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La flamme de Juan Antonio Samaranch s’est éteinte

Infatigable, Juan Antonio Samaranch était encore en 2008 aux Jeux de Pékin. Keystone

L’ancien président du CIO est décédé mercredi dans un hôpital de Barcelone. En 21 de règne, ce Lausannois d’adoption a fait de l’olympisme une énorme machine sportive, spectaculaire et commerciale, bien loin des idéaux d’amateurisme du baron de Coubertin.

Juan Antonio Samaranch a présidé le Comité international olympique (domicilié à Lausanne) pendant 21 ans, deuxième règne le plus long après celui du baron Pierre de Coubertin, «père» des Jeux de l’ère moderne, à la tête de l’organisation de 1896 à 1925.

Homme d’influence et de réseaux, Juan Antonio Samaranch, l’un des Espagnols les plus connus dans le monde, était un touche-à-tout.

Gros sous

A son arrivée, le CIO était quasiment en faillite, les Jeux avaient été victimes de boycott (Moscou en 1980, avant Los Angeles en 1984), frappés par le terrorisme (Munich 1972) et les problèmes financiers.

Les coffres du CIO regorgent désormais de milliards de dollars, l’ère des boycotts est terminée et les Jeux sont l’événement sportif le plus populaire de la planète. Pourtant, le règne de l’homme qui a professionnalisé l’olympisme a aussi été entaché de scandales.

Parmi eux, la plus grosse affaire de corruption jamais connue par le CIO, qui a conduit à la purge de dix membres ayant bénéficié de plus d’un million de dollars en liquide, cadeaux et livres destinés à assurer le succès de la candidature de Salt Lake City en 2002.

«Ce que je regrette, que je regrette vraiment, c’est ce qui s’est passé à Salt Lake City», reconnaissait Samaranch, marqué par cette affaire qui a réellement mis en danger l’olympisme. L’Espagnol avait pourtant su s’en tirer, en lançant un train de réformes et notamment en interdisant aux membres de se rendre dans les villes candidates.

Dopage

L’ère Samaranch restera également marquée par une flambée des affaires de dopage avec comme point culminant les Jeux de Séoul, en 1988, où le Canadien Ben Johnson, vainqueur du 100 mètres, épreuve-reine de l’athlétisme et des JO, a été convaincu de dopage et exclu des Jeux.

D’autres ont suivi. Le CIO a organisé début 1999 une conférence internationale qui a débouché sur la création de l’Agence mondiale anti-dopage (AMA).

Son premier président, Dick Pound, a cependant déclaré que Juan Antonio Samaranch n’avait jamais été un ardent partisan de la lutte contre le dopage.

Ministre de Franco

Né le 17 juillet 1920 à Barcelone dans une riche famille catalane d’industriels du textile, Juan Antonio Samaranch se consacre d’abord à l’entreprise familiale. Sportif amateur, il organise en 1951 les premiers Championnats du monde de rink-hockey (hockey sur patins à roulettes) dans sa ville, et conduit la sélection nationale au titre.

Un succès sans précédent qui lui vaut la reconnaissance du général Francisco Franco, dont il fut lui-même un fervent admirateur et le secrétaire d’Etat aux sports à partir de 1966, poste qu’il occupera jusqu’en 1977, deux ans après la mort du dictateur.

Anobli par le roi

Diplômé de l’Institut supérieur d’études d’entreprises de Barcelone, professeur d’économie, il devient alors président de la puissante Caisse d’épargne de Catalogne, puis député à la «Diputacion» (Conseil provincial) de Barcelone avant d’en devenir le président.

Membre élu du CIO depuis 1966, il est le premier ambassadeur d’Espagne (1977-1980) à Moscou après la reprise des relations diplomatiques avec l’URSS. Vice-président du CIO (1974-1978), il accède à la présidence en 1980 avant d’être reconduit, à trois reprises, dans ses fonctions (1989, 1993 et 1997).

