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Le bilatéralisme est toujours d’actualité

Alexis Lautenberg est persuadé que le champ de négociation ne va pas disparaître, mais il va diminuer flickr.com

Les Suisses sont mieux informés sur l’Union européenne que les citoyens d’autres Etats membres de l’Union. C’est ce qu’a pu observer Alexis Lautenberg, ancien chef de la Mission suisse à Bruxelles, pour qui le paradigme bilatéral n'est pas appelé à disparaître.

Diplômé en sciences politiques, Alexis Lautenberg est entré en 1974 au service du Département des Affaires étrangères. Après avoir été basé à Varsovie, Genève, Bonn et Berne, il a été nommé ambassadeur et chef de la Mission suisse auprès de l’UE à Bruxelles, en 1993. De 1999 à 2004, il a été ambassadeur de Suisse en Italie à Rome, et dès 2004 ambassadeur à Londres. Interview.

swissinfo.ch: En Suisse, l’opinion publique ignore quasiment l’existence de la Mission suisse auprès de l’UE à Bruxelles. Comment cela se fait-il?

Alexis Lautenberg: Je ne suis pas sûr que ce constat soir le reflet de la réalité. Si je regarde en arrière, durant mes années passées à Bruxelles, j’ai plutôt eu le sentiment que la Mission avait été reconnue et considérée. Je crois qu’aujourd’hui aussi – et même si ce n’est pas en temps réel, jour pour jour –, en marge d’événements importants, la voix de la Mission est toujours entendue.

Des journalistes suisses spécialisés sont aussi présents à Bruxelles et s’en font l’écho. J’ai travaillé en Allemagne, en Italie et en Grande-Bretagne et je pense que le degré d’information et d’intérêt pour ce qui se déroule à Bruxelles est peut-être même plus élevé en Suisse que dans les autres Etats membres de l’UE.

swissinfo.ch: Vous êtes arrivé à Bruxelles peu après le rejet de l’adhésion par les citoyens suisses. Quelles étaient les conditions sur place?

A.L. La plupart des quotidiens avaient titré: «Mission impossible». Il n’y avait pas de modèle à suivre. La Suisse elle-même était tiraillée. Il y avait le camp des partisans d’une adhésion à l’UE, celui de ceux qui privilégiaient une nouvelle formule de l’Espace économique européen, et un troisième groupe qui ne voulait absolument rien savoir.

Ces trois fronts se sont violemment combattus. Sur le plan politique, la situation était très difficile, et pas que pour nous qui étions au front. Ces tendances se sont aussi reportées sur le Conseil fédéral et le Parlement. La situation était vraiment complexe.

swissinfo.ch: Et comment a réagi l’Union européenne?

A.L.: Au cours des six premiers mois de 1993, le Conseil fédéral avait posé un certain nombre de thèmes sur la table et indiqué à la Commission de l’UE que nous souhaiterions négocier, mais sans que ces secteurs fassent partie d’un concept ou que des priorités ne soient fixées.

C’était à nous de ficeler un paquet avec ces thèmes, dans lesquels les deux parties devaient trouver leur intérêt. En novembre 1993, soit moins d’un an après le rejet de l’adhésion à l’UE, nous sommes arrivés avec un ensemble de sept projets, qui se sont finalement traduits par le premier volet des accords bilatéraux.

swissinfo.ch: A l’époque, les négociations étaient une forme de donnant-donnant. Aujourd’hui, l’UE reproche à la Suisse de se choisir une sorte de «traitement à la carte». Les négociations sont-elles devenues plus difficiles?

A.L.: Aujourd’hui, nous avons toujours un front uni à l’interne en matière de négociations bilatérales. La résolution de problèmes s’est muée en une sorte de système. Il s’agissait de trouver des voies de sortie et pas d’en faire une méthode de travail.

A l’époque, la Suisse avait maintenu son objectif stratégique d’une adhésion à l’UE. Je peux m’imaginer que cette intention avait conduit l’UE à se montrer plutôt conciliante à l’égard de la Suisse.

