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«La vapeur, c’est plus amusant»

swissinfo.ch

Depuis 25 ans, Martin Horath escalade les pentes du Rigi à bord d’un train à crémaillère. Un travail qui demande de la ponctualité et un certain tempérament et qui a transformé ce mécanicien de 48 ans en un loyal sujet de la «reine des montagnes».

Le rythme de l’indicateur de vitesse est presque hypnotique. Il tinte joyeusement pendant que le train à crémaillère se dirige vers le sommet du Rigi, une montagne de Suisse centrale à 1800 mètres d’altitude.

«Je ne l’entends presque plus. Je ne l’entends que s’il ne fonctionne pas», explique Martin Horath. La vitesse maximale du train à crémaillère est de 19 km/h à la montée et de 16 km/h à la descente. Occasionnellement, le conducteur fait sonner la sirène de son engin pour avertir des randonneurs – ou en l’occurrence aujourd’hui des paysans – qu’ils se trouvent trop près de la ligne.

Tôt le matin et tard le soir, il voit souvent des renards, des daims et des chamois. «Ils ne font pas attention aux trains. Les animaux s’habituent très vite à un passage aussi régulier.»

Filipa Cordeiro / swissinfo.ch

Un rêve d’enfant

Né et élevé à Goldau, dans le canton de Schwytz, Martin Horath a toujours rêvé de travailler sur le Rigi. Une passion qu’il a probablement héritée de son père, lui aussi conducteur de locomotive. Enfant, il l’accompagnait chaque fin de semaine. Aujourd’hui, Martin Horath vit encore à Goldau.

Après son apprentissage de mécanicien, il a d’abord travaillé deux ans dans les dépôts de la compagnie de chemins de fer du Rigi, avant de devenir lui aussi conducteur. En plus de travailler sur le train à crémaillère actuel, électrique, il sait également faire fonctionner l’ancêtre à vapeur.

«L’électrique est beaucoup plus propre, mais la vapeur et plus amusante», nous dit-il avec une étincelle dans ses yeux bleus. Une locomotive à vapeur nécessite deux personnes à bord et trois ou quatre heures de travail de préparation. Avec l’électricité, il suffit de tourner le bouton et c’est parti.

Pas le temps de s’ennuyer

Son uniforme montre à l’évidence quelle est la place de Martin Horath dans le train. Mais sa moustache en croc surmontant une barbe lui donne aussi un look bien à part. «C’est ma marque de fabrique», indique-t-il. Il a commencé à tailler les poils de son visage de cette manière en 1996, à l’occasion du 125e anniversaire de la ligne. Le train à crémaillère du Rigi, qui relie la localité de Vitznau au sommet, est le plus ancien d’Europe, et le 2e plus ancien dans le monde après celui du Mont Washington, dans le New Hampshire.

Martin Horath salue les passagers qui vont et viennent, échangeant des plaisanteries avec certains d’entre eux, comme ce monsieur âgé qui semble lui aussi rêver de conduire un train. «Il y a beaucoup de passagers réguliers. Chaque mercredi, par exemple, il y a un groupe de fidèles qui s’arrêtent à la station de Klösterli pour aller à la messe à la chapelle.»

Lors d’une journée typique, Martin Horath fait trois ou quatre trajets aller et retour. Mais n’y a-t-il pas là de quoi s’ennuyer après autant d’années? Le conducteur rétorque que son travail est très varié. Il adore avoir un contact avec les passagers, mais aussi réfléchir de son côté, lorsque qu’il fait valoir ses compétences en mécanique au dépôt.

Mais il y a aussi les journées spéciales, par exemple quand le train est loué pour un mariage. Ou encore les mornes journées d’hiver, où il conduit des passagers avides de soleil au-dessus de la brume. Sans oublier cette journée de 1986, lorsque les sept membres du Conseil fédéral (gouvernement suisse) ont emprunté son train pour leur sortie annuelle.

Pourtant, Martin Horath a observé des changements dans la manière dont les gens passent leur temps libre. «Tout est plus frénétique, de nos jours. Ils se pressent au sommet pour aussitôt redescendre», regrette-t-il, en soulignant que ces visiteurs ne prévoient qu’un seul jour pour une excursion en montagne.  «Il y a aussi plus de règles à respecter. Les choses sont plus compliquées qu’il y a 25 ans, dit-il en pensant à l’augmentation constante des cyclistes et des randonneurs. Il y a des conflits potentiels, mais tant que les gens font attention les uns aux autres, tout va bien.»

Jusqu’au Vietnam

Martin Horath cultive une véritable passion pour les locomotives à vapeur. Durant son temps libre, il travaille bénévolement comme mécanicien et comme conducteur pour la ligne Furka-Oberalp. Avec ses collègues, il s’occupe de l’entretien des trains et répare les pièces qui ne peuvent plus être remplacées.

Il fait notamment partie d’un club de passionnés qui cherchent à réparer un chasse-neige à vapeur. Les vieilles machines occupent une place à part dans le cœur de notre mécanicien. Chez lui, il a rassemblé environ 150 tonnes de matériel d’époque: des moteurs, des rouleaux à vapeur, des motos et d’autres trésors qu’il qualifie ironiquement de «ferraille». Sa collection aurait certainement de la valeur chez les antiquaires, mais il n’a aucune intention de la vendre. «Les vrais collectionneurs ne se défont jamais de rien», dit-il.

La société des chemins de fer du Vietnam n’a manifestement pas cet esprit de collection. En 1990, Martin Horath s’est rendu dans le pays avec un groupe d’amis pour récupérer quelques vieilles locomotives de la Furka qui avaient été abandonnées. «Nous avons dû les racheter, même si elles n’avaient plus aucune valeur», explique-t-il. Ce voyage de deux mois a été intense et terriblement chaud. L’équipe a dû transporter les locomotives de la route au rail, puis à nouveau de la route à la mer. «Mais cela fut finalement une belle expérience», juge-t-il.

«Les habitants nous ont demandé ce que nous étions en train de faire; ils étaient vraiment cordiaux», se souvient-il. Certaines locomotives n’avaient pas été utilisées depuis plus de cinquante ans, mais une fois en Suisse, Martin Horath et ses collègues les ont remises en état de marche.

L’aventure vietnamienne a cependant constitué une exception. D’habitude, Martin Horath préfère ne pas trop s’éloigner de la maison. «J’ai eu la chance de pouvoir acheter une vieille guérite; elle est petite, mais elle a tout ce qu’il faut», dit-il en nous montrant une habitation en bois avec vue sur le lac des Quatre-Cantons et les sommets environnants.

Célibataire, Martin Horath rit lorsqu’on lui demande s’il est «marié» à la montagne. «Non, non, répond-il. Mais c’est définitivement un endroit où j’aime passer mon temps». Notre mécanicien-conducteur semble décidément avoir trouvé l’équilibre parfait entre travail et vie privée.

(Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)

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