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La Suisse a encore mal à sa liberté d’expression

La Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg. imagepoint

La Cour européenne des droits de l'homme a condamné mardi la Suisse pour avoir porté atteinte à deux reprises à la liberté d'expression.

Elle a notamment stigmatisé la condamnation d’un journaliste mis à l’amende pour avoir publié en 1997 un rapport confidentiel en marge de l’affaire des fonds juifs en déshérence.

Trop restrictive en matière de liberté d’expression, la Suisse a subi deux désaveux à Strasbourg. La Cour européenne des droits de l’homme a notamment stigmatisé la condamnation d’un journaliste mis à l’amende pour avoir publié un rapport confidentiel.

En marge de l’affaire des fonds juifs, ce rédacteur de la «Sonntagszeitung» avait porté à la connaissance du public des extraits d’un rapport confidentiel de Carlo Jagmetti, qui était ambassadeur de Suisse à Washington.

La divulgation de ce document interne par la presse avait fait l’effet d’un électrochoc. Le diplomate parlait d’une «guerre» que la Suisse devait «mener et gagner sur les fronts extérieurs et intérieurs».

Des débats secrets

Après la publication de ce rapport, le journaliste avait été condamné à une amende pour publication de débats officiels secrets. En décembre 2000, le Tribunal fédéral (TF, Cour suprême) avait confirmé ce verdict, qui s’appuie sur l’une des dispositions les plus controversées du Code pénal.

Saisie d’une plainte, la Cour européenne des droits de l’homme juge qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit la liberté d’expression.

La disposition controversée du code pénal suisse est l’article 293. En substance, elle interdit la publication de documents ou débats secrets d’une autorité. Elle avait failli être abrogée en 1997, avant que le Parlement ne refuse cette option. Une motion vient toutefois d’être déposée dans ce sens par le député Joseph Lang.

C’est aussi sur cette base que le «Sonntagsblick» a actuellement maille à partir avec la justice pour la publication d’un fax égyptien intercepté par les services de renseignement suisses et présumé prouver l’existence de prisons secrètes de la CIA en Europe.

Un intérêt légitime

Pour en revenir à la décision de la Cour européenne, celle-ci constate que le public avait un intérêt légitime à être renseigné dans un dossier aussi sensible que celui des fonds en déshérence. Les exceptions à la liberté d’expression appellent une interprétation étroite, soulignent les juges de Strasbourg.

Ceux-ci stigmatisent ensuite l’amende infligée au journaliste. Dans le contexte du débat politique, pareille condamnation risque de dissuader les journalistes de contribuer à la discussion publique de questions qui intéressent la vie de la collectivité.

Dans une autre affaire impliquant un rédacteur du «Blick», la Cour européenne juge également qu’il y a eu violation par la Suisse du droit à la liberté d’expression. Le journaliste avait écopé de 500 francs d’amende après avoir obtenu des informations d’une secrétaire du parquet de Zurich.

Enquêtant sur le casse de la poste du Fraumünster, il avait lui avait demandé si certains des individus impliqués avaient des antécédents judiciaires. Il avait ensuite été condamné à 500 francs d’amende pour instigation à la violation du secret de fonction.

Une espèce de censure

Selon la Cour européenne, cette condamnation viole la liberté d’expression. Elle constitue une espèce de censure tendant à l’inciter à ne pas se livrer à des activités de recherche, inhérentes à son métier.

Tout comme la condamnation du journaliste de la «Sonntagszeitung», elle est de nature à entraver la presse dans l’accomplissement de sa tâche d’information et de contrôle, conclut la Cour européenne.

swissinfo et les agences

– L’article 293 du code pénal suisse punit celui qui, sans en avoir le droit, rend public tout ou partie d’un document ou d’une décision officielle qui ont été déclarés secrets par une autorité.

– L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) prévoit en revanche la liberté d’expression. Ce qui inclut la liberté de communiquer des informations et des idées sans ingérence de la part des autorités.

– L’application de la CEDH prévaut sur celle du code pénal.

– La CDEH prévoit une restriction à la liberté d’expression dans le cas où la publication d’informations devait prétériter la sécurité nationale ou l’ordre public.

– Dans le cas de la «Sonntagszeitung», la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que l’intérêt public à être informé prévalait sur la restriction en faveur de la sécurité de l’Etat.

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