À la recherche de la vache perdue

Tant pour les touristes que pour la population locale, les vaches sont indissociablement liées à l’image de la Suisse. Mais dans la plupart des cas, ce symbole national sur pattes a des origines très diverses. La quête d’une vache authentiquement helvétique peut s’avérer difficile.
En Suisse, les vaches sont partout: dans les magasins de souvenir sous forme de figurines en bois, sur les emballages de nombreux produits laitiers, ainsi que dans l’art et le folklore.
A Moudon, la vache se fait actuellement objet d’une exposition d’art, comme le montre ce reportage du Téléjournal de la RTS du 24 avril 2025:
Et bien sûr aussi dans les champs et les étables. Selon le site de statistique animale IdentitasLien externe, à fin avril 2025, la Suisse comptait 1’505’003 bovins enregistrés, dont 664’032 vaches. Les bovins sont la famille animale domestiquée la plus répandue en Suisse – en tout cas si on s’en tient aux animaux dûment déclarés et répertoriés.
La présence des bovins en Suisse est très ancienne. Les premières traces de domestication remontent au Néolithique, indiqueLien externe le Dictionnaire historique de la Suisse. Et au fil des siècles, l’élevage a pris une ampleur considérable, le fromage devenant même l’un des principaux produits d’exportation de la Suisse à la fin de l’Ancien Régime.
Une diversité menacée
On pourrait donc s’attendre à ce la Suisse compte de nombreuses races de vache. Mais ce n’est pas – ou plutôt plus – le cas. «Des trente-cinq races autrefois documentées en Suisse, il n’en survit que cinq: la race brune originale suisse, la vache d’Hérens, la race tachetée originale du Simmental, l’évolénarde ainsi que la vache grise rhétique», déplore ProSpecieRaraLien externe, fondation qui a pour but la préservation du patrimoine végétal et animal suisse.
Cet appauvrissement des variétés s’explique par la recherche d’une plus grande productivité. «De nos jours, l’élevage bovin n’est pas épargné par la loi de la spécialisation. Les anciennes races sont supplantées par de nouvelles lignées d’élevage qui soit ont une bonne productivité laitière, soit produisent rapidement beaucoup de viande», indique la fondation.

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Compte tenu de cette évolution, il est devenu difficile de trouver des vaches purement suisses dans les champs. La plus grande partie d’entre elles ont tout ou partie de leur patrimoine héréditaire qui provient de l’étranger.
Les vaches suisses à la conquête du monde
Des esprits chagrins pourraient regretter cette évolution. Cependant, ils se consoleront peut-être en apprenant que des millions de vaches dans le monde ont des gènes suisses. Les vaches suisses ont en effet aussi eu leur heure de gloire sur les marchés internationaux.
Le cas le plus frappant est celui de la simmental. Originaire de la vallée de la Simme, dans les Alpes bernoises, cette vache solide, bonne laitière et à la forte croissance s’est exportée vers l’Italie dès le 15e siècle, selon certains textes. Les exportations ont explosé aux 19e et 20e siècles jusque vers des contrées aussi lointaines que l’Amérique du Sud ou la Russie.

On estime qu’il existe entre 40 et 60 millions de descendantes de simmental dans plus de 30 pays et sur tous les continents. Elles servent essentiellement à la production de viande.
Originaire du canton de Schwyz, la brune a également réussi une belle carrière internationale, particulièrement aux États-Unis où elle est devenue la Swiss Brown. Considérée comme l’une des plus anciennes races laitières du monde, elle fournit un lait très propice à la production de fromage. «Le rapport entre la matière grasse et la protéine du lait de la Swiss Brown est idéal pour la fabrication du fromage, ce qui en fait l’une des races fromagères les plus populaires au monde», lit-onLien externe sur le site de l’Université d’État du Michigan.
Cette vache est bien implantée aux États-Unis, en particulier dans les États du Wisconsin, de l’Ohio et de l’Iowa, noteLien externe l’association américaine de la Swiss Brown. Des États-Unis, la Swiss Brown a conquis le monde. On estime que la population mondiale est de plus de 6 millions d’animaux dans plus de 80 pays.

À la recherche de la vache perdue
Cette mondialisation bovine a cependant nui aux races locales. Sur les cinq races qui peuvent encore être qualifiées d’authentiquement suisses, trois restent menacées de disparition selon ProSpecieRara: la simmental originale, l’évolénarde et la vache grise rhétique.
Mais parfois, ces échanges internationaux représentent aussi une solution lorsqu’il est nécessaire de sortir des frontières nationales pour sauver une race. C’est ce qui est arrivé pour la vache grise rhétique. Autrefois très répandu dans les Alpes grisonnes, cet animal rustique bien adapté à son milieu a progressivement été supplanté par la vache brune, jusqu’à disparaître du paysage suisse dans les années 1920. Finalement, ProSpecieRara a réussi à réintroduire l’espèce en Suisse dans les années 1980 à partir de quelques effectifs résiduels encore présents dans le Tyrol.
Cette quête de la vache perdue n’est toutefois pas toujours couronnée de succès, comme le montre le cas de la fribourgeoise. Cette dernière était une vache blanche tachetée de noir très répandue dans le canton de Fribourg. Mais cette race locale a tellement été mélangée à la vache holstein canadienne, elle aussi noire et blanche, mais bien meilleure laitière, qu’elle a fini par totalement disparaître à dans les années 1970.
Un véritable drame identitaire pour Fribourg, canton qui compte le plus de vaches, berceau du gruyère et de la crème double et dont le drapeau est précisément noir et blanc! Mais il subsistait un espoir: des vaches fribourgeoises avaient été retrouvées au Chili, un pays où de nombreux Fribourgeois avaient émigré et où ils avaient importé des vaches dans les années 1930.
Les spécialistes de Pro Specie Rara se sont rendus sur place pour mener l’enquête. Tombé en 2009, le verdict a douché les espoirs fribourgeois: ces vaches chiliennes ne se différenciaient pas assez des variétés locales et de la vache holstein pour être qualifiées de descendantes de la fribourgeoise.
Fribourg a perdu sa vache emblématique, mais conserve le Ranz des vaches, un monument du folklore suisse. Ici, l’interprétation de Bernard Romanens lors de la Fête des vignerons de 1977, qui est considérée comme la meilleure version jamais enregistrée. Théoriquement, une larme devrait humidifier vos yeux à la seule écoute de ce chant:
À défaut de la race, les apparences au moins ont pu être sauvées. Il est toujours possible de voir des vaches noires et blanches paître dans les vertes vallées de la Gruyère. Mais elles sont… canadiennes.
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Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg

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