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Le carnaval de Tinguely à l’honneur à Bâle

Jean Tinguely, Esquisse avec commentaires pour les masques et costumes des Kuttlebutzer, 1985. Sujet: Atompolizei

Le Musée Tinguely de Bâle célèbre l’art – éphémère – des lanternes du célèbre carnaval et la contribution de deux artistes à la manifestation, Jean Tinguely, bien sûr, et Joseph Beuys. Une «éruption créative», dit le commissaire d’exposition.

Les expositions ne doivent pas être grandes par leur taille pour l’être par leurs qualités. Les quelques dizaines de mètres carrés consacrés par le Musée Tinguely de Bâle aux lanternes du carnaval rhénan en sont un bon exemple.

Sous le titre «Fasnacht & Art & Tinguely», le musée réussit un petit chef d’œuvre d’exposition: il montre des objets rares, rappelle quelques hauts faits artistiques et amuse les visiteurs grâce à l’«incroyable éruption créative» – selon les mots du commissaire d’exposition Andres Pardey – suscitée par le «Fasnacht» bâlois.

La lanterne

A l’occasion du 100e anniversaire du Comité du Carnaval, le musée voulait initialement faire un tour d’horizon des artistes internationaux ayant été liés, d’une manière ou d’une autre, au Carnaval. «Mais nous n’en avons trouvé que deux, Tinguely et Beuys. C’était un peu peu…» explique avec malice le directeur du musée Roland Wetzel.

Le musée a alors décidé de se concentrer sur ce qui fait «l’essence même du carnaval, qui est le véritable témoin de l’art de la Fasnacht et de son évolution»: la lanterne.

Pouvant atteindre deux, voire trois mètres de haut, la lanterne est portée par des membres de cliques ou transportée sur des chars. Eclairée de l’intérieur la nuit, elles sont aussi exposées, après le cortège, sur la place de la cathédrale.

Formes et contenus liés à l’histoire de l’art

En tout temps, les lanternes ont illustré les sujets d’actualité de l’époque, en étant très souvent guidée par les formes connues de l’histoire de l’art. Des sujets «à la» Van Gogh sont légion, mais Picasso, Klee, George Grosz ou le pop’art sont aussi la source de nombreux peintres de lanternes.

Quant aux contenus, ils sont aussi très souvent liés à l’art – la votation sur l’achat d’œuvres de Picasso par la ville en 1967, le refus de nouveaux vitraux pour la cathédrale en 1952 ou encore le choix du nouveau directeur du Kunstmuseum en 2001.

Mais les sujets politiques sont aussi très présents. Sarkozy est caricaturé parmi d’autres sur une lanterne récente.

Tinguely en Arlequin de Picasso

Beaucoup de ces lanternes, art éphémère par excellence, ont disparu. Andres Pardey a fait un long voyage parmi les archives des cliques pour les retrouver. Au total, 21 d’entre elles sont exposées, la majorité en excellent état. La plus ancienne date de 1914, la plus récente de 2006.

Jean Tinguely (1925-1991) est aussi le sujet d’une lanterne, réalisée trois ans après sa mort, «D Tinguely-Roch(e)ade»: il est peint comme l’Arlequin assis de Picasso, aussi taciturne que celui de Picasso est rêveur, tenant le directeur des travaux publics de l’époque, tout petit, sur ses genoux.

La scène fait allusion à la décision, prise par le groupe pharmaceutique Roche en 1993, de construire le Musée Tinguely. L’architecte Mario Botta a été choisi pour en dessiner les plans.

Jean Tinguely a été un «Fasnächtler» passionné. De 1973 à sa mort, il a fait partie de la clique des «Kuttlebutzer», qui a défilé de 1957 à 1999 et a suscité plusieurs fois le scandale.

