: une initiative est déposée, qui sera déclarée irrecevable. En novembre Rhino saisit le Tribunal fédéral pour faire annuler l’ordonnance d’évacuation prononcée par le procureur général.

Janvier 2007: l’association Rhino est dissoute.

11.07.2007: le squat voisin de la Tour est évacué.

23.07.2007: la police procède à l’évacuation de Rhino.

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