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Le ‘grounding’ n’était pas nécessaire

Les 2 et 3 octobre 2001 la flotte de Swissair est restée clouée au sol à Kloten. Keystone Archive

Début octobre 2001, le groupe Swissair avait suffisamment de liquidités. Le 'grounding' de sa flotte aurait pu être évité.

Commandé par le commissaire au sursis concordataire, le rapport d’Ernst & Young est accablant. Mais il ne débouche pas encore sur des accusations.

2 octobre 2001. Les avions de Swissair restent cloués au sol. La compagnie, les banques, le public et le monde politique sont désemparés.

Un choc. Dont tout le monde se souviendra. D’autant que les images font le tour du monde.

L’immobilisation des avions de la compagnie durera deux jours. Et affectera quelque 38 000 personnes.

Une débâcle colossale

Une année et demi après les faits, le rapport – réalisé par le cabinet d’audit Ernst & Young à la demande commissaire au sursis concordataire Karl Wüthrich – montre que cette colossale débâcle aurait pu être évitée.

Erreurs. Manque de transparence. Décisions prises à la légère. La liste des manquements ayant abouti à l’immobilisation de la flotte Swissair est longue. Et elle est inscrite noire sur blanc dans un rapport de 2800 pages, dont les points principaux ont été présentés vendredi à Zurich.

Pourtant, le commissaire Karl Wüthrich et le coordinateur du rapport Ancillo Canepa sont restés tous deux extrêmement prudents sur les responsabilités des anciens dirigeants du groupe Swissair.

«Ce rapport est destiné à établir les faits, pas les responsabilités, a insisté Karl Wüthrich. Il est destiné aux créanciers. Ce sont eux, qui peuvent réclamer des réparations, globalement, et non des créanciers isolés, sauf si les organes de liquidation et de faillite renoncent à le faire.»

Critères pas respectés

Ancillo Canepa – à qui une journaliste demandait s’il avait déjà vu pareille débâcle – s’est contenté d’une réponse assez floue: «Effectivement, quand des montants pareils sont en jeu, on voit rarement quelque chose comme ça».

Les oreilles des anciens dirigeants ont cependant dû siffler à l’énoncé des torts commis. Première question posée par Karl Wüthrich: comment la stratégie dite du «chasseur» qui prévoyait des participations minoritaires dans des compagnies européennes a-t-elle été élaborée et mise en œuvre?

Réponse du rapport. Les participations dans AOM, Sabena, Air Littoral, Air Liberté et Volare ne devaient pas dépasser 30%. Or elles sont allées bien au-delà dans presque chaque cas. La stratégie n’a été respectée que dans le cas de la compagnie polonaise LOT.

De montages peu transparents

Contournant le droit européen interdisant à une compagnie étrangère de détenir plus de 49,9% d’un transporteur national, Swissair soutenait que le groupe restait minoritaire chez ses partenaires. Alors qu’il prenait en fait la direction des opérations.

A l’exception de LOT, les sociétés achetées étaient toutes dans des situations financières catastrophiques. Pour ces achats, financés selon des montages peu transparents, la dépense totale s’élève à 5,9 milliards de francs.

Au lieu de 300 millions de francs prévus, le groupe a dû utiliser 4,1 milliards de liquidités.

Conséquence: le taux des fonds propres a chuté de façon vertigineuse. Il est tombé à 5,7% en 2000, alors qu’il était officiellement de 24,1% en 1999.

Manque de curiosité

En 1999 et 2000, les engagements hors bilan ont augmenté de 5 milliards de francs. La direction a investi beaucoup plus d’argent que les sommes qui avaient été avalisées par le conseil d’administration.

Ce dernier n’est cependant pas blanch. Il a formellement accepté toutes les acquisitions, même celles qui ne correspondaient pas à la stratégie, comme le voyagiste allemand LTU. Et, surtout, explique Ancillo Canepa, il n’a jamais posé de questions.

Exemple: le conseil d’administration a accepté les rachats de LTU et d’AOM le 6 octobre 1998. Des 19 membres du conseil, six étaient absents et deux autres quittèrent la séance avant la décision finale. Le rapport ne précise pas qui.

Quant aux bilans, les comptes 1999 et surtout ceux de l’année 2000 n’ont pas été présentés de façon correcte. On y trouve, indique le rapport, «des erreurs fondamentales de consolidation».

Résultats incorrects

En 2001, la descente aux enfers s’est accélérée. Les changements de personnes (renvoi de Philippe Brugisser le 20 janvier, puis du chef des finances du groupe en mai) n’y changent rien.

Fin mars, la poursuite des activités est déjà fortement compromise. Mais les déclarations faites lors de l’assemblée générale du 25 avril n’en font pas état.

Les résultats semestriels présentés au 30 juin ne sont pas corrects. Les effets d’une consolidation complète basée sur les comptes 2000 ne sont pas pris en compte.

Au passage, le rapport du cabinet Ernst & Young n’épargne pas ses confrères, sans les nommer. Il souligne que les réviseurs non pas vu ces erreurs ni les manquements du conseil d’administration, comme les y enjoint le code des obligations.

La chronologie contenue à la fin du rapport inidique cependant que McKinsey & Co était présent lors de nombreuses étapes importantes. Du reste, c’est ce cabinet qui a élaboré la stratégie du chasseur acceptée en janvier 1998.

Liquidités plus élevées

Le 30 septembre 2001, selon le rapport, la demande du sursis concordataire tombe. Le besoin de liquidités explose. Le matin du 2 octobre, SAirGroup a encore 50 millions de francs, . Le groupe a déclaré en avoir 14,5 millions.

Les lenteurs administratives empêchent 73 millions d’être débloqués. Au total, 123 millions auraient été disponibles. Mais le grounding est prononcé, à 15h35.

«La seule question des liquidités ne justifiait pas une interruption de l’exploitation le 2 octobre 2001. »

Mystérieux versements

De plus, de mystérieux versements de 150 millions de francs ont été effectués juste avant le grounding, qui n’étaient pas nécessaires à la poursuite des opérations.

Interrogé par swissinfo, Karl Wüthrich ne veut pas préciser la destination de ces versements. «Il s’agissait de sommes payées à l’extérieur et non de salaires», se borne-t-il à dire.

Les conclusions sont sévères: le groupe n’avait pas de plan d’investissement global et personne n’en a réclamé un. Les finances et les liquidités n’étaient pas surveillées de manière efficace. La compagnie n’a pas géré les risques de façon professionnelle.

«Une cellule de crise aurait dû être mise en place au plus tard à la fin de l’été 2000», précise Ancillo Canepa. Mais le conseil d’administration n’a pas pris les mesures nécessaires, prévues du reste par la loi.

La loi et ses juges qui devront peut-être se pencher sur les responsabilités des anciens dirigeants. Mais c’est encore de la musique d’avenir.

swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich.

– Au lieu de 300 millions de francs prévus, le groupe Swissair a dû utiliser 4,1 milliards de francs de liquidités pour pratiquer sa politique d’acquisitions.

– Le taux des fonds propres a chuté de 24,1% en 1999 à 5,7% en 2000.

– Le conseil d’administration a accepté les rachats de LTU et d’AOM le 6 octobre 1998. Des 19 membres du conseil, six étaient absents et deux autres quittèrent la séance avant la décision finale.

– Les comptes 1999 et 2000 présentent «des erreurs fondamentales de consolidation».

– Le matin du 2 octobre, SAirGroup dit disposer de 14,5 millions de francs.

– Selon le rapport, il avait en réalité 50 millions de francs et 73 millions supplémentaires auraient pu être débloqués. Mais le grounding est prononcé, à 15h35.

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