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La politique se met à table

Le premier livre sur l'éviction de Ruth Metzler du gouvernement. swissinfo.ch

Ruth Metzler a publié jeudi un livre au vitriol. Dans "Grissini & Alpenbitter", l’ancienne ministre règle ses comptes avec son parti, dévoilant ainsi les arcanes du pouvoir.

Avant elle, le journaliste Marc Comina avait déjà rompu le silence avec son propre livre. Une première dans le monde de l’édition et de la politique helvétiques.

Dans le monde anglo-saxon, le phénomène est éprouvé depuis longtemps avec à la clef des succès de librairie garantis. Politiciens et journalistes s’en donnent à cœur joie. Leurs brûlots contribuent à animer le débat médiatico-politique sur la scène publique.

En Suisse, tel n’était pas le cas. Jusqu’à la publication de ces deux livres. Question de mentalités et de mœurs politiques. Le respect du pouvoir est une vertu helvétique. Et les coulisses du pouvoir ont souvent été entourées d’un mystère qui conforte un sentiment d’opacité dans le fonctionnement de la plus haute sphère de l’Etat fédéral.

Aujourd’hui, cette façon de la faire de la politique a vécu.

Contrairement à ce qu’elle avait déclaré après son éviction du gouvernement (Conseil fédéral) le 10 décembre 2003, Ruth Metzler est partie remplie d’amertume: dans son livre Grissini & Alpenbitter, l’ex-conseillère fédérale règle ses comptes avec le président de la Confédération Joseph Deiss et la direction du Parti démocrate-chrétien (PDC).

De son côté, Marc Comina, journaliste parlementaire pour le magazine alémanique Facts, avait déjà contribué à bousculer les habitudes dans son livre Pouvoir et intrigues au Palais fédéral. Il revient sur sa démarche et sur le phénomène global dans une interview accordée à swissinfo.

swissinfo: Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire votre livre?

Marc Comina: J’ai eu très tôt envie de faire quelque chose, en fait dès les élections fédérales du 19 octobre dernier. A l’époque, j’étais encore journaliste pour la télévision.

Dès cette date, il était clair que le PDC risquait de perdre l’un de ses deux sièges au gouvernement. Je voulais donc faire un reportage avec Joseph Deiss ou Ruth Metzler pour accompagner l’un des deux au jour le jour jusqu’à la réélection du gouvernement, le 10 décembre.

Ce reportage, qui aurait été diffusé après coup, aurait permis de voir le cheminement de l’un des candidats jusqu’à cette date fatidique. Finalement, les deux ministres ont refusé ma proposition.

Mais l’idée était là. Ensuite, l’intérêt pour cet événement historique ainsi que la question de la cause des femmes m’ont conforté dans ma volonté de faire quelque chose.

swissinfo: Vos interlocuteurs – une cinquantaine – se sont exprimés anonymement. Faut-il en conclure qu’il est difficile de faire un livre sur les arcanes du pouvoir?

M.C.: C’était finalement facile, mais par hasard. Chaque correspondant parlementaire a de bons contacts à Berne, mais personne ne connaît tout le monde.

Or le hasard a voulu que j’aie de bons contacts à la fois auprès de Joseph Deiss, de Ruth Metzler et du PDC. Je me suis assez vite rendu compte qu’il fallait en profiter, car tout le monde n’aurait pas pu faire une telle enquête.

swissinfo: Vous parlez très vite après les événements. C’est presque de l’histoire immédiate.

M.C.: Effectivement. Je ne connais pas d’autres exemples en Suisse de livres politiques qui parlent des événements aussi vite.

J’aimerais bien que ce livre crée un précédent et qu’on le fasse de façon plus systématique, un peu comme les Anglo-Saxons qui ont l’habitude de montrer ce qui se passe dans les couloirs du pouvoir.

Cette manière de faire a l’avantage de mettre une certaine pression sur les protagonistes politiques. En effet, s’ils savent que le fil des événements va être raconté, que ce soit d’une manière anonyme ou non, cela les oblige à faire preuve de davantage de cohérence et de transparence.

swissinfo: Vous n’avez parlé ni à Joseph Deiss ni à Ruth Metzler. Est-ce un manque? Le livre aurait-il été différent si vous aviez pu le faire?

M.C.: Le livre n’aurait pas été différent, car les informations ont été récoltées auprès de leurs proches collaborateurs.