Il reçoit en 1991 le titre de marquis par le roi d’Espagne Juan Carlos pour son implication dans le mouvement olympique et l’attribution des JO-1992 à Barcelone.

«Enorme effort»

Le 1er octobre 2000, Juan Antonio Samaranch avait qualifié les jeux Olympiques de Sydney, ses derniers en tant que président du CIO, de «meilleurs de tous les temps».

Veuf de Maria Teresa Salisachs-Rowe, décédée le 16 septembre 2000, héritière d’une grande dynastie du textile de la Catalogne, il était père de deux enfants, Maria Teresa et Juan Antonio Jr, élu membre du CIO en juillet 2001.

Sa fin de présidence, correspondant à un passage de relais avec son fils, a été marquée par plusieurs problèmes de santé. Il avait été hospitalisé à Lausanne le 17 juillet 2001, jour de ses 81 ans, «en raison d’une extrême fatigue» liée au congrès du CIO à Moscou. La veille, il avait annoncé, depuis la capitale russe, l’élection de son successeur, le Belge Jacques Rogge, trois jours après avoir désigné Pékin pour l’organisation des JO de 2008.

Le mois suivant, des complications d’hypertension artérielle liées «à un énorme effort avant et après» le congrès à Moscou avaient nécessité son hospitalisation à Barcelone.

Après deux nouveaux séjours à l’hôpital en 2007 et 2009, il a été admis ce mardi 20 avril à l’hôpital Quiron de Barcelone dans un état «très grave» en raison d’une «insuffisance coronarienne aiguë». Il est mort le lendemain à 13h25 d’un «arrêt cardio-respiratoire».

Echec à Madrid

Juan Antonio Samaranch, président d’honneur à vie du CIO, n’a jamais ménagé ses efforts après son départ, faisant tout pour ramener les Jeux en Espagne, après ceux de Barcelone en 1992. Mais son soutien n’avait pas suffi à Madrid en 2005 pour décrocher les JO de 2012, attribués à Londres.

Il avait repris du service en octobre 2009, volant à Copenhague pour tenter une nouvelle fois «d’aider Madrid avec (ses) mots, rares mais importants». Mais la capitale espagnole avait été battue en finale par Rio de Janeiro pour l’organisation des JO-2016.

swissinfo.ch et les agences

L’ancien président du CIO a vécu une vingtaine d’années au Lausanne Palace, un cinq étoiles où il se sentait «comme chez lui». Depuis son retrait du CIO, il faisait encore régulièrement la navette entre Barcelone et Lausanne.
De Suisse, les voix sont nombreuses à lui rendre hommage.

Doris Leuthard, présidente de la Confédération: Juan Antonio Samaranch a marqué le mouvement olympique. Pendant de nombreuses années, il a fait figure de symbole pour tous les sportifs qui rêvaient d’une participation aux Jeux.

Daniel Brélaz, maire de Lausanne: Il a joué un rôle extraordinaire dans le développement du CIO et son implantation à Lausanne. Ma reconnaissance émue va à cet homme chaleureux, ouvert et très spontané. Il était généreux pour les projets qu’il défendait, prêt à s’investir fortement. Il est l’un de ceux qui ont créé le dynamisme actuel du canton de Vaud et de la région lausannoise.

Le gouvernement du canton de Vaud exprime mercredi sa profonde reconnaissance à Juan Antonio Samaranch, pour avoir favorisé le rapprochement du canton avec la famille olympique. Durant deux décennies, il a facilité et encouragé l’organisation de manifestations et l’installation de fédérations sportives internationales sur le territoire vaudois.

Jean-Daniel Mudry, directeur des candidatures olympiques Sion 2002 et 2006: Je pense que sous sa présidence, Juan Antonio Samaranch aurait aimé donner les JO à la Suisse. Arès le rejet par la population de la candidature de Lausanne, il nous a rendus attentifs à l’importance du soutien populaire. Sa contribution au mouvement olympique a été majeure. Il a su moderniser et valoriser les Jeux.

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