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Là où il y a de la fumée, il y a un Oscar

Une scène du film Battleship (2012) qui a utilisé le programme d’effets visuels Wavelet Turbulence. Universal Pictures

Bien qu’aucun Suisse n’ait été en lice la nuit passée pour les Oscars, les célèbres récompenses américaines du cinéma, deux chercheurs zurichois ont déjà reçu un Oscar Technique pour leur programme d’effets visuels. Rencontre.

Markus Gross, professeur d’informatique à l’Ecole polytechnique fédérale (EPF) de Zurich, spécialiste des techniques de visualisation et directeur du laboratoire de recherche Disney installé au sein de la haute école, explique à swissinfo.ch l’art de mélanger art, science et commerce et pourquoi il n’a pas breveté le programme qui lui a valu un Oscar Technique.

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Mais oui, la Suisse a une industrie des effets visuels…

Ce contenu a été publié sur «J’ai été très surpris», admet Markus Gross, professeur d’informatique à l’Ecole polytechnique fédérale (EPF) de Zurich, spécialiste de techniques de visualisation et directeur du laboratoire de recherche Disney installé au sein de la haute école. Le scientifique vient de recevoir, avec le reste de son équipe, un Oscar Technique pour un programme d’effets visuels («VFX»…

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Le 9 février dernier, lors d’une cérémonie à Los Angeles, Markus Gross, son ex-étudiant post-doctorant Nils Thürey et deux autres scientifiques de la Cornell University (USA) ont eu droit aux honneurs de l’Académie lorsqu’ils ont reçu un «Technical Achievement Award», l’équivalent d’un Oscar pour le travail technique. Objet de la récompense: le logiciel, «wavelet turbulence», qu’ils ont développé en 2008 pour calculer la fumée et les explosions et les recréer rapidement de façon très réaliste (video ci-dessous).

Les studio DreamWorks, cofondés par Steven Spielberg, ont compris le potentiel du nouveau logiciel et l’ont utilisé dans Monsters vs Aliens en 2009. Depuis, le programme est utilisé de façon standard et est déjà intervenu dans près de vingt grosses productions hollywoodiennes telles qu’Avatar, Battleship, Sherlock Holmes, Alice au Pays des Merveilles, Kung Fu Panda, The Amazing Spider-Man ou Iron Man 3

1986 Diplôme d’ingénieur, Université Saarland Allemagne

1989 Doctorat, Université Saarland Allemagne

1990 – 1994 «Computer Graphics Center», Université technique de Darmstadt, Allemagne

1995 Diplôme d’enseignement en sciences informatiques, TU Darmstadt Allemagne

1994 – 1997 Professeur assistant en sciences informatiques, EPF Zurich

Dès 1997 Professeur attitré, EPF, Zurich

2004 – 2008 Directeur de l’Institut des sciences informatiques

Dès 2008 Directeur du Laboratoire Disney, Zurich

swissinfo.ch: Comment avez-vous commencé à travailler sur ce programme?

Markus Gross: Lorsqu’ils se rencontrent dans des conférences, les chercheurs lancent des idées qu’ils continuent à développer, en collaborant, avec l’objectif de publier un article scientifique et de trouver quelque chose de nouveau. C’est ce qui s’est passé.

ethz.ch

Mes collègues et moi nous sommes rencontrés à la conférence ACM SIGRAPH, [spécialisée dans la visualisation par ordinateur]. C’est là que l’idée de cette technologie particulière est née. Une fois nos travaux terminés, nous avons soumis les résultats à la conférence, qui les a acceptés. Le travail a été publié l’année d’après.

Nous avons ensuite mis le code du programme à disposition, librement, sur internet. Nous n’avons pas breveté le programme, ni déposé une requête en propriété intellectuelle.

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Les explosions d’«Avatar» viennent de Zurich

Ce contenu a été publié sur Avec leur connaissance de la mécanique des fluides, les chercheurs zurichois ont mis au point une technique à la fois hyper réaliste et bon marché pour simuler explosions et volutes de fumée. Déjà vu dans «Avatar», «Sherlock Holmes», «Alice au Pays des Merveilles» et une vingtaine de productions hollywoodiennes. (Téléjournal de la RTS, 10.01.2013)

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swissinfo.ch: Pourquoi pas?

M.G.: Nous avons pensé qu’en le mettant gratuitement à disposition du public, nous multiplions les chances de le faire connaître et de le voir émigrer vers des applications.

«Wavelet turbulence» est un très bon exemple de l’importance de l’«open access» pour les innovations et le transfert de technologie vers l’industrie. D’un point de vue académique, c’est très important et cela peut vous valoir des récompenses. L’Oscar Technique en est la preuve. D’un point de vue industriel bien sûr, les choses sont différentes: vous voudrez peut-être breveter et protéger votre innovation.

