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La génération internet au festival Visions du Réel

Dans «Twenty show Le film», Crig parle d'amour et d'une prétendante qu'il va gentiment éconduire. vdr

A partir de cinq journaux intimes fictionnels et les réactions des internautes à travers leurs vidéos-blogs, Godefroy Fouray et François Vautier ont tiré un portrait en creux de la génération internet, présenté à Nyon en compétition. Entretien.

«L’objectif, dans la vie, c’est d’être heureux. Je conseille à tout le monde de crever de rire devant le journal de 20 heures. Je m’appelle Dimitri, 20 ans, je veux être graphiste, puis retraité.»

«Twenty show Le film» est une mosaïque, un caléidoscope d’images léchées ou rugueuses, de mots choisis et de silences, de larmes et de doutes, de «déconne» et de vérité. Ce film est un pari osé et gagné sur la capacité d’internet à drainer la matière humaine.

Conçue par Bruno Nahon et Arte, l’idée a donc consisté à publier cinq blogs-vidéos intimes fictionnels à épisodes sur le site de la chaîne et sur MySpace.

Les internaute de cette génération oscillant entre 15 et 20 ans ont été incités à y faire écho par le biais de leur propre blog-vidéo. C’est à partir de là que sont intervenus avec humilité Godefroy Fouray et François Vautier…

swissinfo: Qu’est-ce qui vous a conduits à empoigner ce sujet?

Godefroy Fouray: C’est une commande. Nous sommes intervenus après le tournage des fictions par différents réalisateurs, au moment de monter l’ensemble de ce matériel. Les fictions étaient diffusées, les premières contributions arrivaient.

swissinfo: Et comment vous y êtes-vous pris?

G.F.: Nous avons récupéré les éléments sur internet d’une part, les fictions de l’autre, pour commencer à monter un documentaire. Un portrait générationnel. C’était l’idée générale.

On avait des tas d’options possibles. On aurait pu se servir des commentaires rédigés sur internet et les mettre en scène, soit par des voix off ou avec des cartons. On aurait aussi très bien pu enlever toutes les fictions pour ne garder que les contributions. Bruno Nahon, de la production, était complètement ouvert.

Notre intervention a consisté en un gros travail de montage. Notre recherche de structure a été hasardeuse, par tâtonnement. On ne trouvait pas de fil directeur. Aucune méthode miraculeuse, du style: là on fait des blocs de fiction, ensuite une transition, puis une contribution en entier, du plan-séquence… Ça ne marchait pas.

swissinfo: Et alors?

G.F: On a commencé à trouver des solutions à partir du moment où on a totalement décortiqué les rushes. On s’est arrêté dans le montage, on a tout dérushé, noté, annoté. Pour se rendre compte que même entre les fictions et les contributions, même lorsque les sujets différaient, les choses se répondaient, s’opposaient, se recoupaient. Bref, des liens se créaient.

On a donc commencé à créer de petits blocs. Parfois thématiques, parfois juste constitués de deux plans qui s’associaient ou se répondaient. Les choses ont grossi, sont devenues des blocs thématiques beaucoup plus structurés, avec un début et une fin.

Le film s’est créé comme ça, par petits morceaux, éloignés les uns des autres, par séquences. Ensuite, il a fallu leur trouver un agencement global, pour aller quelque part.

Les intervenants parlent au départ d’éléments plus matériels et contextuels – d’internet, de leur boulot, de leur situation par rapport au logement – pour arriver à des choses plus personnelles, plus intimes et plus abstraites – qui est-on à vingt ans? Que fait-on? Pourquoi est-on là?

Ceci dit, j’ai fini par me faire à l’idée que, venant d’internet, ce film fonctionne aussi comme une espèce de navigation. Sur internet, on clique, pour passer d’un élément à l’autre. Le film évolue aussi, parfois, comme ça.

swissinfo: Travailler sur un matériau déjà tourné, n’est-ce frustrant pour un réalisateur?

G.F.: Même si nous sommes les réalisateurs du film présenté en l’état, c’est un film contributif. On s’est posé beaucoup de questions en abordant ce travail. Le concept nous paraissait très ambitieux, très casse-gueule.

On n’était pas certains d’avoir des contributions en nombre, de leur qualité sur le plan du contenu. C’était un pari.

Mais il n’y a eu pas de frustration. Au contraire, l’expérience s’est avérée très intéressante. Nous avons autant construit, sans manipuler, que nous nous sommes laissés guidés par les contributions, en les respectant complètement. Et en respectant cette forme qu’est le blog.

swissinfo: Au final, observez-vous que cette génération est différente des précédentes?

G.F.: D’abord, il s’agit d’un portrait générationnel non-exhaustif. Ensuite, nous nous sommes retrouvés en eux à plein d’égards. Mais il y a des différences, marquées, très nettes, parfois choquantes pour nous.

Nous sommes nés à l’ère de la télévision. Nos rapports à l’image ou à l’intimité sont complètement différents. Eux intègrent entièrement le fait de faire des images, de se mettre en scène.

Beaucoup ont créé des personnages pour parler d’eux-mêmes. Ce qui les a libérés. Ils se sont servis du dispositif mis en place en vue du film pour reproduire le modèle. Ils ont créé une série d’interventions, comme une petite histoire.

Dans cette génération, ils savent monter, filmer, ils ne montrent pas de gêne devant la caméra, ils parlent très naturellement. Ce sont même, pour certains, des bêtes de scène. Ceci est une chose. L’autre aspect, c’est l’intimité. Internet crée un rapport paradoxal à l’intimité.

J’ai l’impression que pour eux, internet n’est ni un espace privé ni un espace public. C’est parfois l’un et l’autre, l’un ou l’autre ou entre les deux. Du coup, ils y expriment des choses très personnelles. Beaucoup de barrières sautent. Ils n’ont plus nos a priori et sont moins inhibés, tout en ayant toujours les problèmes de leur âge.

Pierre-François Besson, Nyon, swissinfo.ch

Actif dans la pub, à la tv comme le long métrage, Godefroy Fouray, la quarantaine qui approche, est spécialisé dans la postproduction des images, et notamment la colorisation numérique.

Ancien graphiste, François Vautier est un pionnier du numérique en télévision passé à la réalisation («Le P’tit bleu» en 2000, «Déjà vu» en 2006).

«Twenty show Le film» (France, 2009, HDV, 70′), qui est leur premier documentaire, sera diffusé sur la chaine Arte lundi 11 mai.

Dates. La 15e édition de Visions du Réel à Nyon se déroule jusqu’à mercredi 29 avril avec palmarès le même soir.

Œuvres. Plus de 150 films sont à découvrir dont 20 (de 16 pays) en compétition internationale. Jury international: Molly Dineen, Sally Berger, Fernand Melgar et Hollman Morris.

Catégories. Le festival se décline en dix sections et deux ateliers consacrés aux Libanais Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige ainsi qu’au Kazakhe Sergey Dvortsevoy.

Spécial. Sont programmées des soirées autour du double anniversaire du festival, des dix ans du réseau Eurodoc, des 20 ans de la chute du mur de Berlin, de la création documentaire sur internet, etc.

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