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La Suisse a-t-elle encore un rôle de faiseuse de paix?

En Afghanistan, la Suisse a joué un rôle notamment dans des questions touchant à la reconstruction post-conflit.

La fondation Swisspeace fête ses 20 ans. A l'heure où la médiation helvétique essuie certaines critiques, la Suisse a-t-elle encore des atouts sur le marché international du «peacekeeping»?

C’était il y a vingt ans. Peu avant la chute du mur de Berlin, une centaine de personnalités lançaient la fondation Swisspeace. Cet institut de recherche allait analyser les causes des conflits et travailler à la promotion de la paix par le biais d’activités de conseil, de formation et des publications.

Ses fondateurs étaient-ils des visionnaires? En tout cas des précurseurs. Car si le rôle de médiateur de la Suisse, pays neutre, était largement reconnu pendant la guerre froide, avec la fin de l’affrontement Est – Ouest il s’agissait de le redéfinir de fond en comble.

Plus proactive avec Micheline Calmy-Rey

«Traditionnellement, la Suisse a joué un rôle ‘d’hôtelier’ au sens large, en mettant à disposition des espaces pour les négociations et les signatures d’accord. Mais avec Micheline Calmy-Rey, ministre des Affaires étrangères, la Confédération est devenue plus proactive, aussi au niveau de la médiation», souligne Laurent Goetschel, directeur de Swisspeace,

Pour l’ambassadeur Thomas Greminger, chef de la Division politique IV au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), Swisspeace a joué un rôle clé dans la prise de conscience de l’importance de la promotion de la paix, devenue partie intégrante de la politique étrangère helvétique.

«La force de Swisspeace, c’est aussi de constituer une plate-forme où la société civile – ONG et Eglises – peuvent discuter et harmoniser leurs positions avec les acteurs gouvernementaux, surtout par le biais du KOFF, le centre de promotion de la paix » relève-t-il.

Les succès marquants

Parmi les succès les plus marquants de Swisspeace, Laurent Goetschel cite son rôle pionnier dans la recherche sur les relations entre conflits et changement climatique: «Ce n’est pas la météo qui fait les guerres, mais elle peut y contribuer.»

A relever aussi, ses initiatives en matière de lien entre business et paix: «Le secteur privé commence à réaliser que les tensions ne sont pas propices aux affaires, par exemple en matière de tourisme.»

Thomas Greminger relève de son côté le «Projet société civile afghane», lancé suite à la conférence de Bonn sur l’Afghanistan: une plate-forme de rencontre de la société civile locale autour des questions touchant à la reconstruction post-conflit.

Le dialogue

Mais la Suisse a-t-elle encore un rôle à jouer sur le marché mondial du «peacekeeping», où se pressent, entre autres, les pays scandinaves et la France ?

L’appel de Micheline Calmy-Rey, lancé lundi à Berne, lors de la conférence annuelle des ambassadeurs, semble s’inscrire dans cette dynamique. « La seule force dont nous ayons jamais disposé, ce sont les mots a-t-elle affirmé, appelant à discuter avec les acteurs politiques de poids, même lorsqu’ils sont contestés sur la scène internationale.»

«Faut-il écouter les bien-pensants? s’interroge la ministre. Ou alors rechercher le dialogue sans discrimination – quitte à s’asseoir à la table du dirigeant d’Al Qaïda, Oussama Ben Laden?». Pris au pied de la lettre par certains médias, les propos de la cheffe de la diplomatie ont suscité un tollé. Au point que le service de presse des Affaires étrangères s’est empressé de préciser que la question a été posée «de façon rhétorique» et qu’il était hors de question, dans la pratique, de mener un dialogue avec Oussama Ben Laden».

Ni passé colonial, ni puissance militaire

Mais au-delà de cette polémique récente, un fait est en tout cas avéré. «La facilitation et médiation suisse sont très appréciées dans les instances internationales. A l’ONU, notre pays est très prisé, à côte de la Norvège et de l’Irlande», affirme Thomas Greminger.