Bien sûr, le livre de Ruth Metzler nous en apprendra un peu plus sur son cheminement mental et sur ses réflexions. Mais, du point de vue du récit, il n’y aura pas de grandes différences.

Le fait de ne pas avoir parlé à Ruth Metzler constitue même un avantage. D’aucuns m’ont en effet soupçonné d’avoir pris fait et cause pour elle. En ne pouvant pas m’entretenir avec elle, je ne passe pas pour son «porte-parole».

Pour Joseph Deiss, c’est évidemment un regret qu’il ne se soit pas exprimé. J’aurais voulu le confronter aux accusations graves que je porte à l’encontre de son comportement.

Joseph Deiss a l’image et la réputation d’un homme qui veut toujours éviter les conflits. Mais dans ce livre, je montre comment il a assisté sans broncher au sacrifice de sa collègue et comment son entourage a dénigré sa rivale.

Sur le fond, il n’y a rien à redire. Il est normal qu’un homme politique lutte pour sa survie. Mais la forme est contestable. Or Joseph Deiss n’assume pas publiquement ses actes. Il aurait été souhaitable qu’il s’exprime sur ce point.

swissinfo: Y a-t-il eu des réactions politiques à votre livre?

M.C.: Il y a eu un gros battage médiatique. Mais les discussions ont surtout porté sur la thèse du complot contre Ruth Metzler, un terme que je n’utilise moi-même pas dans mon livre. Réduire l’affaire à cela, ce serait l’aborder de manière superficielle.

Pour le reste, il n’y a pas vraiment eu de discussion et il n’y en aura peut-être jamais. Pourtant, il y a beaucoup d’éléments qui pourraient faire l’objet d’une discussion politique.

Je cite par exemple un procès-verbal d’une réunion du groupe parlementaire socialiste où les femmes socialistes reconnaissent n’avoir absolument rien fait pour assurer la présence de deux femmes au gouvernement et qu’il est justifié de le leur reprocher. Cette révélation diffère sensiblement de la position officielle du PS sur la question…

Je parle aussi des négociations secrètes qui ont eu lieu entre le ministre UDC Samuel Schmid et la direction du Parti radical. Si l’UDC avait décidé de quitter le gouvernement en cas de non-élection de Christoph Blocher, Samuel Schmid serait resté en place et se serait rapproché des radicaux. Or personne n’est revenu sur cette question. Et aucun élément du livre n’a été démenti par aucun des intéressés.

swissinfo: Olivier Pauchard

Marc Comina: Pouvoir et intrigues au Palais fédéral, Editions de l’Aire, Vevey, 2004, 170 p.

Grissini & Alpenbitter, le livre de Ruth Metzler n’existe pour l’heure qu’en allemand. il est annoncé en français pour l’automne.

Marc Comina est né en 1965.
Après des études à Lausanne, il a obtenu un doctorat de littérature française à Berlin, puis a enseigné aux Etats-Unis.
De retour en Suisse, il s’est tourné vers le journalisme politique. Il a collaboré avec Le Temps, dimanche.ch et la Télévision suisse romande.
Il est actuellement correspondant parlementaire pour l’hebdomadaire alémanique Facts.

– 19 octobre 2003. Les élections législatives consacrent la victoire de l’UDC (droite dure), qui obtient 63 sièges (+12) entre les deux chambres du parlement. Les démocrates-chrétiens (PDC) en perdent 7 et n’ont plus que 42 élus sur 246.

– Au vu de cette nouvelle donne, la composition du gouvernement est remise en cause. Plus grand parti du pays, l’UDC revendique un second siège. Le PDC est désormais le parti le plus faible de la coalition gouvernementale.

– 10 décembre 2003. Le parlement élit le nouveau gouvernement. Le PDC maintient la candidature de ses deux ministres sortants, Joseph Deiss et Ruth Metzler.

– Ruth Metzler se présente contre Christoph Blocher, leader de l’UDC. Après trois tours de scrutin, elle est battue de cinq voix. Le tribun populiste devient le deuxième ministre UDC.

– Au tour suivant, Ruth Metzler reste dans la course contre son collègue PDC Joseph Deiss. Le groupe parlementaire démocrate-chrétien a pourtant reçu pour consigne de voter pour ce dernier, qui est élu par 138 voix contre 96.

– Ruth Metzler quitte la scène et accepte cette défaite «qui fait mal». Il n’y a désormais plus qu’une femme au gouvernement: la socialiste Micheline Calmy-Rey.

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