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Lavilliers à fleur de peau

Lavilliers, juste avant la scène. swissinfo.ch

Jeudi à Paléo, c'était à Bernard Lavilliers de conclure la soirée. Peu avant un concert torride, rencontre dans sa loge.

Futal de cuir noir, T-shirt de la même absence de couleur, Lavilliers est en pleine forme. Normal, il n’a quasiment pas dormi de la nuit! Car, après un concert donné la veille à Vienne, en France, il s’est plongé dans l’écriture d’une chanson pour un groupe stéphanois, Désoriental, qui lui a demandé un texte. «Je me suis retrouvé au petit jour, la tête en feu, les neurones bien allumés, pas moyen de dormir.»

Un tempo qui semble lui convenir. Il est d’ailleurs fébrile et radieux: «Je ne me rends pas compte du temps qui passe. Je peux encore passer une nuit sans dormir, faire deux heures de concert, aller ensuite je ne sais pas où et me coucher à 5h00 du mat’, ça ne me marque pas vraiment.»

«Quand tu aimes… il faut partir»

Et Lavilliers de se lancer spontanément dans une longue digression sur le voyage, car c’est à ce sujet qu’il s’est attaché cette nuit. «C’est les voyages qui nous font, on devient des sortes de compilations de voyages. Qui je suis, moi? Une compilation d’un tas de visages, de couleurs, de musiques, d’expériences, de nuits, de jours, d’alcools, de femmes, de sexe, de mort, d’ombre, de lumière, de travail, de risques… De guerre, de paix, et de moments de lassitude aussi».

«J’ai essayé de m’arrêter plusieurs fois, je n’y suis jamais parvenu. Je suis un peu comme un marin. On se dit toujours que le bateau va couler si on le laisse trop longtemps à quai, bouffé par la corrosion…» Et de citer l’écrivain suisse Nicolas Bouvier.

La traduction du réel en chanson

Lavilliers le voyageur… Comment son vécu se traduit-il en chansons, quel prisme utilise-t-il pour mêler réalité et fiction? Pour Lavilliers, impossible de raconter sur l’instant certains moments extrêmes qu’il dit avoir vécus – et d’évoquer une période intense vécue à Beyrouth, à l’époque de la guerre.

Alors comment? «Il faut tout de même conserver l’urgence dans l’écriture. Et conserver des souvenirs très précis. Même s’il ne s’agit pas de vérité historique dans la poésie où la chanson, il y a quand même des moments où je décris des situations réelles. Mais en même temps, il ne faut pas surjouer les choses…»

Et Lavilliers d’ajouter: «C’est là que j’admire Cendrars qui, en quatre vers, décrit une situation: le panama d’un mec, son costume, le bleu de la mer ou le Mato Grosso qui est derrière lui, sa voiture ou la femme qui est assise dedans!»

«Arrêt sur image»

Dernier album en date de Bernard Lavilliers, le superbe «Arrêt sur image». La presse a largement parlé d’un Lavilliers apaisé, rendu plus rond par un nouvel amour…

Apaisé, vraiment? Et «L’or des fous»? Et «Les tricheurs»? Et «Délinquance»? Et même «Les mains d’or», dont l’âpreté du propos se dissimule derrière un rythme joliment chaloupé et une mélodie imparable? «Enfin quelqu’un de mon avis! réagit Lavilliers. Non, je ne l’ai pas non plus trouvé tellement apaisé…»

Mais soudain, son regard s’attendrit… «Pas apaisé. Mais c’est vrai qu’il y a une chanson qui s’appelle ‘La dernière femme’, et qu’il n’y aura pas d’autre femme. J’ai trouvé LA femme de ‘San Salvador’. A un âge très avancé, comme quoi il ne faut pas désespérer! Mais je ne l’ai pas cherchée: je l’ai trouvée, c’est différent».

Explosif et à fleur de peau

Lavilliers n’a plus qu’à enfiler son blouson de cuir pour bondir en scène. Déchaîné. Et offrir un spectacle qui colle à ses pérégrinations. Début rock et urbain («Les Barbares», «Traffic», «Pigalle La Blanche»). L’urgence à laquelle il tient tant est au rendez-vous.

«On The Road again» comme transition, et clin d’œil au regretté Santamaria, le Chilien de Lausanne. Puis, voyage brésilien et acoustique («San Salvador», «Sertao»), avant de bifurquer sur la salsa. Enfin, «Les mains d’or», intense, conclura sa prestation.

Les rappels seront un feu d’artifice reggae: un inédit, «Jamaïca», suivi de «Stand the Ghetto». Puis encore une double apothéose: «Noir et blanc», et «Est-ce ainsi que les hommes vivent?» signé Aragon/Ferré.

Lavilliers frimeur, sans aucun doute. Lavilliers excessif, peut-être. Mais, quoi qu’il en soit, Lavilliers magicien des mots et des rythmes, l’émotion à fleur de peau, pour un spectacle vivant, chaud, généreux. Et intelligent. De nos jours, c’est beaucoup.

swissinfo/Bernard Léchot

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