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La société a les jeunes qu’elle mérite

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Publiée début septembre, une statistique remontant à 1946 a montré que le nombre des 15-18 ans qui se retrouvent face à la justice a triplé. Mais que 98% des jeunes n’ont aucun problème.

Les spécialistes réagissent avec prudence. Ils estiment que la criminalité ne se réduit pas à des chiffres, mais qu’il ne faut pas non plus la banaliser.

Ces chiffres sont tombés en pleine campagne électorale (les Suisses élisent leur parlement le 21 octobre), alors que la droite populiste tire en permanence sur la corde du sentiment d’insécurité.

De leur côté, les «gens du terrain», enseignants, juges, policiers, se relaient pour mettre en garde contre les généralisations. Comme Mireille Reymond, présidente du Tribunal des mineurs du canton de Vaud.

Si les infractions augmentent, c’est parce que les gens sont plus prompts à appeler la police. «Autrefois, les parents réglaient certaines choses entre eux, comme les bagarres des cours d’école. Actuellement, cela passe plus souvent par le juge car les gens se connaissent moins», explique-t-elle à swissinfo.

Et puis, avec l’urbanisation croissante, les jeunes manquent d’espace pour se défouler et apprendre la vie. «A la campagne, ils faisaient plein de bêtises qui passaient inaperçues. En ville, il y a moins d’espace et les adultes interviennent plus vite», ajoute la juge des mineurs.

Daniel Fink, de l’Office fédéral de la statistique (qui a publié cette première étude chronologique), estime que «la société tend à déléguer l’éducation des jeunes aux autorités».

«Une phase de la vie»

Globalement, Mireille Reymond ne s’inquiète pas. «La grande majorité des délinquants dérapent une fois et nous ne les revoyons plus. Et ils changent en passant le cap des 18 ans, car ils savent que les ‘jeux’ d’ado s’arrêtent quand on devient adulte.»

La délinquance juvénile survient «durant une phase particulière de la vie», confirme Daniel Fink. Car, selon la même étude, la criminalité n’a pas augmenté chez les adultes.

Autre explication: l’apparition de délits liés à «la convoitise créée par la société de consommation, où les jeunes sont la cible principale des publicitaires», selon Mireille Reymond. Quand il n’y avait pas de téléphones mobiles, de MP3, de vêtements de marque et de supermarchés, le racket n’existait guère et il y avait moins de vols.

Violence inquiétante

Par contre l’augmentation de la violence est inquiétante. Elle ne constitue que 10% des infractions, mais elle a doublé en 15 ans. Et la réalité pourrait être pire, car les statistiques classent le brigandage – en augmentation – avec le vol, et non avec les délits de violence.

«Il ne faut pas extrapoler en disant que tous les jeunes deviennent violents, dit encore Mireille Reymond. Mais il n’est pas question non plus de banaliser les actes graves qui provoquent de grandes souffrances».

«Ils sont souvent, voire toujours, le fait de jeunes issus d’un cadre familial inadéquat. Cela étant dit, il faut réagir énergiquement et avec un message clair.» Si l’on veut protéger la société, la juge est convaincue qu’il faut comprendre ces actes afin qu’ils ne se reproduisent pas.

«Ensuite, il faut des solutions adaptées à l’adolescence. Pour les délits mineurs, la prison n’est souvent pas la bonne réponse pour inculquer les règles de la société.»

Allusion à l’Union démocratique du Centre (UDC, droite nationaliste), laquelle exige que le droit pénal des adultes s’étende aux jeunes dès 16 ans au lieu de 18. Le député vaudois André Bugnon a justifié ce projet ainsi: «L’évolution ‘négative’ de la société n’est-elle pas liée à l’évolution du laxisme de la société?»

Un laxisme hérité de Mai 68

Christoph Blocher, ministre de la Justice et de la Police, membre de l’UDC lui aussi, a également accusé l’école d’être l’héritière de Mai 68 et du culte de l’«enfant-roi».

Ce que conteste Jacques de Coulon, recteur du Collège St-Michel de Fribourg et auteur de plusieurs livres: «Ce n’est plus vrai pour l’école, dont la mission est de fixer des limites. Mais c’est peut-être un peu vrai pour les parents qui, souvent, tendent à déléguer leur autorité tout en surprotégeant leurs enfants, quitte à remettre en cause l’autorité de l’école, par exemple avec des plaintes.»

L’idéal, selon Mireille Reymond, serait que chacun reprenne son rôle. «Si on parle tant des mineurs, ne serait-ce pas parce que nous nous demandons ce que nous avons fait en tant qu’adultes?»

Mais pour Jacques de Coulon, qui est aussi philosophe, il n’y a pas de déterminisme: «Les jeunes ne sont pas le simple produit de leur éducation, car ils ont toute liberté de prendre en main leur vie», déclare-t-il à swissinfo.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

Les condamnations pénales des 15-18 ans ont passé de 6 pour mille dans les années 60 à 18 pour mille en 2004 (4600).
70% sont des délits contre le patrimoine, comme dans les années 50. Les vols simples ont diminué de moitié depuis 1982 (de 12’000 à 6000).
10% sont des infractions contre l’intégrité corporelle, chiffre qui a doublé en 15 ans.
Le reste concerne la circulation routière ou la drogue.

La Convention de l’ONU pour les droits de l’enfant recommande que l’incarcération ne soit choisie qu’en dernier recours, qu’elle soit séparée des adultes et que sa durée soit aussi brève que possible.

En Suisse, 20% des jugements pénaux débouchent sur des peines privatives de liberté (50% dans les années 70), qui privilégient de plus en plus les astreintes au travail, les mesures ambulatoires et l’assistance éducative.

En Suisse, l’âge limite de l’incarcération est de 15 ans, mais le canton de Zurich a demandé à ce qu’il soit avancé.

Cet âge limite est de 10 ans en Grande-Bretagne, 12 aux Pays-Bas, 13 en Pologne et en France. Ailleurs en Europe, il se situe entre 15 et 16 ans.

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