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Le «drug testing» à l’œuvre en soirée

Le chimiste bernois Daniel Alleman à l'oeuvre pendant un drug testing. swissinfo.ch

Seul le canton de Berne et la ville de Zurich pratiquent officiellement l’analyse des drogues consommées lors de soirées techno.

Fin novembre, les travailleurs sociaux de Streetwork (ZH) ont organisé un ‘drug testing’ dans un club. Reportage.

Aera, zone industrielle d’Altstetten (ZH), 22h30. Etonnamment, le coin où le laboratoire mobile est installé bourdonne déjà de ‘ravers’, qui habituellement sortent en club à une heure plus tardive.

«Les gens viennent plus tôt parce qu’ils savent qu’il y a un drug testing», explique Alexander Bücheli, travailleur social de Streetwork, association financée par la Ville de Zurich et active sur le terrain de la toxicomanie chez les jeunes.

Streetwork n’effectue qu’une petite dizaine de «drug testings» par an depuis l’automne 2001. Question de moyens. Il faut louer le laboratoire mobile à l’Office du pharmacien cantonal bernois, défrayer deux chimistes et trois travailleurs sociaux, et payer un laboratoire de référence pour analyser les drogues qui ne pourraient l’être sur place.

«Mais 97% des substances qu’on nous présente sont analysées ici», explique Daniel Alleman, chimiste et concepteur du laboratoire à chromatographie liquide à haute performance utilisé dans ces cas, autant à Berne qu’à Zurich.

Cadre légal

Daniel Alleman et son collègue Hans Pauli se déplacent à chaque fois. Légalement, ils sont les seuls habilités à toucher les substances prohibées que sont l’ecstasy, la cocaïne ou les diverses amphétamines que les clubbers leur amèneront.

Egalement présente ce soir-là pour récolter des fonds, l’association privée eve&rave distribue des brochures d’information sur les différentes drogues. Existant depuis 1996, elle a aussi pratiqué le «drug testing», mais illégalement, n’ayant jamais reçu d’autorisation officielle.

«Nous avons arrêté en août, après la Street Parade», déclare Roger Liggenstorfer, son président, par peur de représailles judiciaires.

Analyse quantitative et qualitative

Première étape du ‘drug-testing’: le comprimé ou la gélule sont enregistrés informatiquement afin qu’on puisse imprimer sur place une affichette au cas où une substance dangereuse circulerait.

Un dixième de la substance est ensuite prélevé, le reste est rendu. Le prix, le lieu d’achat, la drogue supposée sont consignés.

L’analyse chimique, qui dure 17 minutes, peut alors débuter. Un détecteur chimique à rayon UV mesure en qualité et en quantité les différentes molécules, au fur à mesure qu’elles sont libérées.

Soudain Daniel Alleman s’agite. Sur son monitor, un pic indiquant du MDMA apparaît. C’est la première fois de la soirée que la molécule constitutive de l’ecstasy est décelée. Qui plus est à 90% pure, ce qui est rare.

Quant aux amphétamines analysées jusque là, elles contenaient «surtout beaucoup de caféine», constate le chimiste.

Prévention, limitation des risques

Pendant l’analyse, le consommateur potentiel doit remplir un questionnaire avec un des travailleurs sociaux de Streetwork.

«C’est l’occasion de prendre contact avec ces jeunes», relève Mireille Stauffer de Streetwork. Cela même si elle sait que la situation en club est artificielle, les gens y étant plus ouverts que dans la vie de tous les jours.

Bien souvent, alors qu’une seule personne a rempli le questionnaire, la discussion réunit 4 ou 5 jeunes en mal d’information. Elle porte essentiellement sur les habitudes de consommation et vise à informer pour réduire les risques. De la «prévention secondaire», dans le jargon.

Les plus jeunes, ceux qui justement consomment le plus, n’ont souvent aucune idée des substances qu’ils prennent réellement, a-t-elle pu constater. Plus les clubbers sont âgés, mieux ils sont informés. Ce qui laisse supposer une consommation plus responsable et modérée.

Les limites de l’information

Le parcours de Chaïm, 21 ans, militant d’eve&rave, illustre bien cette trajectoire. Depuis l’âge de 15 ans, il a presque tout essayé, ‘datura’ et LSD notamment, puis de l’ecstasy, massivement et régulièrement. Une consommation qu’il a fortement diminuée depuis peu.

C’est pour pouvoir informer «en connaissance de cause» d’autres jeunes «qui prennent n’importe quoi» qu’il s’est engagé. Dans ce milieu, la source d’information principale sur les substances et leurs risques, la plus crédible aussi, provient des autres ravers.

«Il faut être très prudent dans la manière d’informer, nuance Daniel Alleman. Sur notre site Internet (www.saferparty.ch), nous n’indiquons que les substances dangereuses ou les pilules très fortement dosées.» Ce qui va dans le sens de la limitation des risques.

Eve&rave, par contre, donne des informations sur toutes les drogues testées. Ce qui peut être pris comme de l’incitation à la consommation. Et expliquerait que l’association n’ait jamais reçu d’autorisation officielle pour le «drug testing».

swissinfo, Anne Rubin

– Ce 20 novembre à l’Aera, 18 tests ont été effectués. Résulat: 3X de la cocaïne, 4X des amphétamines dont 2 étaient coupées, et 11X du MDMA, plus ou moins pur.

– Un seul laboratoire mobile homologué existe en Suisse. Il a été développé par l’Office du pharmacien cantonal de Berne, dans le cadre du premier projet pilote «Pilote e» (1998-99) et du projet en cours «Pilot p», pour «Party drugs». Le labo utilisé actuellement est une version améliorée de la première.

– Le labo mobile, à chromatographie liquide à haute performance, permet d’analyser précisément quantitativement et qualitativement les substances. Si une substance nouvelle apparaît, elle est analysée dans un laboratoire fixe. Mais les chimistes peuvent sur place, par analogie, savoir à quelle famille de molécule elle appartient.

– Pratiquant aussi le monitoring des substances depuis 2001, Streetwork Zurich s’occupe de jeunes qui ont des problèmes de toxicomanie. Et prône la réduction des risques chez les consommateurs, que ce soit pour les «party drugs», l’alcool, la cocaïne, l’héroïne ou le sida.

– Les cantons ou l’Office fédéral de la santé publique doivent délivrer une autorisation pour ce type de tests. Seuls les cantons de Berne et de Zurich l’ont fait jusqu’à présent.

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