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Votations fédérales du 26 septembre 2021

La Suisse a fait son coming-out

zwei männer wandern in den bergen hand in hand
Après le vote en faveur du mariage pour tous, ce couple de randonneurs peut profiter deux fois plus de la vue depuis le Männlichen, au-dessus de Grindelwald, dans l'Oberland bernois. © Keystone / Christian Beutler

Le mariage pour toutes et tous réalise un score record dans les urnes suisses. Pourquoi ce oui vient-il aussi tard? Et pourquoi est-il aussi clair?

64,1% des citoyennes et citoyens en faveur du mariage pour toutes et tous, on pourrait crier au record du monde. Jusqu’ici, c’étaient les 62% de l’Irlande en 2015 qui constituaient le plus haut score dans un vote populaire sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe.

Retour à l’unité

Au soir de la votation, la vue d’ensemble montrait que les trois régions linguistiques avaient dit oui. À 65% pour la Suisse alémanique et 63% pour la Suisse romande. Seule la partie italophone était un peu en retrait, avec 53%.

De quoi renforcer l’impression bienvenue de voir à nouveau se dessiner une volonté claire, après toutes les querelles et les divisions autour de la pandémie et des moyens d’y répondre.

Les différences qui subsistent malgré tout reflètent les développements observés chez les voisins. La France a ouvert la voie dès 2013 avec son mariage pour tous, suivie de l’Allemagne en 2017 et de l’Autriche en 2019. Seule l’Italie ne propose toujours, comme alternative incomplète, que le partenariat enregistré.

En Suisse, le fameux fossé ville-campagne ne s’est pas fait sentir cette fois. Les grands centres ont soutenu le projet à 72%, les zones rurales à 58%.

La télévision romande RTS a pourtant relevé des contrastes. En ville de Zurich, on a dit oui à presque 80%, soit deux fois plus que dans la région grisonne de la Bernina, tout au sud-est du pays. Oui mais… il est intéressant de relever que nulle part ailleurs en Suisse, on n’a autant de retraitées et de retraités que dans la région de la Bernina, alors qu’aucune circonscription ne compte autant de moins de 40 ans que Zurich.

Changement de génération

L’explication est probablement là. Les jeunes sont plus souvent concernés par le droit du mariage que les gens plus âgés. Elles et ils veulent vivre librement et chaque nouvelle génération s’identifie un peu moins à la loi en vigueur. Les sondages réalisés pour le compte de la SSR l’ont montré avant même le vote: plus on est jeune, plus on est prêt à accepter le mariage pour toutes et tous.

Les instances de veto

Il n’empêche: en Suisse, les moulins tournent moins vite qu’ailleurs. La science politique l’explique par le phénomène des instances de veto. L’existence même du droit de référendum freine déjà les changements politiques – car il a un effet d’anticipation. Qui ne veut pas perdre en votation populaire est plutôt ouvert au compromis. Mais cela prend du temps. L’existence du référendum renforce donc les forces politiques conservatrices et affaiblit les volontés de changement.

Et cela s’est vérifié aussi dans le cas du mariage pour tous. La première tentative débute en 1998, à la demande d’une conseillère nationale verte. Mais elle échoue devant le parlement, qui introduit à la place la loi sur le partenariat enregistré, en 2005.

La seconde tentative arrive en 2013, par la voix d’une élue vert’ libérale. Et c’est cette initiative du centre progressiste qui va aboutir à une large percée dans les partis de gauche et du centre. Ne restent dans l’opposition que les traditionnalistes: UDC (Union démocratique du centre/droite conservatrice), UDF (Union démocratique fédérale/ droite ultraconservatrice chrétienne) et évangélistes.

Le fédéralisme aussi peut théoriquement constituer une instance de veto. Des demandes émanant d’abord des cantons ou des villes peuvent être plus progressistes, car elles ne dépendent pas d’un consensus national. Mais les décisions prises à l’échelle du pays doivent intégrer les intérêts, les valeurs et la sensibilité des régions.

La diversité l’emporte

Toutefois, les instances de veto ne suffisent pas à expliquer l’absence de changement. Il y a aussi la classe politique et son biotope. De fait, on peut considérer que ce qui favorise également la lenteur politique aujourd’hui, c’est le fait que les politiciennes et politiciens restent longtemps au gouvernement et au parlement, ou qu’elles et ils cultivent la constance dans leurs orientations idéologiques, ou encore que leur recrutement se fait toujours dans les mêmes milieux.

Mais tout cela est en train de changer: la durée des mandats tend à diminuer, le pluralisme augmente et les origines du personnel politique se diversifient.

Cela est devenu particulièrement visible avec les femmes au parlement. Depuis 2019, elles forment 42% du Conseil national, mais toujours seulement 26% du Conseil des États.

Un mouvement LGBTIQ exigeant

Les minorités revendicatrices, comme le mouvement LGBTIQ ne devraient pas rester dans l’ombre à l’avenir. Avec leurs visions, elles deviendront de plus en plus visibles. Ainsi, ces dernières semaines, on a vu des militantes et militants LGBTIQ très engagés et bien connectés dans toutes les régions du pays, et dans tous les camps politiques.

Une étude de l’Université de Zurich a montré que la société civile a été l’acteur le plus visible dans la sphère médiatique lors de la campagne pour le mariage pour toutes et tous. L’auteur Philipp M Ayoub, professeur de sciences politiques à Philadelphie, résume le phénomène dans une formule percutante: «les individus doivent faire leur coming-out avant les États». Si celui-ci est assez fort, on peut en récolter les fruits. Même dans cette Suisse un peu lente.

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