Je pense que si nous avions breveté notre technologie, les studios de cinéma, qui surveillent leurs coûts de près, ne l’auraient pas adoptée. Les frais administratifs des procédures de brevet auraient été prohibitifs. Mais notre programme permet d’améliorer la qualité visuelle à moindres coûts. C’est pourquoi les studios l’ont intégré si vite dans leurs propres instruments visuels.

«En reconnaissance du rôle essentiel joué par les sciences et la technologie dans le processus de réalisation de films», l’Académie a honoré, pratiquement depuis sa création, les réalisations de pionniers dans ces domaines dont le travail a fait avancer l’industrie du cinéma.

Présentés pour la première fois lors de la 4e Cérémonie des Oscars de l’Académie en novembre 1931, les prix scientifiques et techniques reconnaissent les développements originaux grâce auxquels des améliorations significatives sont réalisés dans la production et la présentation de films.

Les récents Oscars scientifiques et techniques ont été attribués à IMAX, pour sa méthode de tournage et de projection en grand format, à Avid Technology pour son système de montage non-linéaire et à Horst Burbulla, pour son invention et son développement d’un bras spécial pour les caméras (Technocrane).

(Source: Académie des arts et des sciences du cinéma)

swissinfo.ch: Quels sont les avantages de la collaboration entre l’EPF de Zurich et Disney?

M.G.: C’est une opportunité magnifique pour l’EPF. Nous profitons d’un large spectre de problèmes à résoudre qui sont vraiment intéressants dans le domaine du divertissement. Nous pouvons travailler sur de nouvelles technologies qui, en principe, seront vues par des milliards de personnes, au cinéma ou dans des parcs thématiques. C’est aussi intéressant pour notre école car nous créons beaucoup de propriété intellectuelle, nous déposons des brevets qui appartiennent aux deux partenaires. L’EPF gagne ainsi beaucoup de brevets. De plus, Disney sponsorise un nombre significatif de recherches de doctorants.

De l’autre côté, Disney dispose d’une bonne infrastructure intellectuelle et physique: les laboratoires ont été conçus pour permettre un haut degrés de perméabilité entre les deux institutions. Les chercheurs seniors que nous engageons et qui travaillent pour Disney peuvent enseigner, travailler avec des étudiants post-doc ou superviser des étudiants de la filière master. C’est un environnement universitaire et, en même temps, nous sommes très prudents avec les aspects de la propriété intellectuelle. Ainsi, Disney a accès à des chercheurs qu’il serait difficile d’atteindre dans un contexte industriel.

swissinfo.ch: Selon vous, le but des effets visuels est-il d’être visibles ou de passer inaperçus?

M.G.: Nous cherchons à imiter la réalité avec de nombreux effets spéciaux. Nous effectuons des simulations physiques pour recréer des effets. Nous voulons créer des méthodes et des effets qui sont aussi naturels que possible et que l’on peut à peine distinguer de la réalité.

Les principaux lauréats de la 85e cérémonie des Oscars, qui a eu lieu le 24 février au Dolby Theatre à Los Angeles:
 
Meilleur film: Argo, Ben Affleck
Meilleur réalisateur: Ang Lee (L’Odyssée de Pi)
Meilleur acteur: Daniel Day-Lewis (Lincoln)
Meilleure actrice: Jennifer Lawrence (Happiness Therapy)
Meilleur film d’animation: Rebelle (studio Pixar – Disney)
Meilleur film étranger: Amour, de Michael Haneke (Autriche)
Meilleur documentaire: Sugarman Rodriguez, Malik Bendjelloul
Effets spéciauxL’Odyssée de Pi  

Le professeur Markus Gross, son ex-étudiant Nils Thürey, le professeur Doug James et le chercheur Theodore Kim ont reçu le «Technical Achievement Award», rattaché aux Oscars, lors d’une cérémonie à Beverly Hills le 9 février dernier. Certaines scènes de films générées par les programmes conçus par l’équipe du professeur Gross ont été projetées lors de la cérémonie principale.

swissinfo.ch: Sur quoi travaillez-vous en ce moment?

M.G.: Nous nous concentrons sur l’animation des visages. Nous sommes en train de développer un très bon système de capture des mouvements du visage. Grâce à lui, nous pouvons reconstruire jusqu’au pore de la peau, jusqu’à la micro-géométrie. C’est une technologie fondamentale et facile à mettre en œuvre pour toutes sortes d’effets visuels sur des visages humains, qui sont les plus difficiles à recréer à cause de la très grande sensibilité de la vision humaine.

swissinfo.ch: Vous parlez de «Uncanny Valley»…

M.G.: Oui, c’est l’effet «Uncanny Valley». J’espère que, d’ici quelques années, cette technologie sera reprise par les grandes productions et qu’elle figurera sur la liste des candidats de l’Académie des Oscars.

(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

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