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La quête des premiers âges de l’Univers

© ESA

C'est la mission la plus ambitieuse de l'Agence spatiale européenne (ESA). Jeudi, Ariane 5 a décollé de Kourou, emportant deux télescopes qui vont regarder avec plus d'acuité dans l'espace et dans le temps que tout ce qui s'est fait jusqu'ici. Avec un peu de technologie suisse.

Avec son miroir de 3,5 mètres de diamètre (contre 2,4 pour Hubble), Herschel est le plus gros télescope jamais envoyé dans l’espace. Mais contrairement à l’engin de la NASA, celui de l’ESA ne regardera que dans l’infrarouge, une partie du spectre lumineux que l’œil ne peut pas voir.

Alors qu’une étoile comme notre soleil émet principalement de la lumière visible, l’infrarouge émane lui d’objets nettement plus froids, comme les étoiles en formation, les naines brunes (des boules de gaz qui n’ont pas atteint la masse critique pour que la pression allume en leur cœur le feu thermonucléaire) ou… les planètes.

Bien plus: la lumière infrarouge a la faculté de passer à travers les nuages de gaz et de poussière où naissent les étoiles et les planètes et qui cachent leur gestation à l’œil de nos télescopes classiques.

Une nouvelle fenêtre

Herschel va donc scruter précisément ces régions, pour voir ce sur quoi l’on est actuellement réduit à spéculer à partir de modèles mathématiques: la formation de nouveaux systèmes planétaires.

«C’est comme ouvrir une nouvelle fenêtre, s’enthousiasme Arnold Benz, astrophysicien à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Cela nous aidera à comprendre l’origine, l’évolution et le développement de notre propre système solaire, de notre soleil, des planètes, des lunes, des comètes et de tout le reste».

Herschel est aussi capable de détecter la trace des molécules d’eau, très abondantes dans ces régions où se forment les étoiles.

«L’eau agit comme une sorte de colle lorsque des grains de poussière cosmique s’agglutinent pour former de futurs corps célestes. C’est pourquoi nous pensons qu’il vaut la peine d’étudier l’eau avant même que la vie apparaisse», explique le professeur zurichois, dont l’Institut a travaillé sur le spectromètre du télescope.

Bien plus loin dans l’espace et dans le temps, Herschel scrutera aussi les jeunes galaxies, distantes de milliards d’années lumière et formées peu après le Big Bang, l’explosion initiale dont est né tout ce qui est.

En raison de l’expansion de l’Univers et en vertu de l’effet Doppler-Fizeau, la lumière de ces immenses «roues» faites de centaines de milliards d’étoiles est fortement décalée vers le rouge. Un télescope à infrarouge les verra donc nettement mieux que tout autre engin.

Le point le plus froid de l’Univers

Ces observations, pas question de les faire depuis le sol. Notre atmosphère arrête la plus grande partie des rayons infrarouges. Pas question non plus de tourner autour de la Terre et de subir les brusques changements de luminosité dus aux levers et aux couchers du soleil.

Pour pouvoir remplir leur mission, Herschel et Planck iront donc chercher le calme à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Ils orbiteront autour de ce que l’on nomme le «point de Lagrange L2» – zone où la force de gravité de notre planète et celle du Soleil se neutralisent – et tourneront en permanence le dos aux deux astres.

Il faudra environ deux mois à ces mastodontes (Herschel fait 7,5 mètres sur 4,5 pour 3,4 tonnes et Planck plus de 4 mètres sur 4 pour presque 2 tonnes) pour atteindre leur destination et commencer à scruter le ciel.

Mais un télescope à infrarouge n’a pas besoin que d’obscurité pour fonctionner au mieux, il lui faut aussi du froid, du très grand froid. Car même à quelques degrés au-dessus du zéro absolu, sa propre chaleur génère des ondes infrarouges, qui vont interférer avec celles qu’il doit observer.

C’est pourquoi les deux télescopes disposent de centaines de litres d’hélium liquide pour leur refroidissement. Dans ce domaine, c’est Planck qui détient la palme, avec une température de fonctionnement qui sera juste de 0,1 degré de plus que les -273,15 °C en-dessous desquels on ne peut pas descendre.

