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La saga Bettencourt passe par Vevey

L’Oréal, géant mondial des cosmétiques, au coeur d'une saga familiale et politique. AFP

Propriétaire de L'Oréal, la famille Bettencourt se déchire devant les tribunaux en France. Un conflit qui intéresse la multinationale suisse Nestlé, deuxième actionnaire du groupe cosmétique.

Avril 2010, ouverture de l’assemblée annuelle de L’Oréal. Mais pourquoi n’est-elle pas là? Les observateurs s’interrogent sur l’absence de Liliane Bettencourt, 87 ans, la fille du fondateur du groupe de cosmétiques, habituellement assise au premier rang. En revanche, ils notent la présence des vice-présidents Peter Brabeck, le président de Nestlé, et Jean-Pierre Meyers, le gendre de Liliane Bettencourt.

Peter Brabeck semble n’avoir jamais manifesté autant d’intérêt pour L’Oréal dont le géant alimentaire helvétique est le principal actionnaire derrière la famille Bettencourt, avec 29% du capital. Brabeck l’avait bien dit, en quittant la direction générale de Nestlé: dorénavant, il aurait davantage de temps pour se consacrer à L’Oréal. En 2008, joignant le geste à la parole, Brabeck s’était empressé d’acheter 11’500 actions L’Oréal à 77 euros pièce, provoquant une flambée du titre à la bourse.

On s’était interrogé à l’époque sur les motivations de Peter Brabeck. Songeait-il à marquer son territoire en vue d’une passation du pouvoir chez L’Oréal? En 2007, il tenait pourtant encore des propos très différents, laissant entendre que Nestlé pourrait se désengager de L’Oréal, une participation acquise au début des années soixante-dix à l’instigation de Georges Pompidou.

Pacte d’actionnaires

La situation a-t-elle tellement changé depuis lors? Certes le trésor de guerre de Nestlé s’est enrichi de 39 milliards de dollars suite à la vente à Novartis du fabricant de produits ophtalmiques Alcon, alimentant du même coup les rumeurs d’un rachat par Nestlé de la part de Liliane Bettencourt dans L’Oréal, soit 31%. Mais, d’un autre côté, le pacte d’actionnaires liant Nestlé à la famille Bettencourt a été reconduit en 2009.

Ce document interdit toute prise de contrôle de L’Oréal par Nestlé du vivant de Liliane Bettencourt. En revanche, «les parties sont libres de vendre leurs actions, chacune d’entre elles ayant concédé à l’autre un droit de préemption jusqu’au 29 avril 2014. Après cette date, les parties sont libres d’offrir des actions à un tiers», précise Nestlé.

Jon Cox est de ceux qui ne croient pas au rachat par Nestlé d’une nouvelle part de 30% dans L’Oréal. Pour cet analyste chez Kepler Capital Markets à Zurich, L’Oréal n’est pas un investissement stratégique pour Nestlé car la société française ne travaille pas dans le métier de base de la multinationale veveysanne, l’alimentation. Dans ce contexte, le montant à débourser, 20 milliards de dollars, reste dissuasif, même pour une société de la taille de Nestlé. Et ce n’est pas l’affaire Bettencourt qui y changera grand-chose.

Un procès très attendu

L’affaire Bettencourt? Elle fait la joie des gazettes en France à la veille d’un procès qui devrait défrayer la chronique en ce début d’été 2010. Le 1er juillet, devrait s’ouvrir en effet au Tribunal de Nanterre, le procès intenté par Françoise Bettencourt Meyers, la fille de Liliane Bettencourt, au photographe François-Marie Banier, ami et confident de la propriétaire de L’Oréal.

Un homme dont l’ascendant auprès de celle que les magazines économiques considèrent comme l’une des 20 personnes les plus riches au monde est tel qu’il se voit accusé par l’héritière de Liliane Bettencourt d’avoir profité de la fragilité de cette dernière pour obtenir près d’un milliard d’euros de dons.

Pour le piéger, Françoise Bettencourt Meyer a-t-elle mandaté le maître d’hôtel de sa mère pour enregistrer toutes les conversations se tenant dans le salon de la villa de Liliane Bettencourt à Neuilly? Liliane Bettencourt, qui a pris résolument le parti de son confident, l’affirme. L’affaire a d’ailleurs pris une tournure politique avec la mise en cause du ministre du Travail et ex-ministre du Budget Eric Woerth dont l’épouse, Florence Woerth, est gestionnaire de fortune.

