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Le CERN et la physique des particules pour les nuls

Michel Spiro: «le CERN contribue à essayer de répondre à des questions que l’humanité s’est posée depuis toujours». © CNRS Photothèque / Christophe LEBEDINSKY

«S’ils trouvent leur boson de Higgs, ça changera quoi dans ma vie ?» La question pourrait-elle tempérer l’enthousiasme des physiciens excités par les performances du LHC, leur nouveau super-joujou ? En coulisses de la conférence Europhysics de Grenoble à fin juillet, l’un d’eux a répondu à Candide.

A 100 mètres sous terre aux portes de Genève, des faisceaux de protons se ruent dans un tube de 27 kilomètres de circonférence à une vitesse proche de celle de la lumière. Lorsqu’ils entrent en collision l’énergie est telle que la température fait de leur minuscule point de rencontre l’endroit le plus chaud de l’univers. Pourtant, les aimants géants qui rendent ces collisions possibles en accélérant les particules sont maintenus en permanence à une température proche du zéro absolu. Le LHC est ainsi à la fois le four le plus puissant et le plus vaste congélateur du monde.

Des excentricités de ce genre, le plus grand accélérateur de particules sur Terre en recèle suffisamment pour alimenter longtemps la rubrique «le saviez-vous ?» de n’importe quelle revue de vulgarisation. Mais tout cela pour quoi ? Les réponses du physicien Michel Spiro, président du conseil du CERN.

swissinfo.ch: La communauté des physiciens se réjouit des premiers résultats du LHC. Mais en-dehors d’elle, il semble que personne ne soit simplement capable de les comprendre, ou de se représenter par exemple ce que peut bien être le boson de Higgs. Finalement, la physique des particules, ça sert à quoi ?

Michel Spiro: Ça contribue à essayer de répondre à des questions que l’humanité s’est posée depuis toujours. Le questionnement fondamental de l’humain, c’est d’essayer de comprendre, de se représenter, de penser le monde dans lequel il vit.

De quoi sommes-nous faits ? De ces fameuses particules justement. D’où venons-nous ? Les collisions que nous réalisons dans les accélérateurs reproduisent les conditions de l’univers tel qu’il était il y a des milliards d’années. Les lois de la physique et l’étude des résultats nous ont permis de retracer l’histoire de notre univers, qui a été une fois si chaud et si dense que l’on pense que nous sommes issus d’une espèce d’explosion qu’on appelle le big bang.

Il y a aussi la question du devenir. Où allons-nous ? Et là, il semble que l’espace-temps, le vide dans lequel nous sommes insérés se dilate et que l’univers ait tendance à se refroidir…

swissinfo.ch: Des questions, des hypothèses, et encore des questions…

M.S.: En effet, il reste beaucoup d’énigmes auxquelles nous avons à faire face. Pourquoi les particules ont une masse ? C’est loin d’être purement académique, c’est ce qui fait que l’univers, et par conséquent nous-mêmes pouvons exister sous la forme que nous connaissons. En théorie, l’origine de la masse des particules, c’est ce fameux boson de Higgs. C’est lui qui confère à l’espace-temps une certaine viscosité, qui donne cette masse à la matière. Il a existé dans les premières fractions de secondes de l’univers, et les effets s’en feront sentir jusqu’à la fin des temps.

Il y a aussi cette matière noire, dont on ne sait pas de quoi elle est faite et qui remplit l’univers. Et aussi une forme d’énergie noire, qui semble accélérer son expansion. Et encore, dernière énigme, le fait que normalement, les lois de la physique sont symétriques entre matière et antimatière. Or, Dieu merci, on ne voit autour de nous que de la matière et pas d’antimatière. S’il y avait autant d’antimatière que de matière, tout s’annihilerait et on en serait pas là pour en parler.

swissinfo.ch: Et Dieu dans tout ça ?

M.S.: La physique nous permet de remonter dans l’histoire de l’univers. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, on n’arrivera pas à la compréhension ultime de l’origine. Avec la science, on a un horizon limité. Il y aura là toujours un mystère, et dans les mystères se cache le foi, ou ce qu’on veut penser.

swissinfo.ch: Pour en revenir à des réalités beaucoup plus terre-à-terre, en quoi l’homme de la rue, le citoyen lambda est-il concerné par vos recherches ?

