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Votations fédérales du 25 septembre 2022

La réforme de l’impôt anticipé ne résiste pas au vote populaire

Le ministre des Finances Ueli Maurer a défendu la réforme de l'impôt anticipé en articulant des chiffres contestés. Keystone / Marcel Bieri

Les Suisses ont refusé de justesse ce dimanche d’abolir l’impôt anticipé frappant le rendement des obligations. La gauche, à l’origine du référendum, peut triompher: c’est la deuxième fois en moins d’une année qu’une réforme fiscale initiée par la droite et les milieux financiers échoue en votation populaire.

Défaite ce dimanche sur un de ses dossiers phares, la réforme des retraites, la gauche a obtenu un lot de consolation dans les urnes: le peuple l’a suivie à une courte majorité (52% de non) dans son combat contre l’abolition de l’impôt anticipé sur les intérêts produits par les obligations émises en Suisse.

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Un vote serré

«C’était quand même relativement serré», a déclaré à la chaîne de télévision alémanique SRF le conseiller national UDC Thomas Matter, qui s’était engagé en faveur de la réforme. «Au cours des cinq ou six dernières années, tous les projets de réforme fiscale ont été rejetés», a-t-il souligné. Et d’ajouter qu’il est toujours difficile de gagner une votation sur des projets aussi complexes que celui sur l’impôt anticipé.

La conseillère nationale socialiste Priska Birrer-Heimo, qui a combattu la réforme, a attribué le résultat serré du dimanche de votation au fait que les associations économiques ont cette fois «resserré les rangs» et que l’Union suisse des paysans s’est également engagée en faveur du «oui» aux côtés d’EconomieSuisse et de l’Association suisse des banquiers.

Un «cadeau» aux entreprises

Le Parti socialiste, le Parti écologiste ainsi que les syndicats, à l’origine du référendum, estimaient que l’abolition de cet impôt revenait à «donner un laissez-passer à la criminalité fiscale des personnes fortunées de Suisse et de l’étranger». Une des raisons d’être de l’impôt anticipé est en effet de forcer les investisseurs à déclarer leurs revenus pour pouvoir en récupérer une partie.

Ils considéraient par ailleurs que cette volonté de supprimer l’impôt anticipé et le droit de timbre de négociation faisait partie d’un plan plus global de la droite et des milieux économiques «visant à réduire toujours plus les impôts des grandes entreprises et des personnes fortunées au détriment de la collectivité».

Le dernier sondage avant la votation a montré qu’une large majorité de personnes (60%) était d’accord avec un des arguments phares des adversaires de la loi, soit qu’il est injuste de délester les entreprises, alors que les citoyennes et les citoyens n’ont pas ce privilège.

Deuxième victoire de suite pour la gauche

Malgré un gouvernement et un Parlement à majorité de droite, il est à noter que les électeurs et électrices font souvent confiance à la gauche en matière de politique fiscale. Au début de l’année déjà, un référendum soutenu par la gauche et les syndicats contre l’abolition du droit de timbre a été couronné de succès

Alors que la gauche parvient souvent à faire échouer les projets fiscaux de la majorité parlementaire en votation populaire, ses propres idées en matière de politique fiscale ne parviennent toutefois pas à s’imposer auprès de la majorité de la population: il y a un an, seuls 35% des citoyens et des citoyennes ont voté en faveur de l’initiative dite 99%, qui demandait une imposition plus élevée des revenus du capital.

Pertes fiscales, le grand écart

Comme au mois de février, la compétitivité de la place économique et financière helvétique figurait au cœur de l’argumentaire des partisans et partisanes de la réforme. Aux yeux du gouvernement et de la majorité du Parlement, la suppression de l’impôt anticipé aurait permis de faire revenir des opérations de financement sur le territoire suisse, avec à la clé des créations d’emplois et de nouvelles recettes fiscales.

L’Association suisse des banquiers dénonçait ainsi «la situation préjudiciable actuelle qui conduit la Suisse à faire cadeau de ses impôts et de ses emplois à des pays étrangers». Selon le lobby des banques, les entreprises, mais également les communes, les transports publics et les hôpitaux auraient pu trouver des financements plus facilement et à moindres coûts avec l’abrogation de cet impôt.

La suppression de l’impôt anticipé sur les rendements des obligations aurait entraîné une baisse des recettes fiscales difficile à quantifier, car celle-ci dépend du niveau des taux d’intérêt. Le ministre des Finances, Ueli Maurer, a articulé une perte de 200 millions de francs, mais le comité référendaire a évalué le manque à gagner pour les collectivités publiques à près de 800 millions de francs par année.

Des chiffres obscurs

Selon le Conseil fédéral, cette perte fiscale aurait été compensée par une augmentation des recettes due au renforcement du marché des capitaux en Suisse. Mais là, aussi, les chiffres avancés ont été mis en doute par les opposants et opposantes à la réforme. Dans une interview accordée fin août aux journaux du groupe CH Media, Ueli Maurer a déclaré que 60% du volume des obligations avait migré à l’étranger en raison de cet impôt au cours des 12 dernières années.

Or ces chiffres entrent en contradiction avec ceux fournis par l’entreprise SIX, qui gère la Bourse nationale. Le volume des obligations sur le marché suisse est passé de 80 à 90 milliards entre 2013 et 2021, comme l’a révélé une enquête des journaux du groupe Tamedia la semaine dernière.

Professeur d’économie à l’Université de Lausanne, Marius Brülhart a dénoncé dans une série de TweetsLien externe «l’obscurité» dans laquelle avaient été plongés les votants et les votantes durant la campagne. «Ce qui m’a gêné dans le débat, c’est qu’il ait été si mal préparé par les partisans de la réforme. Ils avaient pourtant des années pour le faire, puisqu’une baisse d’impôt semblable avait été décidée en 2012», explique Marius Brülhart à swissinfo.ch.

Manque de rigueur dans l’analyse

Aux yeux du professeur de l’Université de Lausanne, il est indéniable que le marché des émissions d’obligations est moins développé en Suisse que dans certaines places financières concurrentes. «Mais cette différence est-elle principalement, voire uniquement, due à l’impôt anticipé? Il y a d’autres facteurs qui pourraient jouer en notre défaveur, tels que l’appréciation du franc ou la non-participation de la Suisse au marché unique européen pour les produits financiers. Les partisans de la réforme n’ont présenté aucune analyse rigoureuse permettant de décortiquer ces différentes influences et de démontrer l’importance particulière de l’impôt anticipé», regrette Marius Brülhart.

Plutôt que de fournir une telle analyse, les représentants du secteur financier ont préféré demander aux citoyennes et aux citoyens de leur faire confiance aveuglément. «Le problème, c’est qu’ils ont beau connaître leur métier, ils ont en même temps un intérêt commercial à exagérer leurs promesses», avance Marius Brülhart.

Reste que malgré la complexité de cet objet soumis à votation et la difficulté pour tout un chacun à se faire une opinion éclairée sur les conséquences de la réforme, Marius Brülhart salue le fait que le peuple ait pu donner son avis ce dimanche dans les urnes. «C’est unique au monde de soumettre une proposition aussi technique à un vote du peuple – qui en contrepartie s’informe et se renseigne sur le projet. Partout ailleurs, cette réforme aurait été décidée par quelques politiciens, lobbyistes et initiés au Parlement et dans les ministères».

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