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La magie des natures mortes au Kunstmuseum de Bâle

Détail de «Fleurs et animaux dans une casemate», d'Abraham Mignon (1640-1679) Kunstmuseum Basel/Wolfgang Fuhrmannek

Spectacle foisonnant, tourbillon de couleurs pour rappeler aux mortels leur condition éphémère sur terre: les natures mortes ont envahi le Kunstmuseum de Bâle. «La magie des choses» est à voir jusqu'au 4 janvier 2009.

La première salle de l’exposition surprend le visiteur: point de natures mortes ici, mais des crosses dessinées par les maîtres de la gravure sur bois, Martin Schongauer et Israhel van Meckenem. En y regardant de plus près, on distingue les motifs classiques des natures mortes dans les ornementations, les encensoirs ou encore des œufs, du pain et un pichet dans une «Naissance de la Vierge» de Hans Fries.

C’est le parti pris, didactique et riche, de cette exposition. «La magie des choses, la peinture de natures mortes de 1500 à 1800», procède chronologiquement. Le début du parcours commence par ces oeuvres où la nature morte ne s’est pas encore émancipé des grands genres de la peinture, le religieux surtout.

Grâce à quelque 90 chefs-d’oeuvres propriété du Kunstmuseum de Bâle, du Städel Museum de Francfort et du Hessisches Museum de Darmstad, magnifiquement présentés sur des murs aux tons bleus gris mats, le visiteur découvre l’évolution du genre en Allemagne et aux Pays-Bas.

Esprit encyclopédique

Les premiers spécialistes hollandais affichent un caractère encyclopédique ou du moins leur amour des listes et des catalogues. Les insectes, plantes ou légumes sont peints en détail dans un souci presque encyclopédique, mais non réaliste, puisque les plantes superposées n’éclosent pas toutes durant la même saison, explique le commissaire d’exposition Bodo Brinkmann dans la brochure d’exposition.

L’expression du sentiment de fugacité le dispute au plaisir tactile à considérer les richesses de la nature, mais aussi des aliments (dont le commerce a fait la prospérité des commerçants hollandais au 17e siècle). Les intérieurs richement décorés sont, comme de juste, bien mis en valeur. Le genre permet aussi d’expérimenter les techniques picturales et de nouvelles possibilités d’expression.

La demande des commanditaires est si forte que certains peintres se spécialisent dans le genre. Georg Flegel (1566-1638) s’établit à Francfort, alors centre de la nature morte en Allemagne. Le peintre brille autant dans les mises en scène très théâtrales de repas que dans les représentations de fleurs ou des oiseaux.

Message religieux

La force de Francfort n’est pas due au hasard, explique Bodo Brinkmann: au tournant du 17e siècle, «la politique de re-catholisation menée contre la Réforme par le pouvoir espagnol aux Pays-Bas incite les [protestants] à émigrer», écrit le commissaire d’exposition. De nombreux Hollandais trouveront refuge à Francfort, ville de foires et de commerce.

Le message très catholique de la vanité n’est pas pour autant absent chez ces maîtres hollandais et allemands. Le crâne, parfois couronné d’un brin de blé asséché, le cadran solaire ou l’horloge, l’almanach déchiré – tous symboles du temps qui passe – ont aussi leur place dans ces tableaux «protestants».

«Tulipomanie», 1er krach boursier

Omniprésente dans ces tableaux, la tulipe a une histoire particulière. Entre 1634 et 1637, le prix des oignons de tulipes sera en effet multiplié par cinquante, rappelle Bodo Brinkmann, pour chuter ensuite de 95%: cette «tulipomanie sera le premier exemple de bulle spéculative suivie d’un krach boursier».

Au long du 17e siècle, la nature morte se divise en sous-genres: la nature morte de chasse, commanditée par de riches aristocrates, les représentations de poissons ou encore les tables d’apparat, où le luxe ne dissimule jamais le message de vanité du luxe terrestre.

Citron épluché

Mais aux Pays-Bas, les scènes de table restent plus modestes. Le Kunstmuseum expose les magnifiques «banquets monochromes» de Pieter et Willem Claesz et Jan van de Velde, qui déroulent des pelures de citron au jaune contrastant magnifiquement avec les fonds noirs et les verres transparents.

L’exposition se termine sur Chardin (1699-1779) et ses sobres natures mortes. Comme le propose la brochure d’accompagnement de l’exposition, il vaut la peine de poursuivre en (re) découvrant les natures mortes modernes accrochées dans l’exposition permanente: Courbet, Monet, Van Gogh, Cézanne et Picasso connaissaient leurs classiques…

swissinfo, Ariane Gigon, Bâle

«La magie des choses, la peinture de natures mortes 1500-1800», Kunstmuseum de Bâle, jusqu’au 4 janvier 2009.

L’exposition présente quelque 90 chefs-d’oeuvre du Kunstmuseum de Bâle, du Städel Museum de Francfort et du Hessisches Museum de Darmstad.

Une brochure très bien faite, en plusieurs langues dont le français, permet d’approfondir ses connaissances tout en découvrant les œuvres.

L’expression nature morte désigne un sujet constitué d’objets inanimés (fruits, fleurs, vases, etc.) ou d’animaux morts.

Le genre se développe au 16e siècle, et se développe surtout dans les Flandres et en Allemagne au 17e siècle, avant d’essaimer dans toute l’Europe.

Dans les régions catholiques, les natures mortes sont des «vanités» destinées à montrer le caractère fugace et éphémère de toute chose sur terre. C’est ce que révèlent les fleurs fanées et les crânes ornementant les tableaux.

Dans les régions protestantes, la nature morte permet au peintre de montrer son talent et répond au goût du public pour la représentation du réel dans tous ses détails.

Le terme stilleven pour des «pièces de fruits, fleurs, poissons» ou «pièces de repas servis» apparaît en Flandres vers 1650. Il est ensuite adopté par les Allemands (stilleben) et par les Anglais (still-life) et signifie «vie silencieuse ou vie immobile».

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