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La scandaleuse attitude de la communauté internationale

Cornelio Sommaruga, 2003. RDB

Selon Cornelio Sommaruga, la guerre entre lsraël et le Hezbollah libanais a mis à jour des violations du droit humanitaire et des carences politiques internationales.

Mais pour l’ancien président du CICR, le droit humanitaire international ne sort pas affaibli de ce conflit. Car cet instrument existe bel et bien. A la communauté internationale de le faire respecter !

Un cessez-le-feu a été instauré entre lsraël et les milices du Hezbollah au Liban. Pour l’instant, il tient, même si la situation reste volative et explosive. Mais les stigmates de cette guerre apparaissent au grand jour. Une guerre qui n’a pas épargné les civils. Au contraire ! Ce conflit a mis à jour des violations systématiques du droit de la guerre.

«Je suis très déçu», lance l’ancien patron du Comité international de la Croix Rouge (CICR). Cornelio Sommaruga montre du doigt Israël et le Hezbollah «qui n’ont pas respecté les principes essentiels du droit humanitaire international ».

L’Etat hébreu a mené, dit-il, «des attaques massives qui ont atteint la population civile, au sud et au centre du pays, autour de Beyrouth. La destruction des infrastructures libanaises, le blocus des ports et indirectement celui de l’aéroport ont causé d’énormes problèmes pour la population civile. Ce qui est extrêmement grave».

Et l’actuel patron du Centre international de déminage humanitaire à Genève et présidant de la Fondation suisse pour le réarmement moral de rejetter avec la même force les missiles du Hezbollah. «Lancés sur le territoire israélien, ils s’en sont pris à des civils ».

swissinfo: Est-ce la première fois que des belligérants visent ouvertement des civils et des installations civiles?

C.S.: Non. Cela s’est déjà passé dans d’autres situations. Mais cette fois-ci, on a eu l’impression, même si les civils n’étaient peut-être pas la cible première, qu’on ne tenait aucun compte d’un principe important du droit humanitaire, celui de la différentiation entre civils et militaires.

Les objectifs militaires sont légitimes, les objectifs civils ne le sont pas. Ce qui s’est passé est très grave.

swissinfo: Le Droit humanitaire international sort-il affaibli de cette crise-là ?

C.S.: Je ne crois pas qu’il faille dire qu’il sort affaibli: il est là. L’important, c’est de le faire appliquer. Et la responsabilité n’est pas simplement une responsabilité des institutions humanitaires ou du CICR – qui du reste s’est donné une peine inouïe pour le faire respecter. Mais c’est une responsabilité de la communauté internationale.

L’article 1 des quatre Conventions de Genève dit que les parties contractantes sont tenues à appliquer les normes des Conventions et à les faire appliquer. Or le Liban et Israël sont parties aux Conventions de Genève.

Micheline Calmy-Rey, ministre suisse des affaires étrangères, a eu raison d’interférer et de lancer des appels soutenus pour faire appliquer le Droit. Et aussi de souligner qu’il y avait des situations de non-application.

swissinfo: Ne trouvez-vous pas que les dénonciations relatives au non-respect du Droit humanitaire international, ont été timides?

C.S.: Oui, on aurait pu s’attendre à des réactions beaucoup plus engagées de la part de tous les pays, et en tous cas des pays qui sont intéressés soit par l’application du droit international, soit par la crise du Moyen-Orient.

Cela n’a pas été fait. C’est scandaleux. Comme il est scandaleux de voir avec quelle timidité les appels au cessez-le-feu se sont fait entendre ! Au début, on a perdu beaucoup de temps, avec des conséquences terribles pour les populations civiles, y compris la population palestinienne qu’on a un peu oubliée, et qui était aussi sous la contrainte, notamment à Gaza.

swissinfo: On a essayé de justifier le silence par le souci de parvenir jusqu’aux victimes. Or dans ce cas précis, cet accès a été refusé. Des humanitaires ont même été attaqués. N’est-ce pas un degré de plus dans le non-respect du Droit humanitaire international?

C.S.: Oui, des choses choquantes se sont passées. Et ce n’est pas exceptionnel dans la région. Je suis particulièrement choqué par quelque chose que j’ai appris, ici à Caux, par des amis libanais, sur l’attaque délibérée d’un convoi de la Croix-Rouge libanaise, qui a entraîné la mort d’un délégué.

Ce sont des choses extrêmement graves. Là, il faut absolument que la justice internationale – si la justice nationale ne le peut pas – puisse condamner ceux qui se sont comportés ainsi.

Je ne peux parler au nom du CICR, ni au nom du gouvernement suisse, ni en tant que connaisseur de tous les détails de l’affaire. Je vous donne une réaction spontanée, parce que j’ai suivi la chose et surtout parce que j’ai réagi à travers l’Appel auquel je faisais référence auparavant. A Caux, j’ai voulu que l’Assemblée générale de mon organisation prenne position sur ce problème.

swissinfo: Des voix s’élèvent actuellement pour demander des enquêtes. Selon vous, est-ce que le fait de vouloir au moins comprendre ce qui c’est passé est une nécessité aujourd’hui pour ne pas répéter les mêmes choses ailleurs, plus tard?

C.S.: Ce dernier point est essentiel: il faut toujours apprendre des erreurs du passé, ne pas les répéter, et il faut recueillir toutes les informations possibles pour éventuellement réviser au moment opportun les dispositions du Droit.

Mais il faut savoir que dans des situations conflictuelles telle que celle du Proche-Orient, des enquêtes ont un sens seulement si les parties donnent un libre accès absolu à la commission d’enquête. Et je ne crois pas que ces conditions soit établies pour le moment.

swissinfo: Crimes contre l’humanité, crimes de guerres? Le débat est ouvert…

C.S.: Si une procédure est entamée devant la Cour criminelle internationale, alors ça sera cette Cour qui devra établir de quels crimes on parle. Moi, je pense que nous sommes dans un conflit armé international et dans ce cadre, ce sont surtout des crimes de guerre qui peuvent entrer en ligne de compte, qui sont ceux envisagés dans les Conventions de Genève et repris dans les statuts de la Cour.

Interview swissinfo, Mohamed Cherif

Le Suisse Cornelio Sommaruga est né en 1932 à Rome.
Juriste, il travaille dans la banque à Zurich, avant d`entrer aux Affaires étrangères à Berne.
Après divers postes diplomatiques, il sera nommé ambassadeur, délégué aux accords commerciaux, puis secrétaire d`Etat aux affaires économiques extérieures.
Nommé à la tête du CICR en 1987, il essaiera d`en étendre les objectifs aux populations de pays en proie à la guerre civile.
Remplacé en 2000 par Jakob Kellenberger, il dirige le Centre international de déminage humanitaire à Genève et préside la Fondation suisse pour le réarmement moral.

Présente au pays du Cèdre depuis 1967, l’organisation humanitaire y est actuellement engagée dans de nombreuses opérations en faveur des victimes du conflit entre Israël et le Hezbollah.

Pour faire face à une situation humanitaire catastrophique, le CICR a lancé un appel de fonds de 65 millions d’euros. Il a également augmenté massivement sa présence au Liban, où ses délégués sont désormais 70.

Le CICR, gardien des Conventions de Genève sur le droit international humanitaire, a en outre fait savoir à plusieurs reprises qu’il était prêt à fournir un soutien logistique neutre dans le cas où une solution se dessinerait pour les prisonniers détenus par les deux camps.

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