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La queue est partout, surtout dans la tête

Tout à l'extrémité de la colonne vertébrale qui fait suite au bassin... MHN-Photos Alain Germond

Le Musée d'histoire naturelle de Neuchâtel, à la frontière des langues, fait l'éloge de la queue à travers une exposition intitulée «Parce queue». Un thème original, traité à sa mesure, alors que Darwin est célébré cette année.

Un musée connu et reconnu pour ses sujets dérangés. On vient d’ailleurs de loin à Neuchâtel pour apprendre à «muséographier» sans retenue.

Trois stagiaires de l’Hexagone illustrent actuellement cet attrait, même si le conservateur Christophe Dufour confie que l’enrichissement est mutuel. Bref, un lieu qui goûte les sujets transversaux, mi-sciences naturelles, mi-culture au sens large.

D’accord, mais pourquoi la queue? «Peut-être parce que nous sommes concentrés sur l’avant de notre corps, sur le cerveau, explique Christophe Dufour. Et que finalement, la queue, on la néglige. Alors que c’est un organe bien intéressant». J’en vois qui sourient.

Alors oui, la queue dans sa dimension phallique est bien présente à Neuchâtel. Dans une sorte de petit cabinet érotique. «C’est pas trop osé, ça va?», s’inquiète Anne Ramseyer, scénographe de l’expo.

Pour sa part, le conservateur rappelle que «si le français et l’allemand associent le pénis au mot queue, c’est une particularité. En anglais, «tail» évoque seulement la queue de l’animal». Voilà qui est dit.

Se réconcilier

On le redit, Neuchâtel aime les sujets transversaux. «Parce queue» traite donc de l’histoire naturelle comme de l’histoire culturelle de l’organe. «Peu de sujets permettent d’aborder autant de questions – de l’imaginaire à l’anatomie comparée des vertébrés», note Christophe Dufour, qui verrait bien le visiteur sortir de son musée réconcilié avec les queues de toutes sortes.

«La queue, c’est l’attribut du diable, de chimères plus ou moins bizarres, l’endroit où réside la force des dragons. Il nous reste tellement peu de la queue – trois à cinq vertèbres vestigiales soudées – que nous avons compensé par l’imaginaire», constate-t-il, fier d’une exposition qui aura pris une petite année à naître.

Célébré en 2009 pour le bicentenaire de sa naissance, Charles Darwin est évidemment de la partie. Il apparaît le plus souvent en filigrane d’une expo très réussie en poupée russe, autant visuelle que faisant appel au toucher, au jeu et à l’art contemporain, question d’évolution.

Dans la longue histoire de l’évolution justement, la queue est apparue avec le poisson il y a 500 millions d’années. Neuchâtel focalise sur plusieurs spécimen et leurs avatars robotiques. La suite est connue et nous voici plongé dans une chambre noire pour s’en assurer: un mur squelettique exprimant la diversité des queues de vertébrés et leur obstination à en conclure la colonne vertébrale.

Des queues-outil

Plus loin, Neuchâtel nous fait découvrir les queues-outil. Darwin les négligeait, pas le saumon (gouvernail), la girafe (chasse-mouches), l’hippopotame (ancre), le suricate (tabouret de vacher) ou l’écureuil fouisseur (parasol).

Une vingtaine de documentaires précisent encore ces usages adaptés à la survie de chaque espèce. Des films qu’il n’a pas été facile de dénicher. Pour les cinéastes-animalier, capturer l’arrière d’une bête, c’est l’avoir fuyant. Un échec.

La queue des oiseaux férus de parades nous est dévoilée ensuite. Le grand jeu. Darwin en a tiré le principe de la sélection sexuelle. Les plumes chatoyantes et hypertrophiées handicapent peut-être le volatile devant un prédateur, mais elles augmentent les chances de se reproduire. Les plus vigoureux auront le plus de petits.

Dans la nature, et l’expo nous la montre bien vivante, la queue est aussi une arme. Du crotale qui l’agite à l’agame à queue épineuse qui l’utilise comme massue, jolie créativité!

Comme chien et chat

Mais avec la queue, on communique aussi. La preuve chez chien et chat, à qui il manque une bonne traduction tant leur gestuelles se contredisent parfois. Une salle habillée comme un cartoon, des films réalistes: rien à rajouter.

La queue dans nos têtes occupe le visiteur pour la fin de l’exposition. Le langage, les fantasmes, l’inconscient, voici un village entouré du serpent cosmique qui se mord la queue pour symboliser l’éternité. Dans chaque maison, l’imaginaire de la queue décliné.

Diable (le plafond de l’église de Zillis, dans les Grisons), dragon (en bandes dessinées), queue totale (murènes d’eau douce vivantes): on fait le lien. Des expressions aussi («Ne pas se prendre pour la queue de la poire»), des objets à nommer (queue de rat). Sensé.

Les bizarreries, elles, intriguent. Ces dix rats morts trouvés la queue emmêlée à la fin du 19e siècle en Allemagne. Un phénomène signalé à plusieurs reprises et qui serait lié au gel.

L’homme à queue

Souvent symbolique de l’animalité dans les cultures humaines, la queue est aussi une malformation rarissime. Sur Dailymotion, un Japonais se plait par exemple à exhiber son appendice (ni os ni cartilage à l’intérieur).

Pire: il n’y a pas si longtemps, on envoyait des expéditions en Afrique chercher l’homo caudalus, fantasmé des siècles plus tôt. Pas assez au bas du dos, trop dans la tête…

Pour finir au début, l’expo donne la parole à un spermatozoïde, queuté s’il en est. Lequel, charmant, nous rappelle à tous qu’un être vivant est essentiellement un gros véhicule qui permet aux gènes de survivre. Que rajouter?

«Ah queue….» Merci Johnny.

swissinfo, Pierre-François Besson

Pratique. «Parce queue» est visible entre le 29 mars 2009 et le 28 février 2010 au Musée d’histoire naturelle de Neuchâtel, à une petite cinquantaine de km au Nord-ouest de Berne. Ouverture du mardi au dimanche de 10h à 18h.

Générique. Produite par l’équipe du musée, l’exposition temporaire fait appel à des plasticiens invités, des films animaliers, des comédiens (filmés), des animaux empaillés et vivants, de la BD, des phallus en goguette, de l’humour, de nombreuses trouvailles et des squelettes par dizaines….

«Une queue bien développée s’étant formée chez un animal aquatique peut ensuite s’être modifiée pour divers usages, comme chasse-mouche, comme organe de préhension, comme moyen de se retourner, chez le chien par exemple, bien que sous ce dernier rapport, l’importance de la queue doive être minime, puisque le lièvre, qui n’a presque pas de queue, se retourne encore plus vivement que le chien.»

«La vue d’une plume de la queue d’un paon me rend malade chaque fois que je la contemple.»

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