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La Suisse a besoin d’une stratégie numérique

Une page numérisée de la Bible de Gutenberg, qui figure dans l'"european library". British Library, UK

Alors que Google lance un projet de librairie numérique, l’Europe et la Suisse mettent en place un réseau des bibliothèques nationales.

Mais, selon le nouveau responsable helvétique de la culture, Jean-Frédéric Jauslin, la Suisse doit encore se doter d’une stratégie en matière de patrimoine digital.

En décembre dernier, le moteur de recherche américain Google a fait sensation en annonçant son projet de numériser 15 millions de livres et de documents d’ici 2015. Pour l’heure, ce projet devisé à près de 200 millions de dollars concerne essentiellement le monde anglo-saxon.

Mais ce programme constitue néanmoins un défi pour l’ensemble des bibliothèques dans le monde et particulièrement celles d’Europe. C’est en tout cas le point de vue de Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque nationale de France et de son ami et ancien collègue, le Suisse Jean-Frédéric Jauslin.

Avant de prendre la tête de l’Office fédéral de la Culture, Jean Frédéric Jauslin a en effet dirigé la Bibliothèque nationale suisse (BNS) et présidé la Conférence des directeurs des bibliothèques nationales d’Europe (CENL) qui regroupe 43 pays.

swissinfo: Google a-t-il établi des contacts avec la Suisse?

Jean-Frédéric Jauslin: Pas à ma connaissance. En fait, Google a contacté 4 grandes bibliothèques américaines et une en Angleterre pour son projet de digitalisation de 15 millions de documents.

Google n’est donc pas en train de lancer une action sur le plan mondial. Cela dit, le président de la Bibliothèque nationale de France – Jean-Noël Jeanneney – a réagi à ce projet et lancé une réflexion au niveau européen. Et ce, avec le soutien du président Jacques Chirac.

swissinfo: Le projet de Google vous séduit-il?

J.-F. J: L’idée qu’une entreprise privée mette en valeur sous forme numérique les collections d’une bibliothèque ne me pose pas de problème. Les bibliothèques nationales ont en effet pour mandat de conserver et de mettre à disposition le patrimoine du pays. Elles ont donc tout intérêt à une valorisation de ce patrimoine. Et si une entreprise comme Google décide de le faire, je ne crois pas qu’il faille s’y opposer.

Il faut aussi rappeler que ce projet concerne essentiellement les œuvres libres de droits, une clause qui intervient 70 ans après la mort de l’auteur. Ce projet concerne donc des œuvres relativement anciennes.

Il faut aussi prendre en compte l’énormité du projet. Si Google est en mesure de numériser 50’000 pages par jour, il faudra de nombreuses décennies pour numériser 15 millions de documents.

Je relève au passage l’existence à Neuchâtel d’une start-up qui a mis au point un tourneur de page automatique. Or cette machine a été acquise par la bibliothèque de Harvard (impliquée dans le projet Google) et d’autres institutions s’y intéressent. Couplée avec un scanner, cette machine permet en effet de digitaliser massivement et automatiquement un grand nombre de livres.

Mais cette opération nécessite tous de même de gros moyens financiers et humains. Seules de grandes institutions sont donc à même de réaliser un tel projet.

Cela dit, le projet ne soulève pas que des questions techniques. Les Français soulignent que l’Europe a une approche beaucoup plus multiculturelle que celle des Etats-Unis. Le Conseil de l’Europe réunis en effet une quarantaine de pays, de langues et de cultures différentes.

A coté du projet Google, l’Europe peut donc développer un projet multiculturel et décentralisé, autrement dit en réseau. La Conférence des directeurs des bibliothèques nationales d’Europe (CENL), que j’ai présidé jusqu’au 31 mars, travaille d’ailleurs à un projet – The Europeen Library – qui vise à mettre en réseau les bibliothèques nationales. Et l’une des questions abordée par ce projet financé par l’Union européenne est la mise en commun de nos documents électroniques.

swissinfo: Est-il question de digitaliser les livres qui ne le sont pas?

J.-F. J: Pour l’heure, il n’y a pas de budget pour financer une telle opération. Et c’est l’un des mérites du projet de Google que d’inciter l’Europe à envisager une telle option. Mais il faut savoir que la conservation d’un patrimoine digitalisé coûte dix fois plus cher que la préservation d’un livre ou d’un document analogique.

Vu les rapides changements technologiques, il faut en effet régulièrement transférer les contenus numériques sur de nouveaux formats. Et ce pour que nos ordinateurs puissent les lire.

swissinfo: Quelle est l’implication de la Suisse dans ce projet?

J.-F. J: La Suisse participe activement à ce programme. Elle en a même été l’un des moteurs. Elle peut mettre en avant un réseau de bibliothèques très performant.

Cela dit, la Suisse n’est pas très avancée dans sa réflexion et son action face à son patrimoine et les possibilités offertes par les technologies de l’information.

Il est en effet difficile de mobiliser le monde politique suisse pour définir et financer une véritable politique de la mémoire dans la société de l’information.

Interview swissinfo, Frédéric Burnand à Genève

– Google projette de numériser 15 millions de livres d’ici 2015.

– Sont associées au projet la New York Public Library, les bibliothèques des universités de Stanford, du Michigan, de Harvard et, en Angleterre, celle d’Oxford.

– Le projet pourrait coûter entre 150 et 200 millions de dollars.

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