Aujourd’hui, la question de l’adhésion ne joue, de facto, plus aucun rôle. C’est pourquoi nous agissons désormais sur un autre plan.

L’idée du traitement à la carte est bien présente. Personnellement, je n’ai pas de grande considération pour ce concept, parce que dans le fonds, chaque partie défend au mieux ses propres intérêts.

Les conditions-cadre pour la voie bilatérale ont fondamentalement changé. Tout est devenu assez compliqué. Les questions institutionnelles jouent un rôle central.

swissinfo.ch: Selon vous, quelle devrait être la stratégie du Conseil fédéral sur la voie toujours plus ardue des accords bilatéraux? Faut-il mettre en œuvre une nouvelle voie pour les accords, ou repenser à une adhésion, voire marquer une pause de réflexion?

A.L.: Je pense qu’il ne suivra aucune de ces variantes. Le Conseil fédéral va se garder de poser le pied sur ce nid de guêpes. Nous nous trouvons désormais clairement dans ce paradigme bilatéral et c’est là que nous allons rester.

A condition, bien sûr, que ne se présente un scénario selon lequel l’UE placerait la barre si haut qu’il faudrait effectivement repenser la situation. Mais pour l’heure, ce n’est pas le cas.

swissinfo.ch: Néanmoins, dans de nombreux domaines, la Suisse n’a d’autre choix que d’appliquer le droit communautaire.

A.L.: Sous l’angle de la législation européenne, il est évident que le champ de négociation ne va pas disparaître mais il va diminuer. Il ne s’agit pas seulement d’une question entre l’UE et la Suisse – cela concerne aussi la régulation toujours plus uniformisée à l’échelle mondiale. Regardez ce qui se passe avec le G20 et comme il évolue de manière toujours plus systématique.

Néanmoins, l’UE prend les particularismes helvétiques très au sérieux, que ceux-ci lui plaisent ou non. C’est une réalité et partant, une parcelle de tout un dispositif, et l’UE va le facturer au prix fort. Et ça, il n’y a pas moyen de l’éviter.

Le 15 novembre, la Mission de la Suisse auprès de l’Union européenne célèbre le cinquantième anniversaire de sa présence à Bruxelles. Au départ, il y avait l’Espace économique européen (EEE). D’une alliance de six Etats, l’UE n’a cessé de grandir jusqu’à réunir les 27 Etats membres d’aujourd’hui. La Mission suisse s’est adaptée à cette réalité.

Tout comme les membres de l’UE, les collaborateurs de la Mission sont devenus plus nombreux au fil du temps. Désormais, l’équipe compte 21 diplomates de même que plusieurs expertes et experts détachés et une collaboratrice aux affaires publiques.

L’histoire de la Mission débute en 1959, lorsque le Conseil fédéral décide d’établir des relations officielles avec l’Association européenne de libre-échange (AELE). La Mission a été inaugurée l’année suivante, en 1960, avec l’ouverture de ses bureaux à Bruxelles.

Après un premier déménagement en 1968, la Mission suisse s’est une nouvelle fois déplacée en 2001. Depuis lors, elle a son siège à quelques pas du Parlement européen, place du Luxembourg. C’est aussi dans ces locaux que les festivités du cinquantième anniversaire de la Mission auront lieu.

Alexis Lautenberg est né en 1945 à Zürich. Il est bourgeois de Bâle et d’Ascona.

Il a étudié les sciences politiques à l’université de Lausanne et est entré en 1974 au service du Département des Affaires étrangères.

Après avoir été basé à Varsovie, Genève, Bonn et Berne, il a été nommé ambassadeur et chef de la Mission suisse auprès de l’UE à Bruxelles, en 1993.

De 1999 à 2004, il a été ambassadeur de Suisse en Italie à Rome, et dès 2004 ambassadeur à Londres.

Après sa retraite en 2010, il s’est tourné vers l’économie privée en s’engageant auprès de l’étude d’avocats Steptoe & Johnson à Bruxelles, où il représente en tant que conseiller politique et économique les intérêts des entreprises suisses.

(Traduction de l’allemand: Nicole della Pietra)

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