M.S.: Il l’est doublement. D’une part par ce qu’on cherche, qui correspond à des attentes de l’humanité, comme je le disais plus haut, mais aussi par les retombées économiques et technologiques.

Le CERN fonctionne sur une collaboration mondiale, et c’est à cause d’elle qu’on a développé le web, qui est maintenant partie du quotidien de tout le monde. Avec le LHC, on a la grille, qui met en réseau des calculateurs du monde entier. On ne peut pas dire aujourd’hui si elle va être utilisée massivement, mais c’est déjà un outil collaboratif mondial. D’ailleurs au début du web, on ne savait pas qu’il aurait une telle répercussion.

Le CERN développe également des logiciels libres, ainsi qu’une électronique de pointe, dont tous les éléments sont ouverts à tous. De tout cela, il peut sortir des avancées dans pas mal de domaines, même loin de la physique des particules.

swissinfo.ch: Le CERN semble se moquer des drapeaux et vos chercheurs n’ont pas à se soucier de combler des actionnaires. Seriez-vous les derniers des idéalistes à faire de la science pour le seul amour de la connaissance ?

M.S.: Nous sommes en plein dans le mouvement de la mondialisation. Mais chez nous, elle n’est pas basée sur la compétition entre entreprises. C’est une mondialisation collaborative. Au CERN, vous allez trouver sur la même expérience des pays que tout oppose a priori. Comme l’Inde et le Pakistan, ou comme Israël et l’Iran, et on espère bien voir des Palestiniens aussi un jour. D’ailleurs, ils viennent dans nos écoles d’été.

Donc, effectivement, on se joue des frontières, des différences culturelles, pour essayer tous ensemble de faire progresser l’humanité. Et qui sait ? Peut-être un jour, on sera considérés comme un modèle pour faire avancer le monde.

swissinfo.ch: Le ciel vous entende… Mais pour l’heure, la tendance est plutôt aux replis nationalistes et aux restrictions budgétaires. Une menace pour le CERN ?

M.S.: La complexité même de ce que nous faisons et le fait que notre quête est universelle imposent la mondialisation. Et nous savons déjà que la machine qui viendra après le LHC sera encore plus mondiale. Sinon, elle ne pourra pas exister.

Mais ce qui peut nous bloquer effectivement, ce sont les ressources. Est-ce que les pays considéreront que ces avancées scientifiques correspondent à un souhait de l’humanité et qu’elles génèrent suffisamment de retombées ? Ce sera un défi pour nous de mobiliser toujours des ressources. On ne demande pas que les contributions des pays augmentent sans cesse. Mais au moins qu’elles restent constantes, si on veut, le jour venu, faire une machine au-delà du LHC.

Né en 1946 à Roanne, dans le centre de la France, il suit l’Ecole Polytechnique et obtient son doctorat ès sciences en 1970.

Ses premières recherches en physique des particules le conduisent à participer à la découverte des bosons intermédiaires W et Z. Il se dirige ensuite vers l’étude des particules en provenance du cosmos, notamment les neutrinos solaires.

La qualité de ses travaux lui vaut notamment les prix Joliot-Curie de la Société française de physique en 1983, le prix Félix Robin de la Société française de physique en 1999 et le prix de l’Association française pour le rayonnement international en 2000.

Actuel directeur scientifique référent du CNRS (Centre national pour la recherche scientifique) pour la région Alpes, il a auparavant occupé diverses fonctions dirigeantes au sein de l’organisation française. Depuis décembre 2009, il est également président du conseil du CERN.

«Le type d’innovations et de défis auxquels on a à faire face nous amène à développer des collaborations mondiales sur un type tout à fait original, qu’on pourrait appeler l’économie ouverte et gratuite», explique Michel Spiro.

Le web (inventé au CERN), est certainement l’expression la plus avancée de ces «outils collaboratifs mondiaux», mais tout ce qui s’invente ou se fabrique au CERN se fait au vu et au su de toute personne intéressée. Chaque chercheur, ingénieur, ou simple bricoleur peut potentiellement en profiter ou y participer. On est donc à l’opposé de la philosophie de l’innovation commerciale, jalousement protégée par des brevets.

Comme il faut malgré tout toujours convaincre les pays membres d’assurer les budgets, le CERN a demandé à l’OCDE une étude sur les retombées économiques et sociales de ses activités. Pour Michel Spiro, ça ne fait aucune doute: celles-ci «contribuent à dynamiser l’économie mondiale».

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