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Le 1er mai, rendez-vous des casseurs à Zurich

Policiers casqués et casseurs masqués. Le rituel du 1er mai zurichois (ici en 2009). Keystone

Depuis plus de 20 ans, le 1er mai dégénère en coûteuses échauffourées à Zurich. Des cohortes de jeunes gens masqués s’opposent à la police. Un participant de longue date dénonce l’utilisation de l’événement à des fins de publicité personnelle.

Il est bien loin le temps où le 1er mai, à Zurich, faisait dire aux autochtones, «attention, demain, il n’y a ni tram, ni bus pendant toute la matinée». C’était du temps où le personnel des transports publics était syndiqué et défilait presque au complet.

Aujourd’hui, s’ils veulent mettre en garde, les Zurichois disent «attention, évite Stauffacher et Helvetiaplatz [quartiers du centre ville où les échauffourées ont lieu] demain, il y aura de nouveau de la casse…»

Depuis 2008, la «tradition» de la suspension des bus et trams a été abolie. Mais celle des casseurs, apparue à la fin des années 80, semble avoir encore de beaux jours devant elle…

Centaines d’arrestations

En 2009, la police avait arrêté 83 personnes sur 200 jeunes manifestants masqués. C’était nettement moins que l’année d’avant, où 300 personnes avaient été arrêtées, dont 79 mineurs. Selon la police, leur nombre a tendance à diminuer ces dernières années, et le montant des dégâts à fléchir quelque peu.

Le comité du 1er mai, qui compte une soixantaine d’organisations de défense des droits des étrangers, principalement, organise le cortège et la fête qui dure trois jours, du vendredi soir au dimanche. Les socialistes, à l’exception de deux sections de quartier, l’ont quitté il y a une dizaine d’années.

Le parti à la rose ne voulait plus cautionner la violence qui se déchaîne après le cortège officiel.

Les syndicats menacent de se retirer

Les syndicats menacent désormais eux aussi de claquer la porte. Interprété comme un appel à la violence, le slogan retenu cette année par le comité, «Moneypulation, perdons le contrôle», a suscité des critiques quasi unanimes.

Peter Macher, ancien secrétaire du Parti socialiste de la ville de Zurich, participe à la fête du 1er mai depuis plus de 50 ans. Enfant, il y a accompagnait son père. Il relate l’évolution de l’événement.

swissinfo: A quoi ressemblait le 1er mai il y a 50 ans ?

Peter Macher: C’était complètement différent. Les syndicats étaient très organisés. On marchait en colonnes, par métier, avec discipline.

swissinfo: A quand faites-vous remonter le début des changements ?

P.M.: Dans les années 70, avec les mouvements de protestation contre la guerre du Vietnam, d’autres groupes ont voulu participer. Ils ont peu à peu repoussé les syndicats, qui les ont d’abord tolérés, avant de décider de tous les accepter, mais en deuxième partie de cortège. Très vite, le groupe de «derrière» est devenu plus grand que le groupe «de devant»! (rires).

swissinfo: Mais les revendications politiques étaient toujours là ?

P.M.: Oui, absolument. Nous sommes allés protester devant le consulat américain ou devant le consulat turc. La police nous surveillait, évidemment. Il y avait toujours beaucoup d’organisations d’étrangers qui participaient et ce fut un mérite du comité d’organisation de les tenir tous sous un même toit sans qu’ils s’écharpent entre eux… Nous nous sentions responsables.

swissinfo: Vous souvenez-vous du moment où cela a dégénéré ?

P.M.: Cela n’a pas été une rupture brusque. Mais l’arrière du cortège avait de moins en moins de contenu politique. On ne voyait pas ce que les gens défendaient. Les syndicats ont voulu organiser la fête dans une salle, avec des discours sur une scène. Le Comité du 1er mai s’est formé à ce moment-là, en 1980. De nouvelles tendances, en rupture avec les syndicats et les socialistes traditionnels, ont voulu propager de nouveaux slogans.

swissinfo: Les socialistes sont quand même restés dix ans au Comité. Pourquoi en sont-ils sortis ?

