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Le bachelor souffre encore de maladies de jeunesse

Le système de Bologne continue d'enflammer les débats dans les auditoires. Keystone

Dix ans après son lancement, la réforme de Bologne continue à butter sur la question de la mobilité. Le «bachelor» ne permet en tout cas pas de changer de branche ou de faculté comme il le devrait.

En demi-teinte: cela pourrait être la tonalité du bilan tiré dix ans après le lancement du processus de Bologne qui a réformé le paysage universitaire suisse et européen. «Nous avons été meilleurs que d’autres pays dans la mise en place formelle, affirme Antonio Loprieno, président de la CRUS et recteur de l’Université de Bâle. Mais, concernant le débat, nous sommes moins bons que d’autres.»

Réunis par la Conférence des recteurs des universités suisse (CRUS) fin août à Zurich, professeurs, doctorants et étudiants se sont penchés plus spécifiquement sur le nouveau titre, le bachelor, qui conclut les trois premières années d’études. Théoriquement, il permet d’entrer dans la vie professionnelle. En pratique, le monde professionnel continue, tendanciellement, à réclamer un master – l’ancienne licence.

Selon Romina Loliva, membre du Comité exécutif de l’Union des étudiants de Suisse (UNES), «il est quasi schizophrène, en Suisse, d’avoir séparé bachelor et master arbitrairement, car c’est un processus cumulé d’études et il est normal de continuer, une fois la première étape franchie.»

Autre problème: Romina Loliva critique le grand fourre-tout qu’est le bachelor. «Chaque haute école le définit de façon différente», fustige-t-elle.

«Il est vrai que nous avons, en Suisse, trois types de hautes écoles, avec les universités, les hautes écoles spécialisées et les hautes écoles pédagogiques, qui n’ont pas les mêmes besoins. Mais les différences entre bachelors rendent la mobilité très difficile. Il faut des mesures d’harmonisation, tout en respectant les spécificités. C’est un chemin difficile, c’est vrai.»

«Diktat de la reconnaissance»

Pour Martine Rahier, rectrice de l’Université de Neuchâtel et membre de la délégation Bologne de la CRUS, la mobilité lacunaire est aussi liée à la question de la transparence des formations. «La première année, qui est l’articulation entre le gymnase et l’université, est parfois nommée «propédeutique», parfois «sas», ou encore «filtre». Ce problème de définition préoccupe tout le monde», affirme-t-elle.

Concernant la mobilité, Antonio Loprieno n’y va pas par quatre chemins: «Je vais m’exprimer de manière politiquement incorrecte: je considère que la reconnaissance automatique et obligatoire des diplômes est la pire chose pour la mobilité.»

«Ce diktat a provoqué des mécanismes de protection. Au lieu de faire confiance à des règlements de compensation des acquis, on a édicté des obligations, et cela ne fonctionne pas», critique le président de la CRUS.

Sélection cachée?

Autre «tare», relevée, en son nom personnel, par Danielle Chaperon, vice-rectrice de l’Université de Lausanne: «Les masters deviennent des marques, pratiquement des produits de luxe, avec lesquels les universités veulent se profiler».

«Du coup, elles façonnent des bachelors qui conduisent les étudiants à poursuivre leurs études sur place, ce qui entrave la mobilité», a conclu Danielle Chaperon. Romina Loliva approuve: «Cet accent mis sur les masters est aussi une manière d’introduire, par la petite porte, des processus de sélection cachés.»

Explication: le bachelor est censé ouvrir à toutes les filières de master. Mais des masters dits «spécialisés», requérant des aptitudes particulières, sont en train de proliférer.

Martine Rahier tempère quelque peu: «Les bachelors ne sont pas négligés, estime-t-elle. Mais il est vrai qu’un excellent encadrement de bachelor figure plus rarement dans les arguments d’attractivité des universités que l’offre de masters, alors que c’est un point important…»

ECTS: comme des Panini?

Quant aux fameux crédits ECTS (une année dans le cursus bachelor vaut 60 points, par exemple), la directrice du Département universitaire professionnel de Suisse italienne (SUPSI-DFA), Nicole Rege-Colet, a fustigé ce qu’elle estime être une «dérive»; les étudiants sont «obsédés» par le cumul des points.

«Les étudiants disent: «j’ai 180 points, je veux mon bachelor!» Il faut lutter contre cette vision capitaliste de la formation universitaire consistant à compter les points comme on collectionne des images Panini!»

Les étudiants critiquent, ici aussi, un manque de transparence: «Nous manquons d’instruments pour mesurer la charge de travail, de même que les compétences à atteindre», affirme Romina Loliva.

Le recteur de l’Université de Zurich a admis que la charge de travail était plus lourde qu’auparavant et qu’il fallait apporter des correctifs, surtout dans certaines phases du semestre. Quant aux «learning outcomes» – soit, en «vieux» français, les acquis de la formation – leur prise en compte est un des grands chantiers de la CRUS. Du pain sur la planche pour tout le monde…

Ariane Gigon, Zurich, swissinfo.ch

La réforme de Bologne a été lancée en 1999 par 29 pays européens, dont la Suisse, ce processus compte actuellement 47 pays participants.

Le principal changement est le découpage des anciennes études diplôme ou licence en des études bachelor, suivies ou non d’études master. La réforme a été initiée dans les hautes écoles universitaires (HEU) dès 2001 et dans les hautes écoles spécialisées (HES) dès 2005.

Au semestre d’automne 2009/10, tous les jeunes débutant leurs études dans une haute écoles universitaire suisse fréquentent un programme de bachelor (y compris en médecine) et 90% des étudiants des universités suivent un cursus de bachelor ou de master.

Master dans les unis. En Suisse, qui connaît un bas taux de baccalauréat (env. 20%), le taux de passage entre le bachelor et le master est très élevé (90%).

Master dans les HES. Le passage est plus faible dans les hautes écoles spécialisées (HES), où le niveau du bachelor est traditionnellement considéré comme la fin des études: 16% des diplômés bachelor ont poursuivi au master la même année.

Mobilité. 33% des étudiants en master en 2008 ont obtenu leur bachelor dans une autre haute école, dont la majeure partie (20%) à l’étranger.

Mobilité thématique. En 2008, seuls 4% des entrants masters avaient obtenu leur bachelor dans un autre groupe de domaines.

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