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Le cinéma suisse sur la Croisette

L'affiche très 'classe' du 64ème. SP

La 64e édition du festival de Cannes se tient jusqu’au 22 mai. Parmi les films proposés dans la sélection «Quinzaine des réalisateurs» figurent «Nuvem – Le Poisson Lune» du jeune cinéaste luso-suisse Basil Da Cunha et «Corpo Celeste» d’Alice Rohrwacher, une coproduction italo-franco-suisse. Tour d’horizon.

La Suisse est un pays fortuné et accueillant, où il y a du travail en abondance pour tout le monde. Longtemps, cette légende réconfortante alimenta l’imagination de nombreux travailleurs émigrés européens et donna à Pane e cioccolata, le célèbre film de l’Italien Franco Brusati (1972), un argument en or, riche de mille anecdotes comiques.

Sur le même sujet, d’autres films sont sortis depuis: La Traductrice d’Elena Hazanov et La Forteresse de Fernand Melgar (pour ne citer que les plus récents). Une fiction et un documentaire qui racontaient, chacun à sa manière, l’arrivée en Suisse d’étrangers et l’histoire d’une intégration difficile.

Et voilà qu’un nouveau film, intitulé Corpo Celeste, accomplit le chemin dans le sens inverse. Il part du Tessin pour aboutir en Italie, plus précisément dans la région de Calabre où la petite Marta, 13 ans, vient de débarquer avec sa mère et sa sœur, après avoir passé son enfance à Lugano.

Une Suisse enfouie dans la mémoire

Nous sommes en 2010. Le film commence avec l’arrivée de Marta (Yle Vianello) à Reggio Calabria, qu’elle a quitté après sa naissance, son père ayant choisi alors de gagner sa vie en Suisse. Une Suisse désormais enfouie dans la tête de la petite qui n’en parle pas, mais doit se libérer de l’eldorado helvétique si elle veut trouver sa place au fin fond de la «botte».

«Il fut un temps où pour les Italiens, des pays comme la Suisse ou l’Allemagne étaient synonymes de libération, explique Alice Rohrwacher, 28 ans, réalisatrice de Corpo Celeste. Avec la mondialisation économique, les choses ont changé: les conditions de travail sont les mêmes un peu partout en Europe. Je connais beaucoup d’Italiens, établis en Suisse depuis le début des années 1990, qui préfèrent rentrer chez eux aujourd’hui».

Reste la différence sociale et de mentalité entre le Nord et le Sud. Ce Sud où Marta est née, mais dans lequel elle se sent étrangère. «Le film montre comment on apprend à apprivoiser sa propre culture, poursuit Alice Rohrwacher, née en Toscane de père allemand. En Calabre, Marta trouve une réalité très différente de celle qu’elle avait imaginée. Elle est en face d’une société qui veut coûte que coûte coller à la modernité, mais garder en même temps ses vieilles traditions de vie catholique». C’est à travers les cours de catéchisme que la petite fille devra donc apprendre à s’intégrer.

 

Corpo Celeste, coproduction italo-franco-suisse, sera présenté à Cannes dans la section «Quinzaine des réalisateurs», tout comme Nuvem – le Poisson Lune, court métrage réalisé par le cinéaste suisse d’origine portugaise Basil Da Cunha, étudiant à la Haute Ecole d’Art et de Design de Genève, section cinéma.

Un cartomancien et un clown

Nuvem signifie, en portugais, «nuage». C’est le nom du héros, si tant est que l’on puisse appeler «héros» un jeune homme borderline, qui tient du clochard céleste façon Beckett. Le film chamboule les repères du spectateur, avec une sincérité touchante et une naïveté amusante. Au public donc de recoller les morceaux d’une vie d’errance, celle de ce Nuage perdu dans l’air du temps.

L’air ici est celui d’une favela de Lisbonne balayée par le souffle de l’océan.

Nuage (Nelson Duarte) y laisse flotter sa petite barque à la poursuite d’un poisson-lune qu’il voudrait pêcher pour appâter la jeune fille qu’il aime. Mais avant de voguer, notre jeune homme se sera perdu dans les dédales de cette favela habitée par des pêcheurs désœuvrés, des joueurs de cartes exaltés, par un cartomancien et un clown également, deux remparts contre une réalité que Nuage fuit de toutes ses forces.

Tourné caméra à l’épaule, le film a le tremblé des rêves. Quelque chose flotte dans l’image. Et quelque chose flotte dans la tête de ce Nuage en quête d’un bonheur flou. A cause peut-être de ce flottement et de l’atmosphère surréaliste qu’il génère, on pense un peu au grand poète portugais Fernando Pessoa. On en parle à Basil Da Cunha qui affirme être «flatté par cette comparaison», mais préfère se dire inspiré de Pedro Costa, cinéaste lui aussi portugais.

Le rêve, important pour chaque vie

Comme Pedro Costa, Basil Da Cunha a choisi une manière de tourner proche du documentaire, proche aussi d’une société marginalisée par son manque d’argent, par la couleur de sa peau (les acteurs, non professionnels, sont cap-verdiens) et par sa culture (on parle créole dans le film).

Basil Da Cunha n’a pas voulu pour autant «cantonner ses personnages dans des rôles préfabriqués». Il précise: «J’ai intégré à mon sujet et à mes dialogues une grande part d’irréel. C’était le meilleur moyen de dépasser la problématique sociale. Mon film n’a rien d’une œuvre engagée. Je ne défends pas la cause des pauvres ou des vagabonds, je montre seulement combien le rêve est important pour chaque vie».

HEAD. Né le 19 juillet 1985, il suit actuellement une formation à la Haute Ecole d’Art et de Design de Genève (HEAD), section cinéma.

Thera. Il réalise plusieurs court-métrages autoproduits, avant de devenir membre de l’Association Thera Production.

 

«A côté». Son précédent film A côté est nominé au Prix du cinéma suisse 2010.

 

Court. Il est également l’auteur d’un court-métrage de fiction La loi du Talion (2008).

Toscane. Née en Toscane il y a 28 ans, de père allemand et de mère italienne.

Philo. Elle a obtenu une licence de littérature et de philosophie de l’Université de Turin.

 

Premier.Corpo Celeste est son premier long métrage. Il est coproduit par la société tessinoise Amka Films.

Depuis 1946, Cannes a accueilli des films de cinéastes suisses ou coproduits par des sociétés suisses. On citera ici les documentaires et fictions les plus remarqués et ceux récompensés par des prix.

 

Seiler. En 1963, Alexandre J. Seiler obtient la Palme d’or du court métrage pour A fleur d’eau / In wechselndem Gefälle.

 

Goretta. En 1973, Claude Goretta reçoit le Prix spécial du jury pour son long métrage L’Invitation.

 

Plus récemment. Pour ce qui est des films remarqués, citons ceux mis à l’affiche du festival ces 5 dernières années, toutes sections confondues: Le créneau de Frédéric Mermoud (2007), Home d’Ursula Meier (2008), Film Socialisme, de Jean-Luc Godard (2010) et Cleveland contre Wall Street, de Jean-Stéphane Bron (2010).

Zünd. A noter qu’hormis Nuvem et Corpo Celeste, Cannes accueille, dans le programme de l’ACID, Goodnight Nobody un documentaire de la réalisatrice zurichoise Jacqueline Zünd. Meilleur film de la relève au festival Visions du Réel de Nyon en 2010, ce documentaire a reçu également un «Quartz 2011».

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