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La Suisse peut jouer un rôle majeur en Palestine

Les Palestiniens se réjouissent de la victoire du Hamas Keystone

La victoire du Hamas aux législatives palestiniennes n'est pas une surprise, déclarent à swissinfo deux experts du Proche-Orient, établis en Suisse.

Pour Ahmed Benani politologue, la Suisse peut désormais offrir ses bons offices. Et pour Alain Bittar, responsable de la librairie arabe «l’Olivier» de Genève, la Suisse se doit de rester à l’écoute des Palestiniens.

La victoire du Hamas a changé profondément le paysage politique palestinien. Selon les résultats officiels annoncés jeudi en fin de journée par la commission électorale, le parti islamiste dispose d’une très large majorité au Parlement.

Le Fatah de Mahmoud Abbas subit ainsi une défaite historique. Le dirigeant palestinien, qui a reconnu la défaite de son parti, a demandé au Hamas de former le prochain gouvernement.

Dans la matinée, le gouvernement palestinien, avec à sa tête, le Premier ministre palestinien Ahmed Qorei a démissionné de ses fonctions.

Les Palestiniens ont ainsi choisi de punir par les urnes une Autorité palestinienne, rongée par la corruption et des guerres intestines, affirme Ahmed Benami, président de l’Observatoire international des affaires de la Palestine (OIAP). De son côté, Alain Bittar constate que les Palestiniens ont montré qu’ils étaient capables de mener des élections de façon totalement libre”.

swissinfo: Messieurs, votre réaction suite à la prise de pouvoir du Hamas?

Ahmed Benani: Ce n’est pas une réaction de surprise. Je m’attendais à une victoire du camp conservateur qui est désormais dépositaire d’une forme de légitimité populaire.

Après les accords d’Oslo et la gestion catastrophique par l’Autorité palestinienne – donc du Fatah – de dossiers essentiels, il était logique que les petites gens s’identifiant à un mouvement social puissant, caritatif et religieux l’emmènent à la gestion des affaires. Le peuple souverain a exprimé sa volonté démocratiquement.

Alain Bittar: C’est une victoire très forte du Hamas. Aujourd’hui, l’intelligentsia politique palestinienne du Fatah est en train de payer des années de gestion. Par ailleurs, ce qui se passe aujourd’hui est également en partie de la responsabilité des Israéliens.

Pour eux, Yasser Arafat n’était pas un partenaire, Mahmoud Abbas n’était pas un partenaire non plus. Et aujourd’hui, cela arrange Israël d’avoir en face de lui le Hamas. Israël récuse aussi le Hamas en tant que partenaire (le Hamas est tenu pour une «organisation terroriste» par Israël, les Etats-Unis et l’Europe NDLR).

swissinfo: Qu’est-ce qui va changer avec l’arrivée au pouvoir du Hamas?

Ahmed Benani: Si on examine le problème de manière fondamentale, on peut dire que sur le plan de l’échange entre les deux communautés, israélienne et palestinienne, il y a quelque chose de l’ordre de la régression.

Ce qui reste aujourd’hui du sionisme – qui se réclamait d’une idéologie socialisante et laïque – relève plutôt d’une sorte de syncrétisme où religion et politique se côtoient. La droite israélienne continue de véhiculer le mythe du retour sur la Terre promise.

En définitive, la vie politique israélienne reste fortement marquée par le religieux, malgré la présence d’un fort courant laïque.

De même, la société palestinienne, qui a connu dans les années 60 un mouvement de type national classique évoluant parfois vers des courants marxistes, marque aujourd’hui un retour au bercail.

La problématique de Jérusalem et celle du retour des réfugiés fait qu’énormément de Palestiniens refluent vers le religieux en tant que source d’une nouvelle légitimité pour le combat de l’indépendance.

Avec ce retour du religieux dans le politique, il y aura sans doute un durcissement des positions respectives.

Alain Bittar: Cela aura une incidence directe dans le domaine de l’éducation et de législation.

Cela dit, le Hamas a montré qu’il était capable de gérer son futur et ses ambitions politiques. Ainsi sur un certain nombre de dossiers, il va tenter de montrer son efficacité, sans tout chambouler.

Le Hamas devra aussi montrer que l’on peut travailler et négocier avec lui. Il ne va pas aller en première ligne dans les négociations internationales et avec les Israéliens. Il va probablement s’investir de façon significative dans l’administration de la société palestinienne.

swissinfo: Qu’attendez-vous de la Suisse et de la communauté internationale?

Ahmed Benani: J’ai beaucoup d’espoir car la politique qui a prévalu jusqu’ici au Proche-Orient et dans l’ensemble du Moyen-Orient était une politique américaine. Les Etats-Unis ont voulu exporter leur modèle de démocratie, de paix etc… Et aujourd’hui le résultat sorti des urnes palestiniennes montre que cet hégémonisme a échoué.

Cela laisse une place très importante à l’intervention de l’Union européenne et les coudées franches à la Suisse qui depuis l’Initiative de Genève ne cesse de s’intéresser à la paix dans cette région et en particulier en Palestine.

La Suisse, qui finance de nombreuses activités en Palestine, a des ambitions pour amener les parties à négocier. Les perspectives qui s’ouvrent à la diplomatie suisse, grâce à sa neutralité, vont lui permettre de jouer un rôle actif.

Elle pourra proposer ses «bons offices» dans une région où elle jouit d’un certain respect.

Alain Bittar: Il ne faut pas rentrer dans une logique de diabolisation de la société palestinienne parce qu’elle a voté en majorité pour le Hamas. Aujourd’hui la Suisse se doit de rester à l’écoute des Palestiniens et de les aider.

Une chose est importante. Les Palestiniens ont montré qu’ils étaient capables de mener des élections de façon totalement libre. Ce que j’attends des pays européens et de la Suisse en particulier est qu’ils accompagnent, encadrent et conseillent les Palestiniens.

Interview swissinfo, Mathias Froidevaux

Le ministère suisse des Affaires étrangères a fait remarquer que le parti Hamas n’a jamais été interdit sur le territoire helvétique, mais que le pays surveille les individus qui violent la loi ou qui sont impliquées dans des activités terroristes.
Il a indiqué que le parti Hamas, une fois dans le gouvernement, se devait d’accepter les principes de base définis dans les accords d’Oslo.
La Suisse a accueilli avec satisfaction la déclaration faite par Mahmoud Abbas précisant que seuls les membres du parti Hamas qui adhéreront aux accords d’Oslo avec Israël seront autorisés à intégrer le gouvernement palestinien.

– Selon les résultats officiels, le Hamas dispose d’une très large majorité au Parlement. Il a remporté 76 sièges sur les 132 que compte le Conseil législatif palestinien.

– Le Hamas – acronyme en arabe de Mouvement de la Résistance islamique – a été créé le 14 décembre 1987 au début de la première Intifada.

– Le Hamas est issu d’une mouvance des Frères musulmans qu’Israël a soutenus dans les territoires occupés dans les années 1970-80. Israël voulait faire émerger un contre pouvoir à l’OLP.

– Le Fatah de Mahmoud Abbas est un parti fondé il y a plus de 40 ans par le défunt leader historique des Palestiniens Yasser Arafat. Il était devenu la force dominante de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

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