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La viande provoque la faim

La viande que la Suisse importe du Brésil exerce une pression sur la forêt amazonienne, estiment les experts. Keystone

Avec 53,6 kilos par personne en 2010, la consommation de viande augmente en Suisse. Mais à quel prix ! Pour la Journée mondiale de l’alimentation, des experts rappellent qu’une forte consommation provoque des problèmes environnementaux et sociaux, principalement au Sud.

La production industrielle de viande a des conséquences écologiques et sociales dévastatrices: un seul kilo nécessite 20’000 litres d’eau. Et en toile de fond, on trouve des violations systématiques du droit à l’alimentation dans les régions productrices, généralement des pays du Sud.

La viande provoque-t-elle de la faim? «Oui», ont répondu, unanimes, des experts réunis jeudi à la Haute Ecole du nord-ouest de la Suisse en vue de la Journée mondiale de l’alimentation de dimanche.

«Il est logique de manger de la viande produite dans la région, avec des lois de protection assez strictes, déclare Thomas Gröbly, professeur d’éthique à la Haute Ecole. Cela évite l’impact environnemental que suppose la production et le transport de viande.»

Thomas Gröbly critique en revanche le fait que les animaux suisses consomment des céréales et du soja importés. «L’Union suisse des paysans se félicite toujours que le pays soit autosuffisant en viande. Mais si on employait uniquement du fourrage local, nous ne mangerions que la moitié de toute cette viande», remarque-t-il.

Un avis que partage Fritz Schneider, chef du département agronomie de la Haute Ecole suisse d’agriculture. Pour lui, en Suisse aussi, la production de viande entre en conflit avec la sécurité alimentaire et la préservation de l’environnement.

Informer le consommateur

«La viande produite ici provoque aussi des émissions de méthane et de dioxyde de carbone, explique-t-il. De plus, cette production n’est possible que grâce à l’importation de fourrage. C’est notamment le cas du soja du Brésil, dont la monoculture décime la forêt amazonienne.»

Selon l’agronome, ces conséquences dramatiques pourraient être limitées si le consommateur était bien informé et conscient de la durabilité et de la gestion efficace des ressources.

«Nous devons consommer moins de viande et, dans la mesure du possible, privilégier celle produite dans la région, déclare-t-il. De manière plus générale, nous devrions avoir une attitude très prudente avec les aliments que nous achetons, car entre 20 et 30% d’entre eux finissent à la poubelle.»

Il précise encore que seulement 60% de tous les aliments consommés en Suisse sont produits dans le pays. «Cet aspect est sous-estimé, parce qu’il revient moins cher d’importer que de produire; mais cela signifie que nous n’avons pas de souveraineté alimentaire», conclut l’agronome.

«Nous sommes conscients que la production de viande affecte l’environnement. C’est pour cela que, depuis plusieurs années, nous promouvons une production munie de labels de qualité qui couvre déjà 60% de la viande que nous commercialisons», déclare pour sa part Sibyl Anwander, responsable de la qualité et de la durabilité auprès de Coop.

Le grand distributeur et l’Institut fédéral de recherches réalisent d’ailleurs une étude sur la balance écologique de la viande suisse et de la viande importée. «Les résultats indiquent que tant le transport que le système de conservation sont déterminants pour une gestion efficace des ressources», indique-t-elle.

Mais si la viande arrive par avion, les émissions de CO2 posent problème. «C’est pour cela que depuis 2007, Coop s’est engagé à compenser les émissions provoquées par ce moyen de transport. De plus, nous nous efforçons, dans la mesure du possible, de renoncer au transport de viande par avion», affirme Sibyl Anwander.

Danger pour la santé

Président de l’Association suisse pour le végétarisme, Renato Pichler va plus loin et préconise tout simplement de renoncer à la viande. «Notre objectif est d’informer sur les conséquences de notre alimentation orientée vers la viande», dit-il.

Outre les conséquences écologiques, Renato Pichler met l’accent sur les conditions antinaturelles de l’élevage intensif, avec des méthodes relevant pratiquement de la torture. «Dans ces conditions, il n’est pas rare de voir se développer de nouvelles maladies chez ces animaux, ce qui n’est pas sans danger pour les humains», dénonce-t-il.

Le stress et la sécrétion d’hormones qui y est liée, comme l’adrénaline durant l’abattage, ajouté à toutes les substances nocives que l’animal ingère durant sa vie provoquent chez les consommateurs des maladies telles que la goutte, le rhumatisme, des problèmes circulatoires, du diabète et certaines formes de cancer qui affectent moins les végétariens, plaide Renato Pichler.

Ce dernier relève enfin que le secteur de l’élevage doit être fortement subventionné pour rester rentable. «La Suisse consacre en moyenne 84% de ses subventions agricoles à la production d’aliments d’origine animale», souligne-t-il.

Réfléchir aux structures

Pour Thomas Gröbly, une information transparente sur les conséquences de l’élevage intensif peut provoquer un changement de comportement chez le consommateur. «Bon marché signifie toujours davantage de douleur et de souffrance pour l’animal, et ceci ne se voit pas dans un steak emballé sous plastique», dit-il.

Mais il faut aussi des informations sur les conséquences sociales et écologiques de la production de viande. «En Argentine, on expulse des paysans de leurs terres pour les consacrer à la monoculture du soja, dénonce Thomas Gröbly. Et ces terres sont finalement détruites par les pesticides et l’érosion.»

Il est donc important de réfléchir sur les structures: «Nous avons besoin d’une politique agricole où la priorité est mise sur le bien-être des animaux et où leur alimentation est basée sur du fourrage local».

Le professeur d’éthique estime qu’il ne faudrait pas se réjouir à la vue de viande bon marché. Et de conclure: «En Suisse, la consommation de viande devrait diminuer à 25 kilos par personne et par année. Cette réduction ou le renoncement à ce produit constitueraient notre petite contribution à la concrétisation du droit que l’homme a à l’alimentation».

2008: plus de 400’000 tonnes de viande, soit une consommation moyenne de 53,43 kilos par habitant. Augmentation de 3% par rapport à l’année précédente.

La viande préférée des Suisses est celle de porc (environ 200’000 tonnes, dont 50% suisses). Viennent ensuite la viande de bœuf (90’000 tonnes, dont 80% suisses) et la volaille (85’000 tonnes).

2010: 427’138 tonnes de viande, soit une consommation moyenne de 53,6 kilos par habitant et par année, ce qui correspond à plus d’un kilo par semaine. Augmentation de 3,3% par rapport à l’année précédente.

Source: Proviande, organisation faîtière du secteur

Traduction de l’espagnol: Olivier Pauchard

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