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La justice suisse maintient un prêtre rwandais en prison

L'église Saint-Paul, à Cologny, où officiait notamment Emmanuel Rukundo. Keystone

L'abbé Emmanuel Rukundo avait été arrêté le 12 juillet à Genève sur requête du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Saisi d'un recours, le Tribunal fédéral vient de confirmer la régularité de cette arrestation. Le prévenu, accusé de génocide, reste en prison.

Présumé coupable de génocide, ou alternativement de complicité au génocide, de meurtre et d’extermination en tant que crimes contre l’humanité, l’abbé Emmanuel Rukundo avait contesté son arrestation et sa détention, lesquelles ont été décidées en vue de son extradition et de son transfert au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

A Lausanne, le Tribunal fédéral vient de statuer sur une partie de ces objections. Selon lui, cette arrestation a été ordonnée et exécutée dans les formes et en toute régularité, par l’autorité compétente et dans le respect de la Convention européenne des droits de l’homme.

La scène avant le prétoire

Mais la plus haute instance suisse ne se prononce pas encore sur l’opposition de l’abbé Rukundo à son transfert à Arusha, en Tanzanie, au siège du TPIR. Selon son avocat, ce tribunal international expressément institué pour juger les principaux responsables du génocide rwandais n’offrirait pas de garanties suffisantes d’indépendance.

A l’époque du génocide rwandais, l’abbé Rukundo était aumônier militaire. Quelques années plus tard, après un séjour à Rome, il s’installait en Suisse. Au moment de son arrestation, en juillet, il exerçait un ministère de vicaire dans la paroisse catholique genevoise de Saint-Paul.

Mais, depuis plusieurs mois déjà, il était dans le collimateur de la justice internationale, laquelle oeuvrait discrètement à la constitution de son dossier d’accusation. C’est en mars, à Genève, que pour la première fois son nom apparut publiquement mêlé à ceux des personnes suspectes de participation au génocide.

L’Eglise catholique dans l’embarras

Cela se passait non pas dans un tribunal, mais dans une pièce de théâtre consacrée aux événements rwandais de 1994. Ce jour-là, trois questions fusent sur la scène: parleront-ils de l’abbé Rukundo? Diront-ils qu’il est sur la liste des suspects? Diront-ils qu’il est vicaire à Genève? Quelques jours plus tard, L’Hebdo reprend ces questions et mène enquête.

Stupeur et indignation au conseil de paroisse qui parle aussitôt de «rumeur infamante». On peut lire alors dans son bulletin paroissial que «cela cause un très grand préjudice moral à l’homme et au prêtre que nous connaissons bien».

Après l’arrestation du prêtre rwandais, l’évêque auxiliaire de Genève, Mgr Pierre Farine, y va lui aussi d’une déclaration publique, mais sur un autre ton. «Nous savions depuis 1996, confie-t-il également au journal Le Temps, qu’il y avait des soupçons».

Faute d’avoir eu les moyens de les vérifier et sans avis négatif particulier de la part de l’autorité catholique rwandaise qui avait été consultée, Mgr Farine constate qu’il était impossible de pénaliser le prêtre en question et conclut avoir eu «raison d’agir ainsi».

La vérité pour faire le deuil

L’abbé Emmanuel Rukundo est à notre connaissance le premier prêtre catholique à être officiellement poursuivi par le TPIR qui, il y a quelque temps, a déjà procédé aussi à l’arrestation d’un pasteur adventiste et d’un évêque anglican.

Au-delà de ces cas personnels, et d’autres encore, la question que pose l’intervention des pouvoirs judiciaires n’est pas seulement celle des relations que les Églises ont eues jadis avec les régimes politiques du Rwanda, mais bien celle aussi des réflexions et des actes qui leur permettront de se reconstruire un avenir.

Au Rwanda comme en Afrique du Sud, dans les Balkans ou autres pays meurtris par des guerres fratricides, la réconciliation a besoin de processus de deuil, de purifications de la mémoire, de recherches de vérité. Cela vaut pour les Églises comme pour la société civile. Une décision de justice, quand bien même vient-elle de Suisse, sert aussi à rappeler cette nécessité.

Bernard Weissbrodt

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