Ce qui va faire du cœur du télescope l’endroit le plus froid de l’Univers.

Un lapin sur la Lune

Différent de Herschel dans son fonctionnement – avec un «petit» miroir de 1,5 mètre et des détecteurs qui captent les micro-ondes (entre l’infrarouge et les ondes radio) -, Planck l’est aussi dans sa mission: capter le rayonnement fossile, qui n’est autre que l’écho du Big Bang.

Pour ce faire, il va scanner systématiquement la voûte céleste en tournant sur lui-même, à la recherche des moindres variations de température. Et ceci avec des instruments si sensibles qu’ils seraient capables, depuis la Terre, de «voir» la chaleur dégagée par un lapin sur la Lune.

La lumière des premiers âges

380’000 ans après le Début des Temps, l’Univers en formation n’est encore qu’une soupe opaque de particules élémentaires, très dense, très concentrée et très chaude. Arrivé à un certain stade d’expansion et de refroidissement (3000°C tout de même), cette matière permet aux photons, minuscules grains de lumière, de s’échapper. L’Univers, en quelque sorte, s’allume.

C’est les restes de cette lumière des premiers âges, considérablement refroidie et désormais muée en micro-ondes que l’on peut encore observer aujourd’hui, après plus de 13 milliards d’années, partout dans l’immensité du ciel. D’où son nom de rayonnement de fond, ou rayonnement fossile, dont la présence est la meilleure preuve de la justesse de la théorie du Big Bang.

Le télescope Planck va en dresser la carte. En mesurant ses infimes variations de température, il devrait livrer aux scientifiques dix à quinze fois plus d’informations que ses prédécesseurs les plus récents sur l’origine de l’Univers, son évolution et son avenir.

Marc-André Miserez, swissinfo.ch
(avec la collaboration d’Isobel Leybold-Johnson à Zurich)

Comme nombre de missions spatiales, Herschel / Planck (coût total estimé de près de 3 milliards de francs) inclut une part de «swiss made».

Le spectromètre de Herschel, instrument qui lui permet de séparer les longueurs d’ondes de la lumière, ainsi que le logiciel d’analyse des données ont partiellement été mis au point à l’Institut d’astronomie de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ).

Le châssis en fibre de carbone de Planck, ainsi que le bouclier thermique qui sépare le télescope de son module de service pour éviter que le second ne réchauffe le premier viennent de chez Oerlikon Space à Zurich.

La coiffe qui protège les deux télescopes jusqu’à la sortie de l’atmosphère a aussi été fabriquée par Oerlikon (comme celles de toutes les fusées Ariane).

De plus, afin que les deux précieux engins supportent sans risques le choc du largage de la coiffe, la firme a mis au point un nouveau système de séparation horizontal, qui réduit le choc d’un facteur 100 et permet de se passer des amortisseurs utilisés jusqu’ici. Gain de poids: jusqu’à une tonne.

La manutention au sol des deux satellites doit quelque chose à Apco Technologies à Vevey, qui a fourni notamment un socle en acier pour déplacer ces mastodontes avec une extrême précision durant leurs phases de montage et de tests.

Le premier traitement des données de l’un des deux instruments de Planck sera fait à l’Integral Science Data Center de Versoix, rattaché à l’Observatoire de Genève.

William Herschel (1738-1822), né à Hanovre, en Allemagne, émigré en Angleterre à 18 ans, il est d’abord organiste et compositeur (24 symphonies, une douzaine de concertos et quelques autres pièces) avant de construire en 1776 son premier télescope. Observateur hors pair, soutenu par la couronne, on lui doit notamment la découverte d’Uranus, septième planète du système solaire, du rayonnement infrarouge ou de la forme approximative de notre galaxie.

Max Planck (1858-1947). Le plus célèbre physicien allemand a longtemps hésité entre la musique et la science, qu’il va proprement révolutionner à l’aube du 20e siècle. Il est l’un des pères de la théorie quantique et le découvreur de la constante qui porte son nom, et qui exprime le seuil d’énergie minimum d’une particule. Prix Nobel de physique en 1918, ses travaux ont ouvert la voie à la relativité d’Einstein, que Planck sera le premier à reconnaître et à saluer.

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