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Le fédéralisme pour protéger les minorités

La Suisse comme timbre: tout à la fois unie et divisée. Keystone Archive

Une caractéristique du fédéralisme suisse est l’attention accordée aux minorités. C’est ce qu’a montré l’Institut du fédéralisme de Fribourg lors de son université d’été.

Les 38 étudiants étrangers présents ont pu se familiariser avec cette conception.

«Je viens d’une région où des choses terribles se sont passées, déclare Lidija Basta Fleiner, directrice de l’International Research and Consulting Center (IRCC), organisme dépendant de l’Institut du fédéralisme. On ne pouvait pas comprendre que l’autre a aussi des droits. Chacun voulait faire passer ses positions à cent pour cent.»

Ce genre d’avis très tranchés sont banals et se terminent mal. «J’ai moi-même vécu cela à Belgrade», déclare la directrice qui est précisément originaire de l’ancienne Yougoslavie.

«En Suisse, on peut présenter un compromis comme une bonne solution politique, poursuit-elle. Ce n’est pas le cas dans de nombreuses autres sociétés comptant plusieurs cultures.»

Assurer la coexistence pacifique

Lidija Basta Fleiner travaille à l’Institut du fédéralisme de l’Université de Fribourg depuis 1993. En 1997, elle a pris la tête de l’IRCC qui venait alors d’être créé.

Ce centre étudie les institutions et les solutions apportées aux conflits dans les sociétés multiculturelles.

La question est de savoir comment il est possible d’assurer la coexistence pacifique de cultures différentes sans prétériter l’une d’elles et sans déstabiliser l’Etat.

L’IRCC s’est à plusieurs reprises directement engagé pour tenter de trouver des solutions à des conflits. Il a notamment été actif au Burundi, en Somalie et au Soudan.

Le point fort de chaque année est l’université d’été organisée trois semaines durant le mois de septembre. Elle est fréquentée à chaque édition par quelque 40 étudiants de différents pays.

«Nous voulons faire une université d’été où le fédéralisme soit vraiment marqué par une perspective suisse, déclare la directrice. Le système suisse contient certaines caractéristiques que l’on ne retrouve pas ailleurs; parmi elles, la sensibilité aux minorités.»

Davantage que de la théorie

L’université d’été veut transmettre davantage que de pures connaissances théoriques. «L’idée principale est de sensibiliser les étudiants au point de vue des autres partis», décrit Lidija Basta Fleiner.

Or il ne faut pas seulement les convaincre sur un plan intellectuel, mais aussi émotionnel.

«Il y a trois ans, nous avons eu l’exemple d’un étudiant soudanais, illustre la directrice. Il s’agissait d’un fondamentaliste islamique qui nous avait été envoyé par le gouvernement de son pays.»

Après une introduction théorique à la question de Jérusalem, «nous avons formé deux groupes, l’un défendant le point de vue des Palestiniens et l’autre celui des Israéliens».

«Nous avons également demandé au Soudanais de défendre les intérêts israéliens, ce qu’il a fait remarquablement. Tout à coup, nous avons tous commencé à rire, et lui aussi», ajoute Lidija Basta Fleiner.

Le but de l’opération était atteint. L’étudiant soudanais avait en effet compris que l’autre parti pouvait également avoir de bons arguments.

Ni amis, ni ennemis

«Ce dont j’ai le plus profité, c’est de l’expérience concrète du fédéralisme suisse», déclare Eranthi Premaratne, une étudiante de 27 ans venant du Sri Lanka, au dernier jour de l’université d’été.

Dans sa patrie, on parle beaucoup de la Suisse. Le pays est considéré comme l’exemple même d’un Etat fédéraliste et multiculturel qui fonctionne correctement.

Mais, lorsqu’on l’observe de près, la Suisse perd un peu de son lustre. Le contact avec la Suisse réelle a quelque peu désillusionné Eranthi Premaratne.

«Lorsque je suis venue, je m’attendais à ce que la Suisse soit un très bon exemple d’harmonie entre les différentes cultures, explique-t-elle. Mais en observant les choses sur place, j’ai constaté qu’en Suisse aussi, il y avait des tensions entre les groupes linguistiques.»

Mais aujourd’hui, la jeune Sri-Lankaise est plus pragmatique. «Je suis convaincue que ce sont les fortes institutions de la Suisse qui maintiennent la cohésion du pays, dit-elle. J’ai appris que le fédéralisme ne peut pas résoudre tous les problèmes. Il change les ennemis en adversaires, mais pas en amis.»

Et de conclure que le fédéralisme représenterait certainement une bonne solution pour le Sri-Lanka.

Une question de volonté

«Au Burundi, nous avons besoin des expériences de pays développés et bien organisés», indique de son côté Albert Kagabo, responsable d’un quartier de la capitale Bujumbura. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est venu à Fribourg.

«Le fédéralisme suisse pourrait être un modèle pour le Burundi, précise-t-il. Aussi bien au niveau de l’organisation de l’Etat que pour apporter des solutions au conflit entre Hutus et Tutsis.»

Albert Kagabo est cependant convaincu que la paix ne relève en dernier ressors ni de la constitution ni des institutions, mais de la volonté des hommes eux-mêmes.

«Une bonne constitution ne suffit pas, dit-il. La volonté doit quitter le papier pour entrer dans l’esprit des gens. Cela vaut au Burundi aussi bien qu’en Suisse.»

Très ingénieux et équilibré

«Ce fut une nouveauté pour moi de voir que le fédéralisme pouvait aussi permettre de prendre en compte des différences ethniques et culturelles, comme c’est le cas en Suisse», indique Bocar Kanté.

Ce jeune juriste sénégalais de 28 ans estime que le fédéralisme suisse est très ingénieux et équilibré. Pourtant, à ses yeux, il conviendrait de mieux intégrer les immigrés dans la société helvétique.

Bocar Kanté met en fait le doigt sur un point faible du fédéralisme suisse. En effet, le pays a certes réussi à intégrer ses minorités traditionnelles, mais il peine à faire de même avec ses nouvelles minorités.

Un avis partagé par Lidija Basta Fleiner: «Aujourd’hui, il y a en Suisse beaucoup de personnes qui sont exclues. Je ne me fais pas d’illusions. Il n’en reste pas moins que l’on trouve d’importantes expériences historiques dans le fédéralisme suisse.»

swissinfo, Hansjörg Bolliger
(traduction: Olivier Pauchard)

38 étudiants ont participé à cette université d’été 2003.
Ils provenaient de 27 pays.
Les thèmes en étaient le fédéralisme, la décentralisation et la Good Governance dans les pays multiculturels.

L’Institut du fédéralisme de l’Université de Fribourg a été fondé en 1983. Il fait office de centre de compétence cantonal et a procédé à des évaluations en matière de droit cantonal. Aujourd’hui, il est aussi un centre de documentation national pour le fédéralisme.

En 1997, l’institut a reçu un mandat de la Direction suisse du développement et de la coopération (DDC) sur le thème «Etat de droit et décentralisation dans un contexte multiculturel». Ce mandat a conduit à la création du centre international.

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