La Suisse, un mouroir feutré
Sous le titre «Petit Bois», Françoise Courvoisier rassemble des textes de Michel Viala, auteur romand rebelle qu'elle met en scène à Genève.
Le spectacle, qui sera également joué à Neuchâtel et Lausanne, n’épargne pas la Suisse vieillie dans la peur de l’inconfort.
Attention: patriotes, nationalistes, chauvins ou paranoïaques s’abstenir. Car bien naïf serait celui qui ne verrait dans “Petit Bois”qu’une réflexion sur le déclin inexorable qui guette chaque être et que l’on appelle vieillesse.
Le spectacle monté par Françoise Couvoisier, à Genève, est un assemblage de textes écrits de la main alerte et cinglante d’un auteur auquel on collerait volontiers l’étiquette de surréaliste s’il ne se voulait pas lui-même inclassable. Son nom? Michel Viala.
Pour le connaître davantage, inutile de consulter un dictionnaire. Sa vie, vous la trouverez dans “Petit Bois”, texte en partie autobiographique etriche d’une méditation sensible et drôle sur la décrépitude, mais pas seulement.
Pas du roman… du vrai de vrai
Viala donc. Le voici tel que joué et raconté par l’excellent Maurice Aufair qui l’incarne sur scène: «Je suis né en 1933, un 17 mai, à Genève, dans le quartier des Pâquis. J’avais un frère jumeau… » Les trois points de suspension, Viala les remplira plus tard par un vie d’errance.
«Je m’étais trouvé un banc à la gare, écrit-il encore. J’y restais assis presque toute la journée et la nuit j’y dormais souvent.»
Non, ce n’est pas du roman, c’est du vrai de vrai. Viala sans domicile fixe. Viala grand auteur romand (“Le Bunker”, Séance”, “Le creux”,”L’Invitation”…) aujourdhui vivant dans un EMS (établissement médico-social).
Viala frère en littérature d’Antonin Artaud, comme lui «suicidé de la société». Cette société qu’il attaque à coups de sarcasme et que Françoise Courvoisier a réunie dans “Petit Bois”.
Un EMS microcosme de la Suisse
L’histoire se passe dans un EMS justement. Cinq personnes âgées et deux soignants (tous bien joués) suffisent à créer l’atmosphère d’un hospice qui, sous la bonne conduite de Courvoisier, ne tarde pas à se transformer en
microcosme de la Suisse.
La Suisse, un mouroir aux espaces nets et bien quadrillés (décor Sylvie Lépine), est donc menée par des dirigeants sourcilleux qui rencontrent en la personne des soignants une réplique parfaite.
Tout l’intérêt du spectacle demeure dans cette transposition. Désespérés ou refoulés, les résidents de cet hospice tentent de se régler sur la vieille
pendule de la vie (ici on aime l’ordre et la discipline).
Un seul ne s’y résout guère, Michel Viala (alias Maurice Aufair), éternel jeune homme, dissident qui de sa voix railleuse veut s’arracher et arracher son pays à la mort.
Ecoutez-le: «Les agents d’assurance contre la peur/ la mort et la misère/ ont mis mon pays dans une petite boîte/ et se sont assis dessus/. L’intérieur de la petite boîte est tapissé de ouate (…) avec des chalets qui fument/ des vaches/ des edelweiss Guillaume Untell».
C’est vous qui avez écrit cette cochonnerie? lui demande-t-on à l’hospice. Oui, répond son personnage. Allez en Chine si vous n’êtes pas content, s’entend-il dire. Je suis Suisse, réplique-t-il. La Suisse n’a pas besoin de mauvais Suisses, lui signale-t-on.
swissinfo, Ghania Adamo
“Petit Bois”: Genève, Le Poche, jusqu’au 14 novembre. Neuchâtel, Théâtre du Pommier, les 16 et 17 novembre. Lausanne, Théâtre de Vidy, du 1er au 20 décembre.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.