«On a certains avantages comparatifs, renchérit Laurent Goetschel, comme le fait de ne pas avoir de passé colonial, ni d’aspirer à être une puissance militaire.»

Pour Julian Hottinger, expert en médiation et membre du pool d’experts du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), cela dépend des régions: «En Afrique, c’est certainement un atout d’être francophone et non membre de l’Union européenne. Mais ailleurs, cela peut être un désavantage. Ça nous met en position de faiblesse et, quand on veut blâmer un médiateur, on s’en prend à la Suisse, petite et isolée.»

Colombie, Initiative de Genève

Une référence aux récents déboires du professeur Jean-Pierre Gontard, médiateur en Colombie aux côtés des Espagnols et des Français ?

«Ce n’est pas la première fois que la facilitation est interrompue en Colombie. C’est même la troisième, nuance Thomas Greminger. Une médiation repose toujours sur la volonté de deux parties. Et l’une des deux peut décider de recourir à des moyens qui lui paraissent plus opportuns, comme par exemple les contacts directs ou les moyens militaires. Notre pays n’a aucun pouvoir d’influencer une telle décision. Ça arrive, c’est tout.»

Et qu’en est-il de l’Initiative de Genève sur la Palestine, où la Suisse s’est fortement engagée, mais qui semble enterrée?

«Elle était très intéressante, mais si l’une des deux parties au conflit n’est pas acquise, ça se termine là. Aussi, il faut faire la part des choses et savoir si on négocie avec des acteurs officiels ou non étatiques», note Laurent Goetschel. Même chose pour le Sri Lanka, qui a replongé dans la guerre civile, «surtout quand des pays comme la Norvège ou la Suisse font de la médiation sans user du bâton» souligne-t-il.

De bons atouts

Pour Julian Hottinger, le principal avantage de la Suisse, c’est sa crédibilité en matière de droits de l’homme et sa connaissance des mécanismes institutionnels et du fédéralisme.

«Les groupes rebelles ne cherchent plus seulement un cessez-le-feu. Ils veulent savoir de quoi demain sera fait. Les accords de paix comprennent toujours plus souvent, en plus d’un volet militaire, une vision de société, des aspects économiques et politiques. Et la Suisse a de bons atouts, surtout dans les conflits multiethniques. Par exemple en matière de décentralisation: pour que la paix dure, il ne faut pas que tous les flux économiques soient concentrés dans la capitale.»

swissinfo, Isolda Agazzi/InfoSud

La promotion de la paix fait partie intégrante de la politique étrangère de la Suisse. Elle relève de la Division politique IV du ministère suisse des Affaires étrangères (DFAE), qui s’occupe de «sécurité humaine».

En son sein, la section politique de paix se concentre sur les pays suivants : Europe du Sud-Est, Népal, Sri Lanka, Indonésie, Angola, région des Grands Lacs, Soudan, Colombie, Guatemala et Mexique.

Ses thèmes prioritaires sont: le partage du pouvoir, la construction et organisation de l’Etat, la démocratisation, la réforme du secteur de la sécurité, la tenue d’élections, le traitement du passé, la protection et promotion des droits humains et du droit international humanitaire, la religion et conflits, la lutte contre les mines antipersonnel et contre la prolifération des armes légères.

Le pool d’experts suisses pour la promotion civile de la paix est composé de personnes pouvant intervenir rapidement dans des missions civiles de paix, à durée limitée.

Ces missions sont menées soit directement par la Suisse (20%), soit par des organisations internationales (80%).

Créée en 1988, la fondation Swisspeace fait de la recherche appliquée, du consulting et de la formation en matière de promotion de la paix. Notamment par le biais du KOFF, le Centre pour la promotion de la paix.

Les domaines prioritaires du KOFF sont : traitement du passé et réconciliation ; genre et promotion de la paix ; genre et aide en cas de catastrophe ; construction de la paix et coopération internationale ; approche du développement qui tienne compte des conflits.

Le KOFF travaille sur l’Europe du Sud-Est, le conflit israélo-palestinien, le Soudan, le Sri Lanka, Indonésie, l’Afghanistan et le Guatemala.

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