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Le combat de Gabriel Baertschi au Vietnam

Gabriel Baertschi, un jeune manager au Vietnam. swissinfo.ch

Pas facile pour un Suisse de diriger une entreprise au Vietnam. Le Neuchâtelois Gabriel Baertschi en fait l'expérience tous les jours, entre personnel volatil et problèmes de corruption. Interview.

A 33 ans, le Neuchâtelois Gabriel Baertschi dirige depuis deux ans la filiale vietnamienne d’un grand groupe pharmaceutique. Rencontre dans sa villa d’un quartier chic de la banlieue d’Hô-Chi-Minh-ville (Saigon jusqu’en 1975).

swissinfo: Depuis mars 2006, seul expatrié de l’entreprise, vous dirigez une équipe de 150 Vietnamiens. Quels sont les problèmes rencontrés dans votre quotidien professionnel?

Gabriel Baertschi: D’abord, la qualité des gens que nous recrutons. Au Vietnam, 65% de la force de travail à moins de 30 ans. Ce sont donc des jeunes sans grande expérience professionnelle. Il faut les former de A à Z car aucune école de marketing ou de vente n’existe dans le pays.

A cela s’ajoute le problème de la langue. Si les cadres parlent bien l’anglais, ce n’est pas le cas du reste des employés. Enfin, ces jeunes sont très immatures. Ils changent de place pour quelques dollars de plus ou pour un téléphone portable offert. La rotation du personnel avoisine les 30% par an.

swissinfo: Comment remédier à ce problème?

G.B. : Nous avons dû développer des programmes de rétention du personnel en proposant des possibilités de développement ou en offrant des bénéfices salariaux importants par exemple.

swissinfo: Le fait que vous n’ayez «que» 33 ans pour diriger cette équipe, est-ce un handicap?

G.B. : Les premières semaines, j’ai eu du mal à me faire respecter, car, culturellement, le chef doit être bien plus âgé que ses employés. Très vite, la situation s’est normalisée. Le Vietnam est un pays qui respecte le chef. Celui-ci reste la référence mais ce n’est pas toujours un avantage.

Les gens s’appuient toujours sur toi, sur tes décisions et attendent que tu leur apportes des solutions. Les employés ont de la peine à prendre des décisions, à définir eux-mêmes une stratégie, surtout sur le long terme. Ils travaillent au jour le jour. L’exécution des tâches reste un problème. Il faut constamment tout vérifier. Le fossé culturel est aussi important.

swissinfo: C’est-à-dire?

G.B.: Un exemple: lorsque nous avons fait la rénovation de nos bureaux, nous avons dû inviter un médium. Il a tenu compte de la date et de l’heure de naissance de tous les employés pour placer les gens dans le bureau. Cela nous a pris deux mois pour finir l’arrangement des places de travail. L’anecdote démontre bien qu’il faut accepter certaines coutumes. Mais nos employés doivent aussi respecter nos standards et notre éthique de travail.

swissinfo: Justement, on entend beaucoup parler de corruption au Vietnam. Avez-vous déjà été confronté à ce genre de problème?

G.B.: Bien sûr! C’est le plus gros challenge dans ce pays. La corruption se retrouve à tous les niveaux. Nous produisons un médicament contre le cancer du sein, le seul avec des études de survie à long terme qui soit sur le marché au Vietnam. Bien que cela soit contre la volonté du gouvernement, en particulier du ministre de la Santé, la procédure de remboursement est ralentie par certains employés, car nous refusons de verser les pots de vin qui accéléreraient la procédure.

AstraZeneca a une politique très claire à ce sujet. Nous préférons perdre un marché plutôt que de jouer ce jeu-là. Je suis convaincu que notre stratégie sera payante à long terme.

swissinfo: Devez-vous former vos employés à votre éthique?

G.B. : Oui. Nous avons dû faire un gros effort pour leur expliquer comment se comporter lorsqu’ils se trouvent face à une demande de corruption. Si un employé se trouve dans une telle situation, il doit aussitôt en faire part à la direction. Nous le formons aussi à répondre à son interlocuteur sans le froisser, afin de ne pas fermer complètement les négociations.

