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La reconversion de Sainte Sophie à Istanbul cause des dommages collatéraux en Suisse

Mann mit türkischer Flagge vor Hagia Sophia
A Istanboul, on fête la décision du gouvernement turc de refaire du monument vieux de 1500 ans et inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO une mosquée. Keystone / Erdem Sahin

Le président turc Erdogan va reconvertir la basilique Sainte Sophie en mosquée. L’entreprise suisse SICPA sera également touchée.

Depuis sa construction au temps de l’Empire byzantin (VIe siècle) l’iconique Sainte Sophie a toujours représenté la nature du pouvoir sur le Bosphore. Elle fut d’abord la basilique du couronnement des empereurs romains d’Orient, puis la grande mosquée des sultans ottomans, et enfin un musée ouvert à tous dans la Turquie laïque moderne. Et voilà que le gouvernement religieux-nationaliste d’Erdogan décide d’en refaire une mosquée. Une décision à forte charge symbolique, qui a déclenché de nombreuses réactions dans et hors de Turquie.

Cette conversion aura aussi des conséquences financières. Sainte Sophie est un des «musts» d’Istanbul. Elle accueille les touristes depuis 86 ans. L’an dernier, elle a été le musée le plus visité du pays, avec 3,7 millionsLien externe d’entrées à 10 francs et plus, qui en font aussi une importante source de revenus.

Une source qui va se tarir: la mosquée Ayasofia, comme on l’appelle en Turquie, devra désormais être accessible gratuitement à tous. Et cela touche également l’entreprise suisse SICPA. Elle a développé un système pour l’impression et la vente des tickets d’entrée. L’entreprise basée à Lausanne avait remporté en 2018 un appel d’offres du ministère de la Culture et du Tourisme et depuis, son produit est utilisé dans 69 musées et sites culturels de Turquie.

Active dans le monde entier

L’unité d’entreprise de SICPA en Turquie appartient à la maison mère. En Suisse, la firme est surtout connue pour ses encres spéciales pour les billets de banque. Ainsi, les nouvelles coupures de 100 francs apparues l’an dernier sont imprimées avec des encres de sécurité de SICPA.

L’entreprise fournit les encres pour plus de 170 monnaies dans le monde, dont le dollar américain et l’euro, ce qui en fait le leader mondial du secteur. Dans ce domaine sensible règne la confidentialité la plus stricte. Les banques centrales, qui sont les clientes de SICPA, l’obligent à ne rien divulguer sur ses relations d’affaires ou sur ses produits.

L’entreprise est également active dans d’autres domaines, comme les solutions de sécurité intégrées pour protéger les documents de valeur contre la contrefaçon et la fraude. Elle est aussi spécialisée dans la protection des recettes fiscales: elle suit et contrôle les chaînes d’approvisionnement de produits comme le tabac, l’alcool ou les médicaments, qui génèrent de grosses rentrées fiscales, et identifie les marchandises contrefaites et de contrebande.

En outre, SICPA a lancé, avec les hautes écoles, les autorités et d’autres entreprises de la région lémanique le pôle de compétences Trust ValleyLien externe. Genève et Vaud entendent ainsi se positionner dans les domaines de la «confiance numérique et de la cybersécurité».

SICPA a aussi été remarquée récemment en lien avec une carte d’immunité au coronavirus. Selon son projet, les personnes qui se remettent après avoir contracté la Covid-19 pourraient recevoir un code QR basé sur une chaîne de blocs et donc impossible à manipuler.

Hände weg von der Hagia Sophia, hiess es an einer Demonstration in Italien
“Ôtez les mains de Sainte Sophie”, “Stop au fanatisme islamique”, peut-on lire sur les pancartes de ces manifestants italiens. Sous le masque tricolore, on reconnaît le leader de la Lega Matteo Salvini. Copyright 2020 The Associated Press. All Rights Reserved

La confidentialité comme marque de fabrique

La fin de l’activité du plus grand musée de Turquie aura aussi des conséquences financières pour SICPA. Les médias turcs partent de l’idée que l’entreprise sera indemnisée pour cela, car son contrat était encore valable pour sept ans au moins. Interrogée à ce sujet, la firme vaudoise dit travailler «dans l’esprit d’un partenariat de longue durée» avec les institutions gouvernementales turques et ne commente par principe pas leurs décisions souveraines.

Chez SICPA, on est habitué à collaborer étroitement avec les gouvernements. Imprimer des billets de banque, collecter des données fiscales, émettre des documents officiels, ce sont là des taches des pouvoirs publics.

Mais être aussi proche du pouvoir comporte aussi des risques. Par le passé, l’entreprise – ou certaines de ses sous-unités – ont été critiquées pour ne pas avoir maintenu la distance nécessaire avec des élites corrompues, surtout dans les pays en développement. En 2016, SICPA a été soupçonnée de corruption au Brésil. Et récemment, on a appris que l’entreprise utilisait les services de Dominique Strauss-Kahn pour démarcher les clients en Afrique de l’Ouest, où le controversé ancien directeur du FMI entretient de solides réseaux.

Quoi qu’il en soit, SICPA mène ses affaires dans la plus grande discrétion. L’entreprise emploie près de 3000 collaborateurs et se trouve aux mains de la troisième génération de la famille Amon. Elle ne publie pas ses comptes, mais on estime son chiffre d’affaires annuel entre un milliard et un milliard et demi de francs suisses.

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