Eric Woerth déclare ne pas être au courant des soupçons de fraude fiscale et Liliane Bettencourt a annoncé avant-hier dans un communiqué la régularisation fiscale de l’ensemble de ses avoirs à l’étranger dont le compte qu’elle possédait en Suisse.

UBS ou Credit Suisse?

Selon les enregistrements clandestins de conversations entre Liliane Bettencourt et son entourage, repris dans la presse française, la propriétaire de L’Oréal aurait disposé de deux comptes non déclarés en Suisse pour un montant de près de 80 millions d’euros.

S’agit-il de comptes à l’agence veveysanne d’UBS, comme croient le savoir des médias en France? Ou plutôt de Credit Suisse qui, relèvent des observateurs, entretient des rapports privilégiés avec Nestlé, au point que Peter Brabeck siège également au conseil d’administration de la banque au logo ailé.

Intrigante, en tout cas, reste la position de Nestlé, un groupe qui ne saurait demeurer indifférent à la saga impliquant une actrice de poids dans son capital. Car si Liliane Bettencourt détient plus de 30% de L’Oréal, elle est aussi l’actionnaire principale de Nestlé avec 3% des actions. Il fut un temps, affirment des anciens employés de L’Oréal, où le bruit courait qu’elle en possédait même jusqu’à 10%! Chez Nestlé, on ne répond pas sur ce point. Nestlé ne dit pas non plus s’il s’est constitué partie civile dans le procès parisien.

Par contre, son porte-parole Ferhat Soygenis confirme que «l’avenir de la participation de Nestlé dans L’Oréal est un sujet d’importance pour le groupe, que son conseil d’administration examine avec la plus grande attention dans le cadre de sa stratégie mondiale en matière de nutrition, de santé et de bien-être».

Christian Campiche/La Liberté, swissinfo.ch

Saga familiale. Le feuilleton L’Oréal est au départ une histoire de famille. Liliane Bettencourt, 87 ans, l’héritière du géant des cosmétiques (environ 30% des actions), est accusée par sa fille Françoise de dilapider l’héritage au profit d’un photographe mondain.

Enregistrements. Dans le cadre de cette saga familiale, des écoutes pirates de conversations entre la femme la plus riche de France (10 milliards d’euros) ont été réalisées. Suspectée de fraude fiscale par ces enregistrements, Liliane Bettencourt a annoncé le rapatriement de ses avoirs à l’étranger, dont un compte en Suisse.

Conflit d’intérêt. L’affaire a pris une tournure politique avec la mise en cause du ministre français du Travail Eric Woerth. Il est accusé d’être au centre d’un «conflit d’intérêts» par l’opposition de gauche. Les écoutes laissent entendre qu’Eric Woerth, ex-ministre du Budget de 2007 à mars 2010, était au courant de ces opérations dans la mesure où une partie de la fortune de Liliane Bettencourt est gérée depuis 2007 par son épouse.

Récupération. L’opposition, qui réclame une enquête judiciaire, dénonce une «collusion» entre pouvoir et grandes fortunes, un angle d’attaque récurrent de la gauche à l’encontre du président Nicolas Sarkozy à qui elle reproche sa proximité avec les grands groupes français.

Nestlé détient 30% du capital de L’Oréal, ce qui en fait le principal actionnaire du géant mondial des cosmétiques derrière la famille Bettencourt.

Nestlé et la famille Bettencourt sont liés par un pacte d’actionnaires qui court jusqu’en 2014. Si la famille décidait de vendre ses parts, elle devrait le faire en priorité à Nestlé, qui s’est engagé au statu quo du vivant de Liliane Bettencourt.

Depuis la vente, pour 28 milliards de dollars, de sa participation dans Alcon, Nestlé dispose d’un véritable trésor de guerre. Le directeur général de Nestlé Paul Bulcke a affirmé récemment à l’agence Reuters qu’il n’y avait pas de plans visant à racheter la participation de 31% de l’héritière de la famille Bettencourt dans L’Oréal.

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