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Le cri d’alarme des défenseurs du patrimoine

Le couvent de la Valsainte, dans le canton de Fribourg. www.swisscastles.ch

La Confédération prévoit, d’ici à 2007, une réduction de 25% des subventions destinées à la conservation des monuments historiques

Les défenseurs du patrimoine décrètent l’union sacrée contre cette décision qui met en péril les trésors nationaux.

Le ministre de l’Intérieur, Pascal Couchepin, l’a annoncé à l’occasion du Festival du Film de Locarno: la répartition des budgets dévolus à la culture sera corrigée.

L’enveloppe destinée au cinéma augmente de 33 à 37 millions. Alors que celle prévue pour la préservation des monuments historique passe de 36 millions cette année à 26 millions en 2007.

Ce changement de priorités s’inscrit dans un contexte global d’assainissement des finances fédérales.

«Nous avons dû rogner dans la plupart des secteurs», explique David Streiff, directeur l’Office fédéral de la culture (OFC).

«Le poste dédié à la conservation du patrimoine représentait quelque 20% du budget de l’Office, précise David Streiff. Numériquement, il est vrai qu’il est le plus touché par les coupes budgétaires».

«En réalité, affirme-t-il, ces coupes ne représentent que 25% de ses budgets alors que d’autres secteurs ont perdu jusqu’à 50% de leur enveloppe budgétaire.»

Et le responsable l’Office fédéral de la culture de poursuivre, «contraints de nous aligner sur les pays voisins qui investissent massivement dans le cinéma et confrontés à l’obligation de faire des économies, nous avons choisi de couper dans les secteurs qui ne sont pas directement placés sous la responsabilité de la Confédération.»

La responsabilité des cantons

De fait, la préservation des trésors historiques ou culturels relève des cantons. Berne octroie des subsides pour les monuments, mais jamais sans un effort parallèlement consenti par les autorités cantonales.

«Nous espérions que les cantons compenseraient le désengagement de l’Etat. Mais il faut admettre que le mécanisme ne fonctionne pas. Et que les cantons n’ont visiblement ni les moyens ni la volonté d’augmenter leur financement», avoue David Streiff.

De son côté, l’Office fédéral de la culture n’envisage pas de revenir sur sa décision.

Les deux partenaires vont toutefois se mettre autour de la table des négociations. Une première discussion entre responsables fédéraux et cantonaux est d’ores et déjà agencée pour la semaine prochaine.

Défenseurs du patrimoine paniqués

Du côté des défenseurs du patrimoine, c’est la panique. En effet, la Confédération investit généralement entre 15 et 35% du budget destiné à la rénovation d’un objet classé monument historique. Et ces subventions fédérales représentent en moyenne 25 à 50 % des budgets cantonaux affectés à ces tâches.

«En outre, l’engagement de l’Etat en faveur de la conservation d’un monument donne aussi un signe clair aux investisseurs privés, fondations et associations incluses», souligne Hannes Scheidegger, directeur de l’association Nike, organisation privée qui œuvre pour la conservation des biens culturels.

«Nous sommes en effet confrontés à un système particulièrement fragile, poursuit Hannes Scheidegger, les crédits sont en quelque sorte coordonnés. Et la baisse de l’un d’entre eux entraîne inéluctablement la chute des autres.»

De fait, il est admis par toutes les instances concernées que chaque franc investi par la Confédération dans la conservation du patrimoine engendre un investissement six à neuf fois supérieures.

Il faut par ailleurs tenir compte du renchérissement, rappelle Hannes Scheidegger. «Les coûts de la restauration ont augmenté de quelque 7% à 16% ces cinq dernières années. Autrement dit, les budgets mis a disposition ne permettent plus de remplir les mêmes tâches».

Une cohésion nationale

L’influence de la Confédération ne se limite pas au cadre financier. Elle apporte, en outre, une précieuse cohésion nationale dans un paysage particulièrement fragmenté.

Une commune ou un particulier qui veulent obtenir le classement d’une bâtisse et un appui pour sa rénovation doivent s’adresser aux services cantonaux qui statuent en fonction d’inventaires et de critères fixés dans des chartes internationales.

«Toutefois, la manière d’évaluer et de classer les monuments diffère d’un canton à l’autre», souligne Johann Murner, chef de la Section du patrimoine culturel et des monuments historiques de l’OFC.

En clair, dit-il, «la Suisse ne dispose ni de statistique, ni d’inventaire ou de définition commune en matière de patrimoine historique. »

Un soutien économique et logistique

Dans ce contexte plutôt confus, l’Etat présente, en outre, l’avantage de pouvoir agir efficacement et rapidement en cas de crise.

Et le chef de la Section du patrimoine culturel et des monuments historiques de citer le cas du couvent de la Valsainte dans le canton de Fribourg. Confronté à la présence d’eau souterraine qui ronge ses fondations, la vénérable bâtisse s’enfonce progressivement.

Mandatés, les experts fédéraux ont rapidement mis au point un plan d’assainissement devisé à 5 millions de francs et la Confédération s’est engagée à payer 35% de la facture.

«Un tel programme n’aurait pas pu être rapidement mis sur pied sans le soutien économique et logistique de l’Etat», conclut Johann Murner.

Un avenir incertain

Chaque année 300 à 400 bâtiments classés d’importance locale, cantonale ou nationale profitent des subsides fédéraux. A l’instar du Münster de Berne ou de la cathédrale de Fribourg, cinq mille objets – nécessitant un entretien régulier – sont en outre implicitement sous la protection de la Confédération.

Pour autant, les coupes prévues par l’Office fédéral de la culture mettent-elles réellement en péril la pérennité des trésors nationaux?

«La Suisse était jusqu’à présent dans le peloton de tête des pays industrialisés pour ce qui est de la protection du patrimoine. Mais il est clair qu’une baisse des subventions fédérales posera problème à moyen ou long terme», déplore Johann Murner.

L’Association des conservateurs et conservatrices suisses de monuments historiques affirme pour sa part que la baisse des subventions menace la survie de quelque 1000 sites d’importance nationale.

Face à cette menace, les lobbyistes du patrimoine annoncent une union sacrée, renforcée par les gouvernements cantonaux qui ne manqueront pas d’activer leurs relais à Berne.

swissinfo, Vanda Janka

La Confédération prévoit une réduction de 25% des subventions destinées à la conservation des monuments historiques.
Le gouvernement compte ramener l’enveloppe dédiée à ce secteur de 37 millions cette année à 26 millions en 2007. Contre 48 millions en 1995.

– La préservation des trésors historiques ou culturels relève des cantons. La Confédération, chargée des sites naturels, octroie des subsides pour les monuments, mais jamais sans un effort parallèle du canton concerné.

– La Confédération investit généralement entre 15 et 35% du budget destiné à la rénovation d’un objet classé monument historique. Les subventions fédérales représentent en moyenne 25 à 50% des budgets cantonaux affectés à l’entretien du patrimoine.

– Chaque franc investi par la Confédération dans la conservation du patrimoine bâti engendre un investissement six à neuf fois supérieurs. Les coupes envisagées causeraient donc globalement une perte de plusieurs dizaines, voire de centaines de millions.

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