Nous avons créé un poste à temps plein pour un Compliance Officer. C’est une personne qui contrôle la qualité d’adhérence des employés à nos codes d’éthique et à nos procédures internes. Travaillent-ils selon nos normes ou pas? Cela concerne aussi la corruption. Si l’un de nos employés est surpris en flagrant délit, il est immédiatement renvoyé. Idem lors d’un gonflement de paiement ou de note de frais, etc.

swissinfo: Et cela arrive?

G.B. : Bien sûr. Du coup, nous perdons parfois de très bons éléments.

swissinfo: Comment voyez-vous l’évolution professionnelle de ces jeunes employés?

Elle s’améliore, mais de gros efforts restent à faire. Ils sont enclins à apprendre et peuvent absorber beaucoup de nouvelles connaissances. De plus, ils sont travailleurs. Pour preuve, cette année, l’entreprise a réalisé la plus forte progression des dix plus grandes multinationales établies au Vietnam. Cela démontre que l’équipe a bien intégré les nouvelles techniques de management.

Reste que les Vietnamiens ne sont pas des businessmen dans l’âme. Ils sont commerçants mais ils n’ont pas encore intégré les notions telles que créer une demande, faire du marketing, comprendre les besoins des clients, etc. Avec le boom économique que vit le pays, ils devront rapidement adopter ces méthodes de management.

swissinfo, Pierre Jenny, de retour de Hô-Chi-Minh-Ville

Né à Berne en 1974, Gabriel Baertschi fait ses écoles à Neuchâtel et à la Chaux-de-Fonds. Il ponctue son cursus par une licence en biologie à l’université de Neuchâtel.

En 1999, il entre comme « product manager » chez AstraZeneca, groupe pharmaceutique anglo-suédois. Rapidement, il gravit les échelons: responsable marketing pour l’un des produits phare du groupe, puis directeur commercial pour l’Europe, l’Asie, l’Amérique latine et le Japon.

En 2005, il quitte le siège suédois de Göteborg pour s’installer à Hô-Chi-Minh City (Saigon) où il occupe la fonction de «General Manager» pour le Vietnam, le Laos, le Cambodge et la Birmanie.

Après la visite de Pascal Couchepin au Vietnam, Samuel Schmid et Micheline Calmy-Rey devraient, eux aussi, se rendre à Hanoi cette année. Doris Leuthard avait déjà fait le déplacement dans la capitale vietnamienne en juillet 2007, accompagnée par une vingtaine de chefs d’entreprise.

Les visites répétées des ministres suisses s’expliquent par l’attrait qu’exerce aujourd’hui le Vietnam sur les entreprises helvétiques.

Les grands groupes comme Holcim et Nestlé, ainsi que des PME, se sont établis au pays de l’oncle Hô ces dernières années. A l’heure où fabriquer en Chine est devenu trop coûteux, de nombreux entrepreneurs déplacent leurs usines au Vietnam. Motifs: un marché local de 85 millions d’âmes (115 millions en 2050) en pleine expansion, l’émergence d’une classe moyenne toujours plus portée à la consommation et une main-d’œuvre locale bon marché.

En 2007, le pays enregistrait un taux de croissance de 8,5% (9% prévus en 2008). Seules ombres au tableau: 12,3% d’inflation l’an dernier et des infrastructures – routes, voies ferrées et ports – qui peinent à suivre cette embellie économique.

Actuellement, 300 Suisses vivent au Vietnam. Ils forment une communauté dont la moyenne d’âge se situe entre 30 et 40 ans. Ses plus anciens membres sont arrivés dans les années 1990, lorsque le pays s’est ouvert au marché international.

La majorité des expatriés travaille dans le secteur économique – entreprises et banques, ainsi que pour la coopération suisse (DDC) dont le bureau se trouve à Hanoi.

La Suisse est représentée par son ambassade de Hanoi et par un consulat sis à Hô-Chi-Minh City.

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