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Le crucifix italien rallume de vieilles querelles

On trouve encore des crucifix dans certaines classes suisses, comme ici à Gossau (St-Gall). Keystone

Le jugement de la Cour européenne des droits de l'homme contre l'exposition de crucifix dans les salles de classe italiennes a réveillé un vieux débat en Suisse.

Mardi dernier, la Cour de Strasbourg a jugé la présence de crucifix contraire au droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions et contraire au droit des enfants à la liberté de religion.

Les juges ont donné raison aux laïcs qui estiment que la croix peut être interprétée par des élèves de tous âges comme un signe religieux, signe qui peut être perturbant pour des élèves d’autres religions ou athées.

Mais le ministre valaisan de l’Education Claude Roch a suivi l’exemple de l’Italie et s’oppose, comme lui, à ce verdict. «Je suis contre le principe de la suppression là où les croix existent. Si une telle demande me parvient, je prendrai position contre», a-t-il déclaré dans les colonnes du Temps de mercredi.

«Un crucifix accroché au mur d’une salle de classe n’enfreint en rien, à mon sens, la liberté de croyance d’un élève non catholique», a ajouté le conseiller d’Etat du Valais, canton catholique.

Contrairement au Valais, le canton de Zurich (protestant) soutient le jugement de la Cour de Strasbourg. Au département de l’instruction publique, Robert Steinegger a affirmé au Tages Anzeiger que la présence d’un crucifix dans une école suggère qu’il s’agit d’une institution chrétienne.

Religieux ou culturel?

Le cas italien a été déclenché par la mère de deux enfants fréquentant l’école publique et qui s’est opposée à la présence de crucifix dans les salles de classe. La direction de l’école ayant refusé de lui donner raison, la mère s’est lancée dans une bataille juridique qui s’est terminée devant une cour administrative italienne.

Cette dernière a donné tort à la plaignante et conclut que le crucifix était à la fois un symbole de l’histoire et de la culture italiennes et donc de l’identité nationale.

L’affaire est donc arrivée à la Cour européenne des droits de l’homme qui a donné raison à la plaignante, suscitant un tollé de toute la classe politique italienne (à l’exception des communistes). De son côté, le Vatican a estimé que le verdict était «erroné et à courte-vue».

L’affaire Cadro

En Suisse, dans le cadre de l’affaire dite Cadro, qui avait eu lieu dans le canton du Tessin, le Tribunal fédéral avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la question des crucifix et de la doctrine d’impartialité de l’Etat.

Il avait conclu que l’Etat ne devrait pas offenser les sensibilités religieuses des élèves ou de leurs parents. En outre, la Cour avait jugé qu’on ne pouvait exclure que certaines personnes se sentent offensées dans leur conviction religieuse par la présence constante d’un symbole appartenant à une autre religion.

En d’autres mots, l’enseignant tessinois qui avait porté l’affaire devant la justice avait gagné. Mais ce principe, établi pour les écoles primaires, ne s’est pas concrétisé par la disparition de tous les crucifix des écoles publiques dans les régions catholiques. En fait, les choses n’ont pas, ou peu, changé.

«Aussi longtemps que personne ne se plaint, il n’y a pas de problème», commente Etienne Grisel, professeur de droit à l’Université de Lausanne.

«Le cas tessinois était isolé et ne s’est pas répété. C’est pourquoi là où des crucifix sont toujours visibles, il n’y a pas nécessairement de problème. Apparemment, les gens ne se plaignent pas. C’est difficile à expliquer pourquoi, mais c’est ainsi.»

Etienne Grisel ajoute que l’affaire du port du voile islamique par des enseignants avait été traité de manière similaire par le Tribunal fédéral.

Tradition mixte

L’une des grandes différences entre l’Italie et la Suisse est que cette dernière compte à la fois des catholiques et des protestants, et qu’aucune des deux Eglises n’a de statut particulier au sein de l’Etat.

Et l’actualité en témoigne ces jours, les débats récents en matière de symboles religieux concernent surtout la troisième communauté religieuse de Suisse, les musulmans.

Bataille du crucifix et votation du 29 novembre prochain sur l’interdiction de la construction de minarets: Felix Gmür, secrétaire général de la Conférence suisse des évêques, fait la comparaison.

«A propos de l’initiative sur les minarets, nous avons reçu de nombreuses lettres disant que notre pays était chrétien. Mais qu’est-ce que cela signifie d’être un pays chrétien si les symboles chrétiens ne sont pas visibles?»

«Nous ne devrions pas nous sentir offensés par ces symboles qui sont sacrés pour certaines personnes. En Suisse, la tradition chrétienne est en train de devenir invisible. Si les électeurs votent contre les minarets, la prochaine étape concernera les symboles chrétiens», ajoute Felix Gmür.

Visibilité

De son côté, Simon Weber, porte-parole de la Fédération des églises protestantes de Suisse, ne craint pas la disparition publique des symboles chrétiens. «Nous n’avons aucun souci en ce domaine. Nous avons encore suffisamment d’églises qui témoignent de notre présence et ce n’est pas la qualité des objets ou des édifices qui changera quoi que ce soit. C’est une affaire de travail et de présence de l’Eglise.»

A noter que la question des symboles religieux concerne exclusivement les écoles des régions catholiques, puisque la tradition protestante se refuse à afficher ces symboles. Pour Simon Weber, tout va donc pour le mieux tant qu’il n’y a ni interdiction, ni obligation d’afficher de tels symboles dans l’espace public.

«Le grand avantage de notre système est que ce genre de problème peut être réglé de manière locale et non nationale, comme c’est le cas en Italie et dans la plupart des autres pays», conclut-il.

Care O’Dea, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Isabelle Eichenberger)

Catholiques romains: 41,8%

Eglises protestantes officielles: 33%

Orthodoxes: 1,8%

Judaïsme: 0,2%

Islam: 4,3%

Bouddhisme: 0,3%

Sans religion: 11,1%

(Source: recensement de 2000)

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