P.M.: Parce que nous voulions une stratégie pour éviter les échauffourées. Aucun accord n’a été trouvé alors nous avons décidé de sortir du comité.

swissinfo: Quel est le lien avec Berlin, où des ‘Chaoten’ perturbent aussi le 1er mai ?

P.M.: Nous ne l’avons jamais su, mais il est vrai qu’il semble que seules deux villes au monde connaissent des bagarres de rues le 1er mai, Zurich et Berlin…

swissinfo: Que pensez-vous du slogan de cette année ?

P.M.: C’est complètement idiot ! Mais ce qui l’est au moins autant, c’est le rituel qui est pratiqué, par tous, les partis de droite, de gauche, la ville, les médias… Le slogan donne lieu à des protestations, les médias montent l’histoire en épingle car cela fait vendre. Il n’y a jamais autant de discussions sur les castagnes qui suivent les matches de football.

swissinfo: Que devrait-on faire pour faire stopper les bagarres ?

P.M.: Je n’en sais rien ! Peut-être ne pas réagir si on est politicien et se contenter de comptes-rendus succincts si on est un média. Mais je ne suis pas opposé à ce qu’on réfléchisse à une autre forme de célébration.

swissinfo: Et la suppression de la journée fériée accordée à Zurich le 1er mai, proposée par la droite conservatrice (UDC), afin que cela devienne un jour comme les autres ?

P.M.: Ça ne règlerait rien! Et alors il faudrait interdire les matches de football pour qu’il n’y ait pas d’échauffourées après… C’est aussi inutile que de n’autoriser la fête qu’à partir de 20 heures [obligation que le comité a décidé de ne pas respecter, ndlr]. Que diraient les spectateurs de match s’ils devaient attendre plusieurs heures avant de pouvoir célébrer? C’est absurde! Tout ça est un peu triste. Le 1er mai est réduit à un événement où les uns et les autres ne cherchent qu’à se mettre en avant…»

Ariane Gigon, Zurich, swissinfo.ch

Les «casseurs» de Zurich ne sont pas officiellement rattachés à un groupe de revendication. Sous l’enseigne «chaoten» se trouvent tant le mouvement du «Black Block» que le «Revolutionärer Aufbau» qui existe depuis 1995. Il appelle à la «manifestation d’après».

Anti-globalisation. Le Black Block est un phénomène international. Il se manifeste en Europe principalement lors de manifestations anti-globalisation (contre les sommets du G8 ou le WEF).

Allemagne. Le Black Block, ou «Schwarze Block» est particulièrement violent en Allemagne, où il cause de gros dégâts aux installations publiques.

Suisse. La Police fédérale estime que quelque 2000 personnes en Suisse sont actives au sein de mouvements d’extrême-gauche.

Autonomes. Les membres du Black Block en sont une partie. Ils se définissent comme anarchistes-autonomistes et antifascistes.

Une nébuleuse. Le Black Block n’est pas une organisation mais une plateforme d’action pour divers groupements, active selon les occasions.

Noir. Ses membres se distinguent des autres manifestants par des habits et des masques noirs.

Le quotidien NZZ a recensé ses articles sur le 1er mai. Il fait remonter à 1987 l’apparition des bagarres, avec un article intitulé «Cortège imposant, manifestation perturbée». Depuis lors, il n’y a plus eu aucun 1er mai sans échauffourées.

Le schéma est toujours le même: le cortège officiel est suivi par les discours, puis par une «manifestation d’après» («Nachdemo») qui rassemble des casseurs. Avec des slogans anti-capitalistes ou pas de slogan du tout, ces manifestants se livrent à une bataille rangée avec la police, qui les attend de pied ferme et les repousse avec des lances à eau, des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc.

Certaines années, il y a eu des blessés. Chaque année, les dégâts se chiffrent en dizaines de milliers de francs. Les commerçants ont tendance à barricader leurs portes dans les quartiers touchés.

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