Pétards et désobéissance

Notamment en 1974 quand le Fribourgeois a allumé pétards et fusées sur la Place du Marché devant le Comité qui inspectait les sujets retenus. La place a été noire de fumée en cinq minutes. La clique avait même distribué des menaces de mort au Comité…

«Nous ne voulions pas suivre le parcours officiel, nous ne voulions aucune subvention et nous sommes opposés au Comité», se souvient, dans le journal «Baslerstab» du 2 février, un ancien comparse de Tinguely, Werner Huber.

Le presque octogénaire précise encore que les idées du Fribourgeois ne passaient pas la rampe facilement. «Quand il faisait ses premières propositions de sujet, les graphistes de la clique ne se laissaient pas convaincre facilement. Mais il s’en suivait toujours un travail d’équipe.»

Ce travail est documenté dans l’exposition, avec des esquisses et des lettres. Il y a aussi une installation, «L’Avant-Garde» (1988), faite notamment de masques portés par l’artiste, qui ouvre l’exposition. «Le rythme du mouvement de la sculpture est celui de la clique pendant le cortège», a précisé Andres Pardey.

Beuys moqué et enthousiaste

Quant à l’«aventure» de Joseph Beuys (1921-1986) au Carnaval de Bâle, elle est particulièrement savoureuse. En 1979, la clique «Alti Richtig» s’est moquée, en présence de l’artiste, de l’achat, par le Kunstmuseum, de son œuvre «Feuerstätte» («Foyer»).

Beuys a tellement apprécié qu’il a convaincu la clique de garder les matériaux utilisés et de faire une œuvre avec lui. Ce «Foyer II» a ensuite été offert au Kunstmuseum. Projeté dans l’exposition, un petit film raconte l’aventure.

Un musée du Carnaval?

Ces quelque vingt lanternes tissent, ensemble,le récit du siècle écoulé d’une manière peut-être typiquement bâloise: ironique, politique, artistique et haute en couleurs.

Or, excepté l’exposition permanente au Musée des cultures, aucun musée ne s’y était jusqu’ici consacré. Mais, à l’occasion du 100e anniversaire du Comité du Carnaval, l’idée d’un projet idoine est à nouveau dans l’air bâlois…

Ariane Gigon, Bâle, swissinfo.ch

Quand ? Le Carnaval a lieu cette année du 22 au 25 février 2010.
100. Le Comité du Carnaval fête son centième anniversaire cette année.
Qui ? L’évolution du «Fasnacht» de Bâle, l’importance croissante de la satire des événements politiques, sociétaux et culturels de l’année doivent beaucoup aux artistes, explique le Musée Tinguely.
Quoi ? Les sujets étaient souvent réalisés par des peintres, des sculpteurs ou des graphistes, et les masques et costumes sortis de leur imagination donnaient à chaque clique une physionomie correspondant aux souhaits de la commission des sujets.

Pur. Selon le Musée Tinguely, la lanterne est la «manifestation la plus pure de l’art de la Fasnacht».

Image. Haute de deux ou trois mètres, faite de toile peinte de couleurs translucides, éclairée du dedans la nuit, portée à dos d’homme ou montée sur un char, la «Lampe», comme on dit à Bâle, met le sujet en image.

Interdit. Les premières lanternes apparurent vers le milieu du XIXe siècle, pour éclairer le Morgenstreich, les flambeaux ayant été interdits en 1845.

Apparition. Ce n’est que dans le courant des années 1860 qu’elles font leur apparition l’après-midi (à partir de 1864 dans le cortège de la société Quodlibet).

Dialecte. Jusque dans les années 1920-1930, les textes sont en bon allemand. Le dialecte s’impose par la suite.

A partir de 1921, les lanternes (exposées le mardi de la Fasnacht dans le préau d’une école, plus tard dans un bâtiment de la Foire de Bâle et aujourd’hui sur la place de la cathédrale) ont droit à une recension dans la National-Zeitung où, contrairement à l’anonymat de règle au Carnaval, les noms des peintres sont donnés

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