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La Suisse n’a pas de culture statistique

La statistique suisse est lacunaire dans l’analyse des données. C’est d’autant plus dommage dans un pays à démocratie directe.

En 2000, un audit craignait pour l’indépendance de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Ce dernier affirme avoir corrigé le tir.

«La Suisse n’a pas de culture statistique. Elle constate sans permettre de comprendre les réalités qu’elle révèle.» Cette sévérité émane d’Antoine Gualtierotti, professeur de statistique à l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP).

A l’OFS, Gabriel Gamez le reconnaît volontiers. «Cette lacune est globale, des entreprises aux citoyens. Il est dommage, dans une démocratie directe, que le peuple n’ait pas suffisamment d’informations chiffrées pour se prononcer.»

Un audit contrasté

En 2000, des experts canadiens («Peer Review») avaient mis le doigt sur un certain manque d’indépendance politique et administrative de l’OFS, de souplesse et de coordination avec les autres offices.

Des pressions extérieures avaient été exercées à propos de la date de publication de certains communiqués, leur formulation ou, carrément, leur contenu.

Les experts redoutaient que «l’OFS demeure vulnérable devant des interventions malencontreuses, même inspirées par les plus nobles motifs».

Loué pour la qualité de ses données, compte tenu de son budget limité, l’OFS était par ailleurs blâmé pour l’aridité de ses publications.

«Oui, nous avons fait notre autocritique, répond Gabriel Gamez. Il est vrai que nous avions tendance à livrer les chiffres ‘tout crus’, sans soigner suffisamment la présentation et l’explication de manière à ce que la population puisse les comprendre. Nous travaillons à corriger le tir, malgré notre budget plutôt limité, qui fait de nous le parent pauvre de l’administration.»

Un «parent pauvre»

Mais les insuffisances sont aussi historiques. Epargnée par les dernières guerres, la Suisse a conservé ses acquis, tandis que les autres pays ont dû se reconstruire en fonction des besoins.

«Et puis, ajoute Gabriel Gamez, étant un Etat fédéral, nos frontières s’arrêtaient à la commune, voire au canton.» On a donc tendance à travailler à petite échelle, «au feeling», sans avoir besoin de trop de chiffres objectifs. Ce qui n’est plus possible au jour de la globalisation.

Antoine Gualtierotti, lui, ne croit pas aux obstacles institutionnels, mais culturels. «La statistique officielle se borne à constater. Elle donne le taux de chômage mais pas les élément pour comprendre comment le chômage se constitue.»

En l’absence d’analyse, l’administration n’a pas toujours les outils indispensables pour prendre les mesures qui s’imposent.

De même, le professeur déplore le manque de formation dans ce domaine chez les politiciens. «D’abord, ce sont des miliciens, et puis ils se forment sur le tas, un peu comme l’apprenti qui entre dans une entreprise et grimpe l’échelle progressivement.»

L’assurance maladie en question

Pour être utile, la statistique doit être neutre, poursuit le professeur. Et de mentionner la politique de la santé, gérée comme autrefois, de manière segmentée.

L’OFS produit certaines données sur la question, mais à l’heure actuelle, c’est l’Office fédéral de la santé qui est en charge.

Caisses maladies, médecins, autorités, chaque partie apporte ses propres chiffres. Au point, estime Antoine Gualtierotti, «que les gens préfèrent se disputer sur des fantasme plutôt que de savoir ce qui se passe en réalité.»

Gabriel Gamez va dans le même sens: « S’il existait des statistiques officielles sur le sujet, on ne se battrait plus sur les chiffres mais on se concentrerait sur des solutions.»

Le travail du statisticien, neutre pour être crédible, s’arrête donc là où commence celui de la politique.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

En 2000, des experts canadiens de la «Peer Review» avaient été mandaté pour auditer l’OFS.
Ils avaient conclu à un certain manque d’indépendance politique et administrative de l’OFS, de souplesse et de coordination avec les autres offices
Ils avaient loué l’OFS pour la qualité de ses données, compte tenu de son budget limité, mais critiqué l’aridité de ses publications.
De son côté, l’office a fait des efforts pour améliorer l’analyse et la présentation